Les Echos - 21.02.2020

(vip2019) #1
LES ECHOS WEEK-END – 81

FAUT-ILAVOIR PEUR DESALGORITHMES?


le restaurant le plus proche, l’algorithme fait la
sélection. Cela dit,onn’est pas obligé de suivre la
recommandation du GPSpour faire des«choix
éclairés»sionpréfère suivre une optimisation
émotionnelle et non mathématique. Onpeut
aussi naviguer sur un moteur de recherche
en mode privé. Dans le cadre d’un recrutement,
on ades outilspour présélectionner des CV,
mais je dis toujours qu’ils ne les sélectionnent
pas.Vous pouvez choisir d’allervoir d’autres CV
ou joueravecl’algo en changeant les
paramètres. Il faut développer un œil critique
ou décider... de ne pas utiliser les outils.

Pourquoia-t-on encoretendanceàconsidérer
l’automatisationcomme un fléau?
Vouloir tout automatiser est unebêtise.
AuJapon, onavait testé des robotsàl’entrée
des hôtels, mais celaaété un échec complet.
Je ne serais pas étonnée qu’onpuisseavoir un
jour une machine qui nous coupedes cheveux
ou qui nous coiffe plus rapidement etàbas
coût. Mais, moi, j’ai envie d’avoir un humain qui
me coupeles cheveux. Ilyades choses qui sont
de l’ordre de l’émotionnel, pas de la rationalité.
Onn’apas envie de se faire masser par un robot,
car le massagec’est quelque chose qui relève
de l’énergie. En revanche, ilyades métiers
où l’automatisation apportebeaucoup. J’ai fait
le métier de caissière dans les supermarchés
quand j’étais étudiante.C’estunmétier ingrat :
je peux vous dire que les gens font comme si
vous étiez unemachine. Ilvaut mieuxredéployer
les gens dans les rayons.Àl’hôpitalde Montréal,
aveclequel je collabore, on utilise des robots
àlaplace des magasiniers. En retour,onfait
monter en compétences les magasinierspour
le contrôle qualité et d’autrespour accompagner
les gens au sein de l’hôpital(visiteurs
ou malades). On redirige lavaleur ajoutée
humaine.L’automatisation, elle commence
aveclamachineàvapeur.C’est l’automatisation
irrationnelle et abusivequi est un fléau.

Pourquoiêtes-vous si sceptiquesur l’efficacité
des applicationsde «dating», derencontre?
Comme je l’explique dans mon livre, les critères
explicites de ces sites sont basiques, tels que les

goûts et activitéspersonnelles(sports, dessin,
musique...). En réalité, quand on cherche
«l’âme sœur », on recherche des critères plus
subtils en lienavec des sensibilités
émotionnelles etpolitiques parexemple,
ou encoreavec des visions sur la vie. De plus,
l’apprentissage de l’algorithme de«matching »
fonctionne sur des comportements basiques
traduits par des«likes»deprofils
principalementportés sur l’apparence de la
personne. Ces applications sont très bienpour
des soirs sans lendemain maispeufiablespour
le grand amour.Même si on connaît tous
des couples qui se sont rencontrés sur ces
applications, cela ne doit pas devenir un biais
de confirmation. Concernant LinkedIn, je
m’amuseàdire quec’est une super application
de dating car ellepermet de soulignerbeaucoup
de choses sur lapersonne telle que son
ouverture d’esprit et sa vision!

Commentpressentez-vous larévolution
algorithmique sexuelle et l’arrivée
desrobotssexuels?
Aujourd’hui, onn’en parlepeu. Mais
il ne faudrait pas la balayerdelamain. Car ces
robots arrivent duJaponetc’est unesimple
question d’annéesavant qu’ils ne se répandent.
Les genspourront les utiliser comme ils
utilisent un sex-toy. Il faut justeexpliquer aux
utilisateurs ce que ces robots savent vraiment
faire. Ilsvont être de plus en plus améliorés
en termes de texture, de couleur,d’élasticité
ou de température depeau. Sauf qu’il ne faut
pas que les gens tombent amoureux de leurs
machines. Il ne faut pas qu’ils aient des

sentiments. Il faut distinguer le réel du virtuel.
AuJaponetenAfrique,ilyadéjà deux
ingénieurs qui se sont mariésavecleurs robots,
dont unadivorcé de sa femmepour épouser
son robot. Quand je dis ça, je ne suis pas contre
ces machines sexuelles:c’est bien, mais il faut
juste que les gens comprennent qu’unrobot
sexueln’est pas un partenaire de vie. Les
concepteurs de ces robotsvont chercheràcréer
de l’addiction au sens émotionnel chez les gens.
C’est un vrai risque comme dans le dernier
roman de Ian McEwan,Une machine comme
moi,oùuncouple décide d’acheter un robot.
Soyons libres de les utiliser.Mais ne nous
bouchons pas lesyeux et les oreilles face
àlatechnologie:ceserait la pire des attitudes.

Àquelâgedevrait-oncommenceràcoder?
Onpeut apprendrel’algorithmique sansécran :
la méthode Coloripermet parexempleaux
tout-petits d’appréhender ce qu’est l’informatique
sansutiliserd’écran d’ordinateur,avecdes jouets
en bois. Onpeut apprendreàunenfantde3ans
ce qu’est l’algorithmique, ce qu’est le langage
binaire. Onpeut sensibiliserles petitsàla
logique algorithmique etcela peut développer
leur appétencepour comprendrecequi est
derrièrelamachine et ne pas être juste
utilisateurs.Cela neva passuffire, maisilsvont
avoir lesprémices.Aprèscela, il ne fautpas
apprendreàcoder pour apprendreàcoder.
Celanesertàrien.Tout le monde neva pasêtre
amenéàcoder.Enrevanche, il faut êtreexposé
un minimumaucodageinformatique dans
lescollèges et les lycées car celavous permetde
comprendrecertains conceptsderrière les outils.
Unalgorithme,si vous ne
l’écrivez pasàla main et sivous
ne l’implémentez pasaprès,
vous ne savezpas ce quec’est.
«Del’autrecôté de la machine.
Voyage d’une scientifique
au paysdes algorithmes »,
parAurélie Jean,
éditions de l’Observatoire,
208 pages, 18 euros.

Plus d’infos surweekend.lesechos.fr

En matièred’informations financières ou
d’épidémies, lesalgorithmespeuvent serévéler
de précieux outils pour détecter des«signaux
faibles».Fondéeen2014par un ancien médecin,
la start-up canadienne BlueDotadéveloppé
un algorithme basé sur l’intelligenceartificielle,
permettant de«suivre, contextualiser et anticiper
lesrisquesdemaladiesinfectieuses ».Selon
le magazine américainWired,ens’appuyant

CORONAVIRUS:COMMENT BLUEDOTAREPÉRÉL’ÉPIDÉMIE


sur le«big data »etle«machine learning »,
BlueDotapudonner l’alertesur l’épidémie
de coronavirus en Chine auprès de sesclients
dèsle31décembre, soitavecdix joursd’avance
sur l’Organisation mondiale de lasanté(OMS).
L’outil permetdecapturer et d’analyser
desdonnées issuesde65langues,àpartir
de messagespostés sur desforums, desblogs
ou desarticlescirculant sur leWeb. Lorsque

lessignaux sontcollectés,des épidémiologistes
sont chargésdeconfirmer lesconclusions
du logicielavant l’envoid’unrapport aux
institutions et aux entreprisesclientes.BlueDot
aurait également«prédit »latrajectoirede
l’épidémie en prévoyant son arrivée àBangkok
et àTokyo,comme dans le cas du virus Zika,
où elleavait prévuson arrivée en Florideavec
près de six mois d’avance.

«LEROBOTSEXUEL, C’EST


BIEN, MAIS LESGENS


DOIVENT COMPRENDRE


QUE CE N’ESTPAS


UNPARTENAIRE DE VIE. »


DR

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