12 // IDEES & DEBATS Vendredi 21 et samedi 22 février 2020 Les Echos
focus
Ces grands escrocs qui révèlent
les rouages de l’économie
B
ernard Madoff vient de deman-
der sa libération anticipée pour
raisons de santé. L’auteur de la
plus grande pyramide de Ponzi est
entré par la grande porte dans l’histoire
de la criminalité financière, à côté de
Charles Ponzi, s on maître. Soustraire de
l’argent par « fourberie », les mar-
chands du Temple s’y sont employés
pendant des siècles. « Les escrocs appa-
raissent comme les révélateurs de la
société et de l’économie dont ils sont i ssus.
Les modes de formation de l’escroquerie
évoluent avec la dynamique du capita-
lisme », raconte Christian Chavagneux
dans son dernier ouvrage.
Dans l’escroquerie du collier de
Marie-Antoinette, c’est le crédit et la
confiance qu’il est censé instiller qui
vont jouer un rôle de premier plan, à
une époque où les pièces sont rares et
les billets (falsifiables) inspirent
la méfiance. Proches de la monarchie,
les financiers, des fonctionnaires au-
dessus de tout soupçon, étaient aussi
prêts à prendre des risques. Cette escro-
querie n’eut pas que des conséquences
financières. La royauté s’en trouva
affectée, renforçant le ressentiment du
peuple à l’égard des frasques et de
l’insouciance de l’aristocratie, trois ans
avant la révolution de 1789.
Eldorado inviolé
Les escrocs ont compris avant les autres
les avantages de la mondialisation. Le
nombre de victimes et les opportunités
sont illimités. L’information circule
moins facilement que les flux de mar-
chandise. Les mauvaises nouvelles arri-
vent trop tard dans la boîte aux lettres
des investisseurs floués. Le vaste monde
offre des promesses d’enrichissement
pour qui sait duper les foules. L’or, le
métal incorruptible offert par les dieux
à la vanité humaine, fut un cadeau
empoisonné. Il exerça une fascination
constante sur les populations, trompées
par les faux prospecteurs. Les terres des
colonies anglaises et françaises au
XIXe siècle attisèrent les fantasmes d’un
eldorado inviolé. Les bulles spéculatives
à répétition sur tous les produits (matiè-
res premières, terres, métaux, actifs
financiers...) ont permis aux flibustiers
des placements d’accomplir leurs plus
grandes prouesses.
Finance opaque
Le Suédois Ivar Kreuger profita, lui, de
l’engouement spéculatif l ors des a nnées
folles qui précédèrent le krach de 1929.
Sa comptabilité plus que douteuse
n’émut pas les investisseurs en pleine
« exubérance irrationnelle ». Entre 1917
et 1932, son groupe, qui fabriquait des
allumettes, siphonna une épargne de
13 milliards de dollars, dont 2 milliards
atterrirent sur ses comptes personnels.
Il est alors bien vu des Etats (baltes,
d’Europe de l’Est, France...) auxquels il
prêtait de l’argent. Il perçut l’utilité des
paradis fiscaux, ces zones grises de la
finance mondiale promises à un bel
avenir. Sociétés écrans, montages
sophistiqués, le roi des allumettes bâtit
un mur opaque pour cacher ses
méfaits. Le jour du krach de 1929, il
faisait encore la une du « Times ».
Donjuanisme financier
Les escrocs sont des séducteurs redou-
tables, passés maîtres dans l’art de la
narration. Nouveaux produits, nou-
veaux marchés, inventions révolution-
naires, les marchands d’illusions ont le
verbe haut et la réponse à tout. Le grand
escroc jubile. Cet Arsène Lupin joue un
tour à ses victimes. Il les ridiculise
autant qu’il les ruine. Il « n’a aucun res-
pect pour les institutions en place qu’il
bafoue. Son braquage vise la “c lasse
d’argent” et s’effectue, sauf rare exception,
au détriment des puissants ». Intoucha-
bles et insoupçonnables, souvent bien
nés, les escrocs exploitent la crédulité
humaine à l’égard de l’enrichissement
rapide et sans risques. Henri Lemoine,
« le docteur Faust de la joaillerie », assu-
rait pouvoir créer des diamants avec un
four électrique et de la poudre de char-
bon de sucre, chauffée de 1.500 à 1.
degrés. Même le groupe De Beers est
abusé par l’illusionniste aux faux dia-
mants, et achète pour 10.000 livres sa
formule magique. Ce n’est que 110 ans
plus tard que le groupe fabriquera des
« vrais » diamants synthétiques, parfai-
tement légaux. Au début du XXe siècle,
les nations croient dur comme fer dans
les pouvoirs illimités du progrès scienti-
fique. « Les savants créent une périlleuse
ambiance, un bouillon de culture où se
développe à merveille le microbe éternel
de la crédulité », souligna l’avocat de
Julius Wernher, un des diamantaires
victimes de l’escroc.n
Une anthologie des grandes arnaques financières qui ont émaillé l’histoire
et défrayé la chronique par leur audace et leur dimension exceptionnelles.
Les Plus Belles Histoires
de l’escroquerie.
Du collier de la reine à l’affaire
Madoff
Christian Chavagneux, Seuil,
372 pages, 23 euros.
ESSAI
Rouge vif :
l’idéal communiste chinois
d’Alice Ekman Editions de l’Observatoire
224 pages, 19 euros
ESSAI
Par Nessim Aït-Kacimi
De jeunes recrues
« Tout d’abord, il est très peu probable que
le Parti disparaisse à court et moyen
terme : il s’agit d’une institution puissante
comptant plus de 90 millions de membres
mobilisables immédiatement, des centai-
nes de milliers de cellules du Parti présen-
tes dans toutes les institutions (entrepri-
ses, universités, hôpitaux, ministères,
bases militaires) et capables de travailler à
double sens : surveillance de la population
au service du Parti, diffusion des messages
du Parti auprès de la population. Le nom-
bre de membres du PCC continue d’aug-
menter : en 2018, il a recruté plus de 2 mil-
lions de personnes [...]. Parmi eux,
beaucoup de jeunes : 80 % de ces n ouvelles
recrues sont âgées de 35 ans ou moins »
Elan socialiste mondial
« Xi Jinping considère que la montée en
puissance de la Chine va apporter un nou-
veau souffle à l’élan socialiste mondial.
Mais, selon lui, la victoire du socialisme
sur le capitalisme prendra du temps, au
moins plusieurs décennies et la Chine
devra s’armer de patience et de discerne-
ment. 2049 n’est pas uniquement la date
butoir que s’e st fixée le PCC pour position-
ner le pays comme numéro un mondial
dans tous les domaines (économique,
technologique, diplomatique, militaire,
spatial etc.) mais aussi pour devenir la
puissance de référence sur le plan politi-
que et idéologique ».n
La passion norma-
tive des Français se
résume en quelques
chiffres : « il y aurait
aujourd’hui près de
400 .000 normes,
11.500 lois avec leurs
320 .000 articles
auxquels il convient
d’ajouter 130.000 dé-
crets », lit-on dans
l’ouvrage. A qui la
faute? Aux lobbys qui demandent toujours
des aménagements particuliers par rapport
à une norme qui les désavantage, à ceux qui
vivent de cette complexité administrative
aussi, comme les experts-comptables ou les
avocats, à chacun de nous finalement quand
l’exception à la règle nous arrange. Alors,
plutôt que le « laissez-nous vivre » brandi
par les auteurs, commençons par accepter
d’être davantage responsable dans notre
conduite et dans l’acceptation de la loi, telle
qu’elle est.—Marie Bellan
Normes, régle-
mentations...
mais laissez-
nous vivre
Marie
de Greef-Madelin
et Frédéric Paya,
Plon, 318 pages,
20 euros.
En Chine plus qu’ailleurs, les apparences
peuvent se révéler trompeuses. L’entrée de
Pékin dans la globalisation avec son adhé-
sion à l’Organisation mondiale du com-
merce en 2001, l’internationalisation des
entreprises d’Etat, le développement du
secteur privé aidé par la liberté des prix :
autant d’étapes qui ont laissé croire, en
Occident, à un abandon par les autorités
chinoises de la dictature du prolétariat
pour adhérer aux valeurs libérales.
Erreur! Le pays n’a jamais en fait ni renié
ni renoncé à ses racines rouges.
La sinologue Alice Ekman a bâti sa
réflexion à partir de plus de 400 témoigna-
ges recueillis au cours des sept dernières
années. Dans son ouvrage, elle décrit le
communisme version chinoise, non pas
comme une simple organisation du pays
comme on a pu le voir récemment avec
l’épidémie de coronavirus, mais bien plus
comme une structure tentaculaire qui
s’infiltre au quotidien dans toutes les cou-
ches de la société. Son influence est politi-
que et économique mais aussi culturelle,
sociale, éducative et même artistique.
A présent, le Parti ambitionne même
d’étendre son influence et son mode de
fonctionnement à l’étranger, pour devenir
idéalement une « solution » pour le
monde, selon les propres mots de Xi
Jinping. Extraits.
Le rôle du Parti renforcé
« Non seulement la Chine n’a jamais
tourné le dos à son identité communiste
depuis l’ère de réforme et d’ouverture lan-
cée en 1978, mais avec l’arrivée de Xi
Jinping au pouvoir, le pays y revient. Il
existe en tout cas une volonté politique
forte, depuis maintenant plus de sept ans,
de consolider le pouvoir du Parti commu-
niste à différents échelons du gouverne-
ment et de l’administration [...]. Son rôle
s’est renforcé dans presque chaque sphère
de la société et les influences soviétiques et
maoïstes demeurent fortes. Elles façon-
nent l’organisation du pays à différents
niveaux, elles modèlent les méthodes de
contrôle, de communication, le rapport à
l’art et à la culture, à la religion, la structu-
ration de l’é conomie. Elles apparaissent
dans le quotidien de la population à tous
les niveaux et les conséquences ne sont pas
que symboliques. »
- « Mais arrêtez donc
d’emmerder les Fran-
çais! Il y a trop de lois,
trop de textes, trop de
règlements dans ce
pays! On en crève! »
Cette apostrophe de
Georges Pompidou à
Jacques Chirac date
de 1966 et elle n’a pas
pris une ride. Très
justement rappelée
par les auteurs du livre « Normes, régle-
mentations... mais laissez-nous vivre »,
dans leur introduction, la phrase cache en
réalité un paradoxe français : nous adorons
les règles, la loi, la norme – et les politiques
sont les premiers à prendre le prétexte
d’une nouvelle loi pour répondre à un scan-
dale ou à un dysfonctionnement quelcon-
que – et, en même temps, nous adorons
nous plaindre qu’il y a trop de contraintes
dans notre pays pour entreprendre, pour
construire, pour vivre tout simplement.
Livre en bref
Trop de lois en France. A qui la faute?
BONNES FEUILLES
Par Michel De Grandi
La Chine fermement
ancrée dans
ses racines rouges
Bernard Madoff, l’auteur de la plus grande pyramide de Ponzi, est entré par la grande porte dans l’histoire
de la criminalité financière.
Timoth
y A.
Clary/AFP