Les Echos - 06.03.2020

(sharon) #1

04 // ÉVÉNEMENT Vendredi 6 et samedi 7 mars 2020 Les Echos


EUROPE


Olivier Tosseri
@OlivierTosseri
— Correspondant à Rome


« No us devons nous préparer à vivre
sûrement les deux mois les plus com-
pliqués de l’Italie depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale. »
L’avis
de Giovanni Di Perri, l’un des plus
éminents virologues italiens, est
partagé par Giuseppe Conte.
S’adressant à la nation dans une in-
tervention télévisée, jeudi, il a
adopté les accents des heures gra-
ves. Celles d’une guerre contre un
virus dont la rapidité de diffusion
inquiète et menace la résistance de
l’économie italienne.
« Quand cette crise sera terminée,
nous serons fiers de constater qu’un
pays entier l’a affrontée avec courage
et détermination, décidé à relever la
tête,
a déclaré le président du Con-
seil. Quand il est touché, notre pays
sait se redresser et redevenir plus fort
qu’avant. Notre premier objectif est
d’endiguer la contagion. »

Selon un dernier bilan, jeudi
après-midi, 41 d écès ont é té enregis-
trés en vingt-quatre heures, portant


à 148 le nombre de morts. Le nom-
bre de cas confirmés s’élève à 3.858.
Le gouvernement n’a aucun doute
sur le fait que le système sanitaire
est au bord de l’asphyxie et « risque
d’être débordé », a-t-il reconnu. C eux
de la Lombardie, de Vénétie et
d’Emilie-Romagne, qui sont les
plus organisés et les mieux dotés,
rencontrent des difficultés crois-
santes. Une arrivée du virus dans le
Sud deviendrait ingérable.
Le système hospitalier, dont les
Italiens assurent qu’il est le
meilleur du monde, souffrait déjà
avant l’éclatement de la crise.
Après une décennie de coupes
budgétaires, i l manque

56.000médecins et 50.000 infir-
miers. 758 services ont été fermés
ces cinq dernières années.

Des retraités de la santé
reprennent du service
Le gouvernement a promis un plan
pour augmenter de 50 % les capaci-
té s des services de thérapies inten-
sives et de 100 % celles des maladies
infectieuses. Le ministère de la
Défense a mis à disposition dans ses
structures 2.200 chambres, ce qui
représente 6.600 lits dans toute
l’Italie, ainsi que des casernes. Du
personnel médical à la retraite
reprendra du service pour remé-
dier au manque de ressources
humaines dans les hôpitaux.
« L’unique moyen d’éviter la crise
est d’enrayer la rapidité de diffusion
du virus », a expliqué Giovanni
Rezza, le directeur du départe-
ment des maladies infectieuses de
l’Istituto Superiore di Sanità (ISS).
C’est la principale cause de la fer-
meture, jusqu’au 15 mars prochain,
de tous les établissements scolai-
res du pays, qui seront désertés par
8,5 millions d’écoliers et d’étu-
diants. « La décision n’a pas été
facile, mais nous l’avons prise à titre
de précaution », a commenté

devant la presse la ministre de
l’Education, Lucia Azzolina, tout
en « s’engageant » à ce que « ce ser-
vice public essentiel continue à être
assuré à distance ». Un plan de sou-
tien pour les familles est à l’é tude,
avec l’octroi d’indemnités ou de
congés parentaux.
Une aide qui concernera aussi et
surtout les entreprises. Le gouver-
nement a décidé de doubler les res-
sources initialement prévues à cet
effet. Elles seront de 7,5 milliards
d’euros, soit 0,3 % du PIB, et feront
l’objet d’un décret qui précisera la
semaine prochaine toute une série
de mesures à destination principa-
lement des PME-PMI et des
familles. L’économie italienne, déjà
anémique, est durement frappée
par l’épidémie. Les principaux
foyers de contagion se situent dans
les trois régions du Nord qui assu-
rent à elles seules 40 % d e son P IB, et
le tourisme qui représente 13 % du
PIB est menacé.
Confturismo et Confcommercio
prévoient ainsi 31,6 millions de tou-
ristes en moins pour la période
allant du 1er m ars au 31 mai, soit une
perte de 7,4 milliards d’euros. L’Ita-
lie est en état d’urgence aussi bien
sanitaire qu’économique.n

lLes hôpitaux des régions du Nord, pourtant les mieux organisés, sont proches


de la surchauffe, alors que 41 décès ont été enregistrés en vingt-quatre heures.


lLa propagation du virus dans le Sud, plus pauvre et moins équipé, mettrait


en péril le système sanitaire transalpin.


Coronavirus : le système


hospitalier italien en danger


Alexandre Counis
@alexandrecounis
— Correspondant à Londres


Fe rmer le Parlement britannique
pendant cinq mois pour mieux lut-
ter contre la propagation du Corona-
virus. C’est l’une des idées actuelle-
ment à l’étude outre-Manche, où les
650 députés ont été identifiés com-
me autant de « superspreaders ».
« Nous avons là 650 personnes
qui passent la moitié d e leur
semaine dispersés aux quatre coins
du pays pour y rencontrer les élec-
teurs de leur circonscription, et
l’autre moitié à s’affronter à West-


La Chambre des communes
et celle des Lords pourraient
rester fermées entre avril
et septembre, soit la plus
longue pause depuis 1914.


minster. Ce sont 650 “supersprea-
ders” », a indiqué une source au
« Times ». De leur côté, les lords
sont près de 800. S’y ajoute le per-
sonnel du Parlement, qui atteint
environ 3.000 personnes.

160 jours d’interruption
Se lon le quotidien, des plans sont à
l’étude pour laisser fermer la
Chambre des communes et celle
des lords après le traditionnel
congé de Pâques, qui doit com-
mencer le 31 mars. Dans un tel scé-
nario, leurs travaux ne repren-
draient pas avant la rentrée de
septembre. Ce qui reviendrait à
160 jours d’interruption, soit la
plus longue pause parlementaire
depuis 1914.
Aucune décision n’est prise à ce
stade. L’arbitrage sera rendu par le
Speaker de la Chambre des com-

munes, Lindsay Hoyle, et celui de la
Chambre des lords, Norman
Fowler, en accord avec le gouverne-
ment, conseillé par le médecin en

chef p our l’Angleterre, Chris
Whitty. Celui-ci s’est entretenu ces
derniers jours avec Lindsay Hoyle
et le ministre des Relations avec le
Parlement, Jacob Rees-Mogg.

De telles réflexions interviennent
alors même que les députés doi-
vent voter, dans les prochaines
semaines, un texte législatif qui
donne temporairement au gouver-
nement des pouvoirs extraordinai-
res pour lutter contre le coronavi-
rus. Ces pouvoirs devront être
renouvelés par u n nouveau vote des
députés tous les 28 jours, avertit
dans le « Guardian » le travailliste
Chris Bryant.
En attendant de décider de fer-
mer ou non le bâtiment, les res-
ponsables du Parlement britanni-
que cherchent à réduire l’accès au
palais d e Westminster. L’édifice qui
abrite les deux Chambres, sur les
bords de la Tamise à Londres,
accueille un million de visiteurs
chaque année. Et près de
10.000 personnes bénéficient d’un
badge d’accès.n

Le Parlement britannique pourrait fermer plusieurs mois


Le bâtiment
accueille un million
de visiteurs
chaque année.

Et près de
10.000 personnes
bénéficient
d’un badge d’accès.

Une tente a été montée devant l’hôpital de Crémone, en Lombardie, afin de trier les patients. Phot o Miguel Medina/AFP


« L’ unique moyen
d’éviter la crise
est d’enrayer
la rapidité de
diffusion du virus. »
GIOVANNI REZZA Directeur
du département des maladies
infectieuses de l’Istituto
Superiore di Sanità

contre les maladies (CDC). Plus
concrètement, les Etats afri-
cains ont donc mis en place aux
frontières, avec l’aide de l’Orga-
nisation mondiale de la santé
(OMS), des systèmes de détec-
tion des cas suspects. Après u ne
prise systématique de tempéra-
ture, les cas litigieux sont orien-
tés vers des structures d’isole-
ment et de traitement dans les
aéroports. En fait, c’est toute la
chaîne qui a gagné en réactivité.
Pour prévenir l’arrivée du
coronavirus, la surveillance
s’est accrue et, dans son sillage,
la coordination à l’intérieur des
pays. Déjà mobilisées p ar Ebola,
les autorités sanitaires congo-
laises, par exemple, prennent la
température des voyageurs dès
leur descente d’avion à l’aéro-
port de Kinshasa ou quand ils
traversent le fleuve Congo vers
Brazzaville, la capitale du
Congo voisin. Aidé par le Japon,
Kinshasa vient aussi d’inaugu-
rer un centre de diagnostic et de
recherche au sein de son Insti-
tut national de recherche biolo-
gique (INRB). Mais ces exem-
ples sont encore rares.

Faibles dépenses
de santé
Bien que confrontés à des
maladies multiples comme le
paludisme, l e choléra ou la rou-
geole, les pays africains fonc-
tionnent avec des systèmes de
santé publique souvent rudi-
mentaires. D’après la Banque
mondiale, les dépenses de
santé s’élevaient en 2016 à
78 dollars par habitant en Afri-
que subsaharienne, alors que
la moyenne mondiale s ’établit à
1.026 dollars, l’Amérique du
Nord culminant pour sa part à
9.351 dollars quand l’Union
européenne affiche une
moyenne de 3.846 dollars.n

Michel De Grandi
@MdeGrandi
Avec V. R.

Ebola n’a pas fini de hanter
l’Afrique, mais cette fois le virus
a un impact positif sur le conti-
nent. L’expérience acquise au
travers des luttes contre les dif-
férentes épidémies survenues
en République démocratique
du Congo et en Afrique de
l’Ouest permet aujourd’hui de
prendre les mesures ad hoc con-
tre le coronavirus. « L’Afrique a
géré d es épisodes Ebola depuis dix
ans dans l’indifférence totale. La
mobilisation des acteurs locaux
était remarquable, comme les
centres Ebola en Guinée fores-
tière. Il y a parfois eu de la désor-
ganisation mais il y a aussi une
expérience de pandémie en Afri-
que », observe une source à l’Ely-
sée. A ce stade, le continent afri-
cain semble peu touché, à en
juger par les chiffres officiels.
L’Afrique du Sud a annoncé
jeudi avoir identifié un premier
cas du nouveau coronavirus
sur son territoire, u n homme d e
38 ans qui a récemment
séjourné en Italie. Il v ient s’ajou-
ter aux deux autres officielle-
ment confirmés en Afrique
subsaharienne, au Nigeria et au
Sénégal. L’Egypte a été le pre-
mier pays à déclarer une conta-
mination au coronavirus. La
situation actuelle n’a, bien
entendu, rien à voir avec les
11.000 morts enregistrés en
2014-2016 en Guinée, au Liberia
et en Sierra Leone. Mais la pro-
blématique de base est la
même. Il s’agit de lutter contre
l’expansion de l’épidémie.

Aide de l’OMS
Début février, les représentants
de laboratoires de quinze pays
du continent s e sont r etrouvés à
Dakar, à l’Institut Pasteur (IPD),
pour améliorer leurs outils de
diagnostic et mieux coordon-
ner leurs actions. Reconnu
pour son expertise en virologie
et notamment dans les virus
épidémiologiques, l’IPD a été
missionné par le Centre afri-
cain de prévention et de lutte

Malgré un premier cas
en Afrique du Sud, le
continent est encore peu
touché par le coronavirus.
Les pays subsahariens
s’appuient sur leur
expérience d’Ebola
pour s’organiser contre
le virus venu de Chine.

L’Afrique tire


les leçons d’Ebola


pour se protéger


Le forum économique
de Saint-Pétersbourg annulé

La Russie a annulé à cause du coronavirus
son principal forum économique prévu début juin
à Saint-Pétersbourg, qui accueille chaque année
des milliers de personnes du monde entier.
« Afin de protéger la santé des citoyens russes, des
invités et des participants au forum, cette année,
[les organisateurs] ont décidé de ne pas le tenir »,
a indiqué aux agences russes le représentant
d’Andreï Belousov, vice-Premier ministre
et président du comité d’organisation.

RETROUVEZDOMINIQUESEUX
DANS «L’ÉDITO ECO »
À7H
DULUNDIAUVENDREDI

SUR


« L’Afrique a géré
des épisodes
Ebola depuis
dix ans dans
l’indifférence
totale.
La mobilisation
des acteurs
locaux était
remarquable. »
UNE SOURCE À L’ ÉLYSÉE
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