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MARDI 3 MARS 2020 planète| 13
Le ministre de la santé,
Olivier Véran,
et la porteparole
du gouvernement,
Sibeth Ndiaye, samedi
29 février, à l’Elysée.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
POUR « LE MONDE »
2 000 km
Tokyo
Mer
du Japon
OCÉAN
Kyushu PACIFIQUE
Shikoku
Honshu
Hokkaido
Préfecture
d’Ehime
Préfecture
d’Ishikawa
Préfecture
de Chiba
JAPON
Après des semaines d’apathie, le Japon
engage la bataille contre l’épidémie
Le gouvernement de Shinzo Abe tente d’imposer la fermeture de toutes les écoles du pays,
tandis que les magasins manquent de papier toilette, de lait et de pâtes
tokyo correspondance
A
près des semaines de trai
tement en dilettante de
l’épidémie de pneumo
nie Covid19, le gouvernement ja
ponais a sonné la mobilisation
générale, alors que l’Archipel
comptait, lundi 2 mars, 961 cas,
dont 12 mortels. Adoptant des ac
cents martiaux, le premier minis
tre, Shinzo Abe, a parlé, le 29 fé
vrier, du virus comme d’un « en
nemi inconnu et invisible » contre
lequel il faut mener « bataille »
avec « le soutien de tous ».
M. Abe a choisi d’intervenir pu
bliquement – une première de
puis le début de l’épidémie – deux
jours après l’appel de son cabinet à
des mesures fortes, suivi de la fer
meture des musées, de l’annula
tion ou du report d’événements
culturels ou sportifs. Il voulait
aussi justifier sa demande de fer
mer toutes les écoles du pays du
2 au 19 mars. Cette période sera sui
vie de deux semaines de vacances
scolaires. Les élèves sont donc en
congé pour un mois.
Cette demande a suscité colère et
confusion chez les parents
comme chez les enseignants, car
le mois de mars est le dernier de
l’année scolaire. « Je l’ai appris à la
télévision », confie une profes
seure de lycée préférant garder
l’anonymat : « L’utilité de la mesure
n’est pas prouvée. Les experts ont
évoqué la possibilité de fermer une
école temporairement mais n’ont
jamais parlé de les fermer toutes. »
Le gouvernement ne peut impo
ser la fermeture, qui dépend des
autorités locales. Le gouverneur
d’Hokkaido (Nord), Naomichi
Suzuki, a pris cette mesure le 26 fé
vrier – avant le gouvernement
donc –, compréhensible car son
département est le plus concerné
par l’épidémie. Pas touchés jus
qu’à présent, d’autres départe
ments, comme Ehime (Ouest) ou
Ishikawa (Centre), ont choisi en re
vanche d’attendre quelques jours
avant de fermer les établisse
ments scolaires.
« Amateurisme »
Pour les familles monoparentales
notamment, ou celles dont les
deux parents travaillent, il faut
s’organiser. « Nous mobilisons les
grandsparents », explique la mère
d’un élève de cours préparatoire
de l’école Shinyama, dans l’arron
dissement de Nakano à Tokyo,
dont les parents vivent près de
chez elle. Sans solution dans l’en
tourage, il faut garder les enfants à
la maison, ce qui a un coût. Shinzo
Abe a promis des dédommage
ments, mais les détails restent
flous. Très critique de l’attitude du
gouvernement, Toshihito Kuma
gai, le maire de Chiba, à l’est de
Tokyo, a proposé des prêts relais
pour les personnes « perdant leur
emploi ou affectées d’une baisse de
salaire à cause de la politique gou
vernementale ».
Du côté des employeurs, déjà
touchés par le ralentissement éco
nomique, des entreprises comme
Hitachi ou Dentsu – qui compte
un employé malade – facilitent le
télétravail et se disent prêtes à
faire preuve de souplesse. D’autres
proposent aux salariés de prendre
des congés payés.
La situation crée un sentiment
de panique chez certains Japonais,
qui craignent de se retrouver coin
cés chez eux plusieurs semaines.
« La semaine, voire les deux semai
nes qui viennent seront détermi
nantes » pour la maîtrise du coro
navirus, a expliqué M. Abe. Après
la pénurie de masques, le Japon est
touché par celle de papier toilette,
de lait et de pâtes.
Selon Koichi Nakano, politolo
gue de l’université Sophia, la ges
tion de l’épidémie de Covid19 est
« marquée par un certain amateu
risme ainsi qu’un manque de trans
parence et d’anticipation ». Le pre
mier ministre n’a participé que
quelques minutes aux réunions
de la commission chargée de ré
pondre à la crise du SARSCoV2. Il
a demandé la fermeture des éco
les, mais n’a pris aucune mesure
pour les transports ou les person
nes âgées, pourtant premières vic
times du coronavirus et qui repré
sentent 28,6 % de la population.
« Rien n’a été fait pour préparer le
Japon à une forte hausse des cas.
Les mesures annoncées le 29 février
par Shinzo Abe ne seront finalisées
que dans dix jours », ajoute le Pr Na
kano. Deux cent soixantedix mil
liards de yens (2,2 milliards
d’euros) vont être débloqués pour
aider les petites et moyennes en
treprises affectées par la ferme
ture des écoles et les conséquen
ces de l’épidémie.
Le gouvernement est aussi soup
çonné d’avoir sciemment limité
l’accès aux tests du coronavirus,
une situation illustrée par la dé
sastreuse gestion du bateau de
croisière DiamondPrincess, à bord
duquel 711 passagers et membres
d’équipage ont été contaminés.
Hors du navire, le recours aux
tests n’était recommandé que
pour les personnes enregistrant
quatre jours – deux jours pour les
personnes âgées – de fièvre supé
rieure à 37,5 degrés. Au Parlement,
l’opposition a évoqué des malades
allant d’hôpital en hôpital avant
de pouvoir être testés, seul un
nombre limité d’établissements
étant autorisés à le faire. « La situa
tion est typique de la bureaucratie
japonaise, avec des fonctionnaires
redoutant une pénurie de person
nels et de tests, et qui ne veulent uti
liser que des tests développés au
Japon », note le Pr Nakano.
Cette politique, désormais inflé
chie puisque la capacité de tests va
être augmentée et qu’ils seront
mieux remboursés, aurait visé
également à minimiser le nombre
de patients afin de ne pas menacer
deux événements importants
pour M. Abe : la visite d’Etat du pré
sident chinois, Xi Jinping, prévue
en avril, et les Jeux olympiques
d’été à Tokyo.
philippe mesmer
Dans la région de Creil, dans l’Oise,
mesures exceptionnelles et inquiétude
Pour neuf communes du département, les autorités invitent à limiter les déplacements
creil (oise) envoyée spéciale
D
ans la gare de Creil, sa
medi 29 février, les rires
d’une bande de jeunes
filles résonnent au milieu des
voyageurs pressés. Téléphone à la
main, elles balayent les derniers
messages reçus sur les réseaux
sociaux. Tous évoquent le corona
virus à Creil et les mesures excep
tionnelles annoncées par le gou
vernement en début d’aprèsmidi
pour éviter la propagation de
l’épidémie. « Il vaut mieux en rire
qu’en pleurer, lance Hawa Niang.
Moi, je préfère continuer de vivre
ma vie que de céder à la panique. »
A Creil, l’un des deux principaux
foyers du virus en France, « tous
les rassemblements seront inter
dits jusqu’à nouvel ordre », a af
firmé le ministre de la santé, Oli
vier Véran, et les établissements
scolaires ne rouvriront pas pour la
rentrée de la zone B, initialement
prévue lundi 2 mars. Dans neuf
communes de l’Oise particulière
ment touchées (Creil, Montataire,
NogentsurOise, VillersSaint
Paul, CrépyenValois, Vaumoise,
Lamorlaye, LagnyleSec, Lacroix
SaintOuen), les autorités recom
mandent aux habitants de « limi
ter leurs déplacements » et « si pos
sible recourir au télétravail ».
Sur les photos que la bande de
copines fait défiler, on distingue
des silhouettes vêtues d’une
combinaison devant une ambu
lance, sans certitude que la scène
se soit déroulée dans la ville. « On
ne sait pas si c’est vrai mais ça
tourne beaucoup sur Snapchat et
ça suffit pour que tout le monde
angoisse », note Hawa Niang. Sur
d’autres, on aperçoit les étagères
vides dans plusieurs grandes sur
faces, accompagnées d’une invi
tation à s’y ruer « pour se consti
tuer des stocks », au cas où la ville
serait mise en quarantaine.
Dans le supermarché Auchan le
plus proche, à NogentsurOise,
certains rayons de denrées de
base se vidaient, en effet, plus ra
pidement qu’à l’accoutumée.
« On assiste à une psychose, note
Cédric Lemaire, adjoint au maire
de Creil. La même scène s’est pro
duite à Compiègne, dans le Carre
four où je travaille, les rayons de
pâtes se vident. »
Samedi 29 février, les annonces
ont donné lieu à de multiples réu
nions entre la municipalité et les
autorités. A 21 heures, les élus de la
ville, rassemblés dans la salle du
conseil municipal, font un dernier
point de la situation. JeanClaude
Villemain, le maire, y transmet les
consignes reçues par la préfecture.
« Plus de rassemblements autori
sés, donc plus de réunions publi
ques jusqu’à nouvel ordre. »
Face à lui, certains candidats à sa
succession sont présents. « Nous
mettons la campagne des munici
pales au second plan et allons
nous réorganiser en renforçant
notre présence sur les réseaux so
ciaux. Mais aujourd’hui, la priorité
est de répondre à l’inquiétude de
nos concitoyens », assure Hicham
Boulhamane, candidat pour la
liste citoyenne Génération Creil.
« Des trous dans la raquette »
Une fois de retour dans son bu
reau, JeanClaude Villemain s’ef
fondre dans son fauteuil et res
sasse les mesures. « Les décisions
des autorités sont rapides, mal
étudiées, donc les applications
sont difficiles et il y a des trous
dans la raquette », souffletil.
Et le maire de relever plusieurs
« paradoxes ». « La préfecture
ferme les établissements scolaires
mais pas les crèches. Les rassem
blements sont interdits, mais les
transports, souvent bondés à Creil,
continuent de circuler », explique
til. Des mesures jugées incom
plètes, qui ont conduit la mairie à
prendre la décision de fermer les
crèches et d’arrêter tous les en
traînements sportifs.
Mais la commune se dit incapa
ble de tout gérer : « Nous ne som
mes pas en confinement, donc
tout le monde peut circuler
comme bon lui semble. De nom
breux jeunes de Creil étudient dans
d’autres établissements de la ré
gion, qui ne sont pas concer
nés par les fermetures. »
Creil n’est qu’à 30 minutes de
Paris en TER. Chaque jour, près de
18 000 habitants de la commune
font l’allerretour pour la capitale.
Alors, à la gare du Nord, il faut
jouer des coudes pour se faire une
place dans le train. Pour beau
coup, le trajet se fait debout. « On
nous demande de réduire nos dé
placements mais on doit tra
vailler, pas le choix, indique
Samira. Alors on va continuer de
vivre comme avant. »
A bord, pas de panique tangible
malgré la promiscuité. Même si
les regards trahissent une cer
taine suspicion dès qu’un voya
geur éternue. Devant la gare,
deux sœurs, attendent leurs pa
rents emmitouflées dans leurs
manteaux. L’une d’elles porte un
masque chirurgical sur le visage.
« Si je le mets, c’est parce que j’ai
peur lorsque j’entends les gens
tousser », confie Aure Debay,
19 ans.
louisa benchabane
Bilan A la date du lundi
2 mars, l’épidémie a fait plus
de 3 000 morts dans le
monde. En Chine, où le virus
est apparu fin 2019, les auto
rités ont annoncé 42 nou
veaux décès, portant le total
de la maladie à 2 912 morts.
L’Iran est le pays où le corona
virus a provoqué le plus de
décès après la Chine, avec un
bilan provisoire de 54 morts.
Circulation La Corée du Sud,
deuxième pays le plus touché
après la Chine, recense lundi
un total de plus de 4 000 con
taminations. En Italie, quelque
500 nouveaux cas ont été
identifiés dimanche, portant
le nombre de contagions à
près de 1 700 dans le pays. L’Al
lemagne enregistre 129 cas.
Mortalité Le taux de morta
lité semble être de 2 % à 5 %,
selon l’Organisation mon
diale de la santé. Les symptô
mes sont bénins pour la plu
part des malades, sérieux
(pneumonies) pour 14 %
d’entre eux, et 5 % des per
sonnes atteintes sont dans
un état critique.
CE QU’IL FAUT SAVOIR
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