Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1
DÉPENSER
LE MONDE·ARGENT
JEUDI 5 MARS 2020 | 7

A Paris, le printemps du dessin


/ ARTS / Ventes, foire, expositions... L’œuvre sur feuille est à l’honneur fin mars. Petit guide de déambulation en domaine abordable


E


squisse ou œuvre à part
entière, instantané ou
maîtrisé, sensuel ou
pudique, le dessin révèle
la petite musique inté­
rieure des artistes d’hier comme
d’aujourd’hui. Du Palais Bron­
gniart, écrin du Salon du dessin,
du 25 au 30 mars, au Carreau du
Temple, où se tiendra, du 26 au
29 mars, la Foire européenne
consacrée au dessin contempo­
rain Drawing Now Art Fair, en
passant par les ventes orches­
trées simultanément à Drouot,
chez Christie’s, Sotheby’s ou Art­
curial, ce médium est à la fête à
Paris en mars.
Il y en a de toutes les époques,
pour tous les goûts et tous les bud­
gets, sachant que le dessin est par
nature accessible. Il en est ainsi
des feuilles de l’artiste américaine
Kiki Smith. Si ses sculptures se né­
gocient autour de 50 000 euros,
ses petites encres valent moitié
moins sur le stand de la galerie Le­
long au Drawing Now Art Fair.
« Pour un même artiste, le différen­
tiel peut être de 40 % à 60 % », ob­
serve Christine Phal, présidente et
fondatrice de la foire. Etienne Hel­
lman, spécialiste chez Sotheby’s,
va plus loin : « En art moderne, les
tableaux de même qualité sont
souvent hors marché, car dans des
musées et des institutions, ou alors
ils atteignent des prix peu accessi­
bles. En revanche, on peut encore
acheter des dessins de premier or­
dre et de qualité muséologique. »

Delta de prix
Ainsi ceux du peintre post­im­
pressionniste Paul Signac (1863­
1935), dont Sotheby’s a vendu un
magnifique tableau, La Corne
d’or. Matin, pour 7,6 millions de
livres sterling (plus de 9 millions
d’euros), le 4 février, à Londres.
L’écurie de Patrick Drahi propo­
sera, le 26 mars, un autre Signac,
un beau dessin au crayon Conté
intitulé Femme cousant (étude
pour Les Modistes), estimé autour
de 120 000 euros.
Ce delta de prix s’observe tout
autant dans l’ancien. Il faut ainsi
compter plusieurs dizaines voire
centaines de milliers d’euros
pour une huile de Jean­Marc
Nattier (1685­1766), qui a peint les
plus grandes personnalités du
XVIIIe siècle français. Christie’s
proposera le 25 mars un croquis

sur papier bleu d’une Femme au
masque estimé entre 10 000 et
15 000 euros.
Ne pas s’étonner non plus des
différences de prix chez un même
artiste. Prenons le cas du Guer­
chin (1591­1666). Actif au
XVIIe siècle à Rome et à Bologne,
ce baroque italien a abondam­
ment dessiné. Christie’s propo­
sera ainsi, le 25 mars, une repré­
sentation de Marie Madeleine, de
petit format, estimée entre
8 000 et 12 000 euros. Le sujet est
joli, sans plus. Dans la même
vente sera présentée une autre
feuille, L’Adoration des mages,
estimée cette fois entre 200 000
et 300 000 euros. « Tout y est, s’en­
thousiasme Hélène Rihal, spécia­
liste chez Christie’s, un très large
format pour l’artiste, une belle pro­
venance – il a appartenu à Gio­
vanni Battista Tiepolo et Vivant
Denon –, et il n’avait pas ressurgi
aux enchères depuis la vente après
le décès de Vivant Denon. Il était
considéré comme perdu. C’est une
redécouverte totale! »
Si les dessins restent globale­
ment abordables, quelques pré­
cautions s’imposent malgré tout,
avant mais aussi après l’achat.
Première règle : vérifier le sup­
port sur lequel il a été réalisé. Car
le papier est une matière vivante
et fragile. « Les papiers journaux,
par exemple, sont très acides,
avertit Christine Phal. Mais un
papier Beaux­Arts type Canson,
qui contient 70 % de coton, peut
tenir cent ans. »
Il n’est pas rare de tomber égale­
ment sur des feuilles piquées de
moisissures. « Certaines piqûres
peuvent être grattées en surface
par un restaurateur de papier pro­
fessionnel, ce qui atténue la sensa­
tion de tache visible à l’œil nu, sans
pour autant blanchir la feuille en
lui faisant subir des traitements
chimiques qui, parfois, lui font per­
dre de la matière », explique Hé­
lène Rihal. Et de préciser : « Une
feuille qui a subi des traitements,
des blanchiments notamment, de­
vient plus rigide, plus cassante et
la matière perd de sa fraîcheur. »
Il faut se montrer tout aussi
vigilant pour l’encadrement. « Les
montages plus anciens des XVIIe et
XVIIIe siècles ont été réalisés avec
des papiers de bonne qualité et des
colles animales qui se conservent
très bien, précise Hélène Rihal.

Dans ce cas, il est possible de
conserver l’ancien montage, ce qui
est toujours intéressant et valori­
sant pour l’histoire et la prove­
nance de l’œuvre. » Les papiers uti­
lisés pour les montages au
XIXe siècle sont, eux, souvent
nocifs pour le dessin, qu’il faudra
dès lors décadrer pour l’insérer
dans un passe­partout découpé
dans un carton à PH neutre.
Après l’acquisition, d’autres
précautions s’imposent. Car les

feuilles n’aiment guère les varia­
tions de température, encore
moins la lumière directe. Les
plus zélés les conservent dans
des portfolios entre deux feuilles
de papier neutre. Pour en jouir,
Greg Rubinstein, responsable du
dessin ancien chez Sotheby’s,
conseille des verres anti­UV


  • « Pas de Plexiglas, car l’électri­
    cité statique peut détériorer les
    pastels », précise­t­il – et des em­
    placements peu exposés à la
    lumière, tels que des couloirs ou
    des murs en contre­jour.


A même le mur
L’art contemporain fait toutefois
voler en éclats ces considéra­
tions. Le dessin est parfois pu­
naisé nu, aux risques et périls des
acheteurs. Il s’émancipe aussi du
cadre pour se développer à même
le mur. Ainsi des magnifiques
fresques de Chourouk Hriech, qui
expose à partir du 21 mars à la
galerie Anne­Sarah Bénichou, à
Paris. Selon l’ampleur de la com­
mande, ses vertigineux dessins
muraux s’échelonnent entre
10 000 et 40 000 euros.

A l’inverse des Wall Drawings de
l’artiste minimaliste Sol LeWitt,
basés sur des protocoles très pré­
cis que le collectionneur peut du­
pliquer, le travail de Chourouk
Hriech n’est pas reproductible.
« Elle seule peut réaliser ses fres­
ques, liées à un lieu et non à un
propriétaire, explique Anne­Sarah
Bénichou. Il ne s’agit pas d’un des­
sin qu’elle reproduirait sur un mur,
mais d’une interprétation spécifi­
que de l’espace en question. » Autre­
ment dit, soit le particulier opte
pour une toile ou un papier, soit il
doit envisager de renoncer à son
œuvre en cas de déménagement.
ROXANA AZIMI

Salon du dessin, du 25 au 30 mars,
Palais Brongniart, Paris 2e.
Salondudessin.com
Drawing Now Art Fair, du 26 au
29 mars, Le Carreau du Temple,
Paris 3e. Drawingnowartfair.com
Christie’s, vente le 25 mars,
Christies.com
Artcurial, vente le 25 mars,
Artcurial.com
Sotheby’s, vente le 26 mars,
Sothebys.com

« Si c’est siglé Chanel, tout s’achète »


K


arl Lagerfeld, l’ancien directeur
artistique de la maison Chanel,
mort il y a un peu plus d’un an,
estimait que « l’élégance n’est ni
une question de portemanteaux ni une
question de porte­monnaie » (Le Monde
selon Karl, de Jean­Christophe Napias et
Patrick Mauriès, Flammarion, 2013).
Cette maxime semble particulièrement
adaptée au marché de la mode vintage.
Un univers où la marque Chanel règne
en maître, les experts jugeant qu’elle fait
partie du top 3 du luxe vintage, aux côtés
d’Yves Saint Laurent et de Dior.
Hubert Felbacq, expert de la prochaine
vente Chanel vintage pour l’étude pari­
sienne Cornette de Saint Cyr, estime que,
depuis la disparition du couturier, ses
vêtements, déjà bien cotés, ont encore
pris de la valeur : « Nous avons vendu plus
de 90 % des lots de notre vente d’avril 2019,
juste après son décès, à des prix en hausse
de 20 % à 30 %. » Le 24 mars, plus de
450 lots seront présentés aux enchères :
« L’essentiel date des années Lagerfeld,
entre 1983 et 2015, avec en particulier
80 pièces issues du dressing d’une an­
cienne rédactrice en chef de mode. »
La majorité des pièces sont estimées
entre 300 et 500 euros environ (si l’on
excepte la maroquinerie). Du fait de la
longévité exceptionnelle du couturier à
la tête de la maison Chanel, l’offre reste

importante, et les prix ne s’envolent que
pour les lots d’exception.
Caractéristiques des vêtements les plus
recherchés, selon l’expert : des intempo­
rels, mais qui portent les « codes » Chanel
les rendant immédiatement reconnais­
sables : le tweed, le noir et blanc, le camé­
lia, les bandes de tricots... Cependant, les
amateurs de Chanel vintage aiment éga­
lement les inventions et réinterpréta­
tions de « Kaiser Karl ». « Karl Lagerfeld a
repris les classiques de Gabrielle Chanel,
en les déstructurant, déclinant la chaus­
sure bicolore en ballerine, lui ajoutant un
logo sur l’embout, inventant des couleurs
framboise, jaune ou mauve pour les
tailleurs... », détaille l’expert.

Réinterprétation
Les modeuses choisissent désormais de
les réinterpréter au goût du jour. Ter­
miné le tailleur total look « mémérisant »,
avec chaussures, chapeau et sac. Bienve­
nue à la veste portée avec un jean et un
tee­shirt, au sac comme petite touche de
chic sur une tenue du quotidien. Elles ne
sont pas les seules à apprécier les vête­
ments Chanel vintage. Dans ces ventes,
les batailles d’enchères se font égale­
ment entre marchands spécialisés et fon­
dations lorsqu’il s’agit de pièces histori­
ques. « Il n’y a pas d’argent à perdre dans
ce domaine, estime Hubert Felbacq. Il y a

une vingtaine d’années, ces vêtements
étaient dans des caisses à Drouot, on pou­
vait les avoir pour rien. C’est bien terminé,
ce sont désormais des valeurs sûres. »
En hommage au couturier, cette vente
s’ouvrira sur deux œuvres plus person­
nelles. D’abord un dessin des années 1970,
représentant Jacques de Bascher, le grand
amour du couturier, et un étonnant cos­
tume de scène entièrement en cuir réalisé
par Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher
pour un projet de pièce de théâtre. Une
création unique et sulfureuse conservée
jusque­là par le couturier, estimée entre
2 500 euros et 3 000 euros.
« Si c’est siglé Chanel, tout s’achète,
même ce qui est un peu moins réussi, ana­
lyse Jérémy Darotte, expert mode chez
Valérie Régis, commissaire­priseur à
l’hôtel des ventes de la vallée de Mont­

morency, dans le Val­Oise. Même ce qui
pourrait paraître un peu grand­mère. » Sa
mini­vente vintage « Les années 1980 en
rose & noir » du 16 mars fera de la place
aux pièces Chanel boutique des années
1980­1990 : tailleur rose en tweed es­
timé 300­400 euros, tailleur noir 200­
300 euros, robes à moins de 300 euros.
Le tout provient d’une seule collection,
taille 42. « La taille n’est pas un problème
du tout, ces vêtements peuvent être retou­
chés, il ne s’agit pas de pièces patrimonia­
les à conserver telles quelles. Les enchéris­
seuses viennent parfois me montrer, d’une
vente à l’autre, ce qu’elles ont fait de ces
vêtements, je crois que c’est très positif de
les faire vivre », remarque Jérémy Darotte.
Egalement dans son catalogue, des
paillettes et des dentelles sur les tenues
de soirée, des imprimés... « Les couleurs se
vendent très bien. Après tout, une petite
robe noire, ça peut se trouver n’importe
où, alors qu’un rose Chanel... »
CLÉMENTINE POMEAU-PEYRE

Minivente « Les années 1980 en
rose & noir », le 16 mars, à 20 heures, hôtel
des ventes de la vallée de Montmorency,
Deuil-la-Barre (Val-d’Oise), Valerieregis.fr
Chanel Vintage, le 24 mars, à 14 h 30,
Cornette de Saint Cyr, Paris 8e,
Cornettedesaintcyr.fr

/ MODE / Deux ventes de pièces vintage de l’illustre maison auront lieu en mars. Pour l’essentiel, l’œuvre de « Kaiser Karl », mort en 2019


« L’Adoration des mages », du Guerchin, est estimé entre 200 000 et 300 000 euros chez Christie’s. CHRISTIE’S

PREMIÈRE


RÈGLE : VÉRIFIER


LE SUPPORT SUR


LEQUEL LE


DESSIN A ÉTÉ


RÉALISÉ. CAR LE


PAPIER EST UNE


MATIÈRE VIVANTE


ET FRAGILE


La vente parisienne
s’ouvrira sur
deux œuvres plus
personnelles
de Karl Lagerfeld :
un dessin et un
costume de scène

Le tailleur
Chanel, un
intemporel
encore très
recherché.
FRANÇOIS
BENEDETTI
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