06 // MONDE Vendredi 21 et samedi 22 février 2020 Les Echos
Propos recueillis par
Benjamin Quénelle
@benjamin-quenelle
— Correspondant à Moscou
Vous avez réussi à moderniser
Moscou, tout comme Mikhaïl
Michoustine, avant de devenir
Premier ministre, a su réfor-
mer le fisc. Au gouvernement,
pouvez-vous répéter ces chan-
gements à l’échelle nationale?
Mon expérience à Moscou peut ser-
vir au reste de la Russie. Nous pou-
vons reproduire dans les autres
régions le système de gestion et de
contrôle qui, dans la capitale, nous a
permis d’être efficaces. L’an passé,
le maire a tenu 240 réunions pour
vérifier le suivi de chantiers. Paral-
lèlement, nous avons digitalisé le
système des autorisations de chan-
tier. Cela apporte transparence et
rapidité dans les processus de déci-
sion. Cela permet aussi de mieux
coordonner et synchroniser une
multitude de projets parallèles.
A Moscou, nous avons réussi à
ouvrir 10 nouvelles stations de métro
chaque année, et nos projets se con-
crétisent plus vite qu’ailleurs. Au
niveau du gouvernement, nous
allons pareillement mener ces réfor-
mes. Il faut p lus de digitalisation et de
contrôle direct pour insuffler en
Russie une vraie culture du résultat.
Comment allez-vous relancer
les grands « projets natio-
naux » du Kremlin, l’ambitieux
programme de 375 milliards
d’euros dans douze secteurs
qui peine à se concrétiser?
Ce sont des méga-projets. Il faut donc
du temps. Après la phase de prépara-
tion de près de deux ans, nous
entrons dans celle de l’activation. Au
sein du gouvernement, je suis en
charge des chantiers de construction
de logements, routes et autres gran-
des infrastructures de transport.
C’est possible de réaliser ces projets
d’ici à 2024.
Les objectifs sont très concrets,
comme construire 100 millions de
mètres carrés supplémentaires de
logements par an. Ces projets natio-
naux serviront en soi de moteurs
économiques, donnant un coup
d’accélérateur à la croissance. Au-
delà des ressources publiques, ils
apporteront les nouveaux investisse-
ments privés dont le pays a besoin.
Cet apport du privé va a ugmenter d ès
cette année. Je le sais par expérience.
A Moscou, chaque rouble dépensé
par la mairie dans les infrastructures
de transport a attiré 3 à 4 roubles
d’investissements privés.
Mais Moscou n’est pas la Rus-
sie. Le pays est immense, plus
pauvre que la capitale, avec une
forte mentalité bureaucratique
et son pendant... la corruption.
La corruption existe toujours et
MARAT
KHOUSNOULLINE
Vice-Premier
ministre russe
« Les projets
nationaux
d’infrastructures
serviront
de moteurs
économiques,
donnant un coup
d’accélérateur
à la croissance. »
Le Grand rendez-vous
Cédric Villani
©S
IPA CandidatàlaMairie deParis,Députédel’Essonne
Dimanchede10h à11h
MichaëlDarmon, Nicolas BarréetYoannUsai reçoivent
« Il faut insuffler en Russie
une vraie culture du résultat »
partout, plus ou moins. Mais, à
Moscou, nous l’avons baissée à un
niveau minimal. Quand toutes les
procédures sont digitales, comme
c’est le cas aujourd’hui, cette trans-
parence ne permet plus la corrup-
tion. Plusieurs gouverneurs de
région ont déjà pareillement
réformé leurs modes de gestion.
C’est une question de volonté poli-
tique, pour plus d’efficacité.
Il faut donner à ces régions déjà
aptes les ressources et le pouvoir
de décider directement. Tout en
continuant d’aider, depuis Mos-
cou, les autres régions moins favo-
risées. J’irai moi-même voir sur
place. En un an, je prévois de visi-
ter tout le pays. Et, par vidéo, je
m’entretiens chaque semaine avec
les 85 gouverneurs de région. Je
leur demande ce qui bloque des
chantiers. Ensemble, nous trou-
vons les solutions.
Etes-vous devenu un politique
ou restez-vous un technocrate?
Je ne m’attendais pas du tout à cette
proposition d’entrer au gouverne-
ment. Mais, après avoir reçu l’aval
du maire de Moscou, j’ai tout de
suite dit oui. Nous travaillons
12 à 18 heures par jour. Nous le fai-
sons pour que les Russes vivent
mieux et sentent les résultats de
notre travail. Mais je ne fais pas de
politique.
Je suis avant tout un technocrate
qui doit mener à bien des politi-
ques. Depuis trente-trois ans, dont
dix-huit ans dans les structures
d’Etat, j’organise des chantiers et
concrétise des projets d’infrastruc-
ture. Le gouvernement en Russie
n’est pas une entité politique
comme en France. C’est un organe
de management. Ma mission, ce
n’est donc pas de faire de la politi-
que mais d’orchestrer le travail.n
lAprès neuf ans à gérer des chantiers d’infrastructures à la mairie de Moscou,
Marat Khousnoulline est depuis un mois l’un des vice-Premiers ministres de Mikhaïl Michoustine.
lSon système de gestion a permis l’impressionnant développement urbain de la capitale.
Flora Genoux
—Correspondante à Buenos Aires
Le diagnostic est clair. Dans un
communiqué détaillé et technique,
le Fonds monétaire international
dresse le constat de sa pre-
mière mission en Argentine en vue
Pour le FMI, la dette de l’Argentine « n’est pas soutenable »
de renégocier le prêt contracté
auprès de lui : la dette du pays
« n’est pas soutenable ». Une nou-
veauté? Loin de là.
Depuis son arrivée au pouvoir en
décembre dernier, le gouverne-
ment argentin a répété l’impossibi-
lité de rembourser son crédit colos-
sal de 44 milliards de dollars, l e plus
important jamais accordé par le
FMI. Depuis deux ans, le pays
s’enfonce dans la pire crise écono-
mique depuis 2001, lorsque l’Argen-
tine avait connu le défaut de paie-
ment le plus important d e l’histoire.
« Ce qui est intéressant, c’est que le
FMI avalise la lecture du gouverne-
ment, en reprenant quasiment mot
pour mot les précédentes déclara-
tions du ministre de l’Economie,
Martín Guzmán, observe Martín
Kalos, économiste à la tête du cabi-
net de conseil Elypsis. Mais l’insou-
tenabilité d e la dette était déjà c onnue
car le pays ne parvenait pas à se refi-
nancer. » Selon les valeurs indi-
quées par le gouvernement, la dette
argentine représente 90 % du PIB,
soit 311 milliards de dollars au total.
Appel aux créanciers privés
La convergence de regards émer-
geant de cette première mission
d’une semaine apporte un outil de
négociation crucial pour la res-
tructuration de la dette auprès des
créanciers privés. Car, élément clé
du communiqué, le FMI en appelle
directement à la volonté des déten-
teurs d’obligations afin d’« aider à
restaurer la soutenabilité de la
dette ». Cette « contribution
notoire », selon les termes géné-
raux de l’institution, pourrait revê-
tir plusieurs formes : effacement
d’une partie du capital, allonge-
ment des délais de paiement ou
abaissement des intérêts.
C’est cette dette aux échéances
très courtes qui essouffle notam-
ment la capacité de paiement de
l’Argentine. « Techniquement et,
selon nos estimations, le pays peut
actuellement payer les obligations
jusqu’au mois de juin, évalue l’éco-
nomiste Martín Kalos. Il s’agit de la
date limite du gouvernement pour
renégocier avec les créanciers privés
et éviter le défaut de paiement. »
Dans son communiqué, le FMI
souligne les mesures déployées
par le gouvernement pour faire
face à l’augmentation de la pau-
vreté et stabiliser l’économie, tout
en cherchant à augmenter ses
recettes. Par ailleurs, « les réserves
internationales et le peso se sont sta-
bilisés avec l’aide des contrôles de
capital et une balance commerciale
positive », remarque le Fonds, qui
en appelle à davantage d’efforts
afin d’endiguer l’inflation. En 2019,
celle-ci a atteint 53,8 %.
Celui qui porte le dossier de la
renégociation va pouvoir s’entrete-
nir directement avec la directrice du
FMI, Kristalina Georgieva, ce week-
end à Riyad, en Arabie saoudite, lors
du G20 Finances. Les deux repré-
sentants ont confirmé une rencon-
tre formelle. Le gouvernement
argentin a annoncé une ambitieuse
date butoir pour renégocier la dette
publique : le 31 mars 2020.n
AMÉRIQUE DU SUD
Le Fonds monétaire
international a achevé,
mardi, une mission
d’une semaine
en Argentine.
Objectif : renégocier
le prêt du pays.
Michel De Grandi
@MdeGrandi
L’exercice s’annonçait périlleux
tant le paysage politique tuni-
sien depuis les élections d’octo-
bre est morcelé. Les discussions
ont été à la hauteur des e njeux. I l
a fallu pas moins de quatre mois
pour former un gouvernement
au terme d’un bras de fer et de
plusieurs rebondissements
entre le président Kaïs Saïed et
Ennahdha, le parti d’inspiration
islamiste, première force politi-
que au Parlement depuis les
élections législatives d’octobre.
Elyes Fakhfakh, le Premier
ministre désigné par le prési-
dent, a présenté, mercredi soir,
une nouvelle liste de ministres.
Ce gouvernement « regroupe
toutes les familles politiques, des
cadres de partis et des personnali-
tés indépendantes », a-t-il souli-
gné dans une déclaration télévi-
sée. Ce gouvernement bénéficie,
cette fois, du soutien d’Enna-
hdha, qui votera la confiance au
Parlement où il dispose de 54
députés, sur un total de 217.
Trente-deux ministres
Au total, cette nouvelle liste com-
prend 32 ministres, dont
7 appartenant à Ennahdha, et
confie les ministères régaliens à
des personnalités n’ayant pas de
lien direct avec des partis. La Jus-
tice et l’Intérieur, très convoités
par Ennahdha, ont été confiés
respectivement à une juge pré-
sentée comme indépendante,
Thouraya Jeribi, et à un ancien
cadre ministériel qui venait d’être
nommé conseiller juridique de la
présidence, Hichem Mechichi.
La Défense revient à l’ancien diri-
geant de l’Instance nationale
d’accès à l’information (INAI),
Imed Hazgui, et les Affaires
étrangères à un ancien ambassa-
deur à Oman, Noureddine Errai.
Le parti de Rached Ghan-
nouchi a justifié, mercredi soir,
sa décision de soutenir ce gou-
vernement par la nécessité de
prendre « en considération la
situation économique et
sociale » du pays ainsi que le
conflit en Libye voisine, néces-
sitant de former un gouverne-
ment rapidement. Il ne reste
plus qu’à fixer, d’ici à quelques
jours, une date pour le vote de
confiance qui devrait mettre fin
à quatre mois de crise politique.
Le pire a été évité de justesse.n
La Tunisie
évite
le retour
aux urnes
MAGHREB
Le Premier ministre
tunisien, Elyes
Fakhfakh, a pré-
senté un gouverne-
ment amendé après
d’âpres négociations
avec Ennahdha, le
parti d’inspiration
islamiste.
Marat Khousnoulline a été appelé au gouvernement par son ami
Mikhaïl Michoustine, l’ex-patron du fisc devenu nouveau chef
du gouvernement russe. Photo Yekaterina Shtukina/Pool/Tass/Sipa