16 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 6 Mars 2020
P
our la palme du people, il n’y
a pas photo. De son escale
surréaliste au KFC de Stras-
bourg-Saint-Denis au défilé de sa
marque Yeezy au siège du PCF (l’Es-
pace Niemeyer, place du Colonel-
Fabien) en passant par la messe
gospel donnée aux Bouffes du Nord,
sans compter les shows auxquels il
a assisté, Kanye West a réalisé (avec
Kim Kardashian et leur fille North)
le hold-up médiatique de cette Fa-
shion Week parisienne. Enfin, si on
exclut Covid-19.
Risques sanitaires, impact écono-
mique : le coronavirus a plombé la
caravane fashion qui venait de faire
escale à Milan pile au moment où
l’Italie du Nord devenait un foyer
de contamination. Et chaque jour,
de nouveaux éléments ont ali-
menté le bourdon : report d’événe-
ments (défilés, présentations,
cocktails), départ anticipé de jour-
nalistes et d’acheteurs (américains,
notamment), suppression de publi-
cités. S’ils étaient rares à porter lit-
téralement le masque, il était, au
sens figuré, partout. Un contexte
anxiogène a priori moyennement
propice à l’insupportable légèreté
de la mode. Mais c’est oublier que
cette industrie n’est pas que stra-
tosphérisée, et que les vestiaires
ont aussi un effet miroir ou radar
de l’époque. Ce que cette salve a
rappelé, avec un état d’esprit bien
de saison.
C’EST LA FIN DU MONDE,
AUTANT S’ADAPTER
Covid-19 aurait pu s’abstenir, on
avait déjà tout ce qu’il fallait pour
flipper. Pour preuve, les collections
conçues des mois plus tôt sont tra-
versées par la menace climatique.
Chez Balenciaga, on est carrément
plongé dans l’apocalypse... et c’est
magistral, de la mise en scène (po-
dium inondé, avec les deux pre-
miers rangs sous l’eau, sous un ciel
où se déchaînent les éléments) aux
vêtements : 109 silhouettes (fémini-
nes et masculines, comme dans la
plupart des défilés) où Demna
Gvasalia mêle impeccablement les
codes maison (le noir, la précision
géométrique, les volumes contrô-
lés) et les siens (les épaules façon
chauve-souris ou ultracarrées, car-
toonesques, les bottes-leggings, les
emprunts au sport).
Pour la survie, on peut aussi se
tourner vers Marine Serre, as du
recyclage (jusqu’au tapis de mamie
transformé en jupe), pourvoyeuse
de masques-cagoules de guerrière
mais aussi d’une robe salamandre
(pour l’imprimé) soyeuse, légère,
protégée par un imperméable
transparent pour parer aux quatre
vents. Chez Kenzo, pour sa pre-
mière collection, Felipe Oliveira
Baptista célèbre le nomadisme qui
sera sans doute obligé. Il s’adresse
moins aux millennials que ses pré-
décesseurs, évite aussi l’exotisme,
propose un «post-sportswear».
Confort (grand volume et rien de
contraignant), longueur (une im-
mense parka fleurie à casquette in-
tégrée, un majestueux trench en
cuir noir), souci du détail (des ca-
puches et des cols), Baptista est aux
petits soins.
OUI MAIS CARPE DIEM
Joyeuse, cool, écoresponsable et ve-
gan : Stella McCartney tient bien
sa ligne. Cette fois, elle épate avec
son travail sur le faux cuir. Perforé
ou non, il donne des trenchs très
longs et très classes, à manches gi-
gots et ceinturés bas. La pièce maî-
tresse d’une arpenteuse, active, ja-
mais entravée, adepte du confort
(combinaisons à grandes poches,
tailleurs-pantalons à chouettes
échos masculins) mais aussi du raf-
finement – ces jeux d’asymétrie, de
nouage.
Chez Hermès, Nadège Vanhee-Cy-
bulski, jusque-là plutôt bonne élève
mais bien sage, surprend agréable-
ment avec une collection enlevée,
presque gaie, dans laquelle on se
projette facilement. Tout est dans le
détail, la qualité des matières, les
couleurs primaires qui dominent
cette saison : une robe-chemise au
Par
SABRINA CHAMPENOIS
et MARIE OTTAVI
Photos LUCILE BOIRON
Défilé Rick Owens au Palais de Tokyo, le 26 février.
Défilé Balenciaga, le 1er mars à Saint-Denis.
FASHION WEEK
La mode en découd
avec le réel
Sur fond plombant de coronavirus, les défilés
parisiens du prêt-à-porter féminin automne-hiver
ont reflété les enjeux sociétaux en cours,
à commencer par la crise climatique.
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