14 |planète MARDI 3 MARS 2020
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teindra pas les 2 %, prédit M. Nakorn
thab. La crise est aussi un coup dur pour
l’Egypte, où cette industrie (12,5 % du
PIB) était en train de regagner des cou
leurs, après avoir été en souffrance, de
puis la révolution de 2010. Le nombre de
touristes était reparti à la hausse en 2018.
Et 2020 devait être un bon cru. Le Caire
tablait notamment sur l’inauguration de
son nouveau musée d’archéologie, à
proximité des pyramides de Gyzeh, fin
2020, pour parachever la relance du sec
teur. Près de 10 % des emplois du pays en
dépendent. Las. 2020 démarre sous de
très mauvais auspices. Le Japon est aussi
plongé dans l’inquiétude. L’Archipel, qui
doit accueillir les Jeux olympiques du
24 juillet au 5 août, espère la venue de
40 millions de touristes.
Enfin, le secteur est durement affecté
par les mesures mises en œuvre au sein
des entreprises pour limiter voire inter
dire les déplacements de leurs collabora
teurs. Toutes les multinationales dont
Amazon, Nike, Google, LVMH... ont res
treint les voyages de leurs personnels. A
Hongkong, les hôtels qui commençaient
tout juste à retrouver leur clientèle d’af
faires, qui avait déserté depuis les mani
festations prodémocratie, se trouvent
maintenant confrontés au virus.
Dès lors, les grands opérateurs du tou
risme et de l’hôtellerie sont dans l’œil du
cyclone. En Bourse, à New York comme à
Paris, les titres Marriott, premier groupe
hôtelier mondial, Booking, le site de ré
servation, et autres Accor, propriétaire de
Novotel, sont malmenés. D’autant que la
perspective d’un retour prochain à la
normale est très incertaine. « Or, les mois
de mars et d’avril sont des périodesclés au
cours desquels les Français réservent leurs
vacances d’été », rappelle M. Kervalla.
juliette garnier
France, 2,2 millions de touristes sont chi
nois. En Thaïlande, la chute des arrivées
dans le pays pourrait atteindre 50 % au
premier semestre 2020. Or, les dépenses
des touristes étrangers représentent
20 % du PIB thaïlandais. Les pertes liées à
l’épidémie devraient atteindre cette an
née près de 7,4 milliards d’euros (soit
1,5 % du PIB), selon Don Nakornthab,
haut responsable à la banque centrale
thaïlandaise, cité dans la presse locale. A
tel point que le pays, dont la croissance a
atteint 2,4 % en 2019, a revu à la baisse ses
prévisions pour l’année 2020. Elle n’at
Phuket (PPEO), d’après la presse locale.
Des mesures de réduction de coûts sont
aussi prises en Europe. Car, depuis le
lundi 24 février, au lendemain de la sus
pension du Carnaval de Venise, la crise a
rattrapé les touropérateurs occiden
taux. En ligne et en agence, les réserva
tions de séjours touristiques se font très
rares. « Nos prises de commande sont en
chute de 35 % », rapporte M. Kervella, en
consultant son tableau de bord.
« La crise est mondiale. Aucun pays n’est
désormais épargné », reconnaît Laurent
Abitbol, président du directoire de Selec
tour. Le carnet de commandes des desti
nations asiatiques (en dehors de Chine) a
piqué du nez. « Dans une proportion de
40 % à 50 % par rapport à février 2018 »,
déplore Guillaume Linton, responsable
d’Asia, agence spécialisée dans les sé
jours organisés en Asie.
Facture salée
Ce repli menace de nombreux pays,
« plus encore qu’au lendemain des atten
tats du 11 septembre 2001 », juge un spé
cialiste du tourisme. Car, depuis, cette in
dustrie s’est partout fortement renfor
cée. Le secteur est devenu un poids lourd
de l’économie mondiale : un emploi sur
dix en dépend dans le monde, il génère
plus de 7 860 milliards d’euros de chiffre
d’affaires, selon le World Travel & Tou
rism Council. Soit 10,4 % du produit inté
rieur brut (PIB), mondial.
Nombre d’économies dépendent des
flots de touristes. A eux seuls, les
200 millions de touristes chinois géné
reraient pas moins de 277 milliards de
dollars (250 milliards d’euros) dépensés
par an, selon l’organisation mondiale du
tourisme UNWTO.
Dès lors, la facture de l’épidémie de co
ronavirus s’annonce salée. La seule
baisse des dépenses des touristes chinois
amputera les revenus du secteur d’au
moins 20 milliards d’euros, a estimé la
présidente du Conseil mondial des voya
ges et du tourisme (WTTC), Gloria Gue
vara, dans un entretien paru dans le quo
tidien espagnol El Mundo, jeudi 27 fé
vrier. Et il faudra probablement réviser ce
chiffre, prévient l’ancienne ministre du
tourisme du Mexique, en évoquant un
manque à gagner de 66,5 milliards
d’euros, si l’épidémie se prolongeait da
vantage que l’épisode infectieux de SRAS
observé en 2002 et 2003.
« L’épidémie de coronavirus a coûté
1 milliard d’euros par mois à l’industrie
touristique européenne », a déclaré, lundi
2 mars, Thierry Breton, commissaire
européen au marché intérieur. De fait,
en France où 87 millions de personnes se
rendent chaque année, le tourisme rap
porte 173 milliards d’euros de chiffre
d’affaires. Il représente 7,4 % du PIB. Et
20 % des emplois du pays en dépendent.
A ce titre, l’économie nationale dépend
beaucoup de la clientèle chinoise – en
L
a propagation du coronavirus
affecte les plus hauts lieux du
tourisme dans le monde. Le Lou
vre, l’un des monuments les
plus fréquentés de Paris, avec 9,6 mil
lions de visiteurs en 2019, est resté fermé
dimanche 1er mars. L’accès à La Mecque
est restreint, depuis le vendredi 28 fé
vrier. A Tokyo, les parcs d’attractions
Disneyland et Universal Studios ont
fermé leurs portes. Le groupe de KPop,
BTS, a renoncé à ses prochains concerts à
Séoul : ils devaient rassembler 200 000
personnes dans le stade olympique de la
capitale coréenne, en avril.
Partout dans le monde, l’industrie du
tourisme et du divertissement est tétani
sée. L’analogie avec les semaines de psy
chose qui ont suivi les attentats du
11 septembre 2001 est flagrante, à en
croire Olivier Kervella, PDG de Kappa
Club, spécialiste des séjours en club. L’ac
tivité s’est éteinte, par phases, mais cette
fois, d’est en ouest.
La crise du coronavirus a d’abord tou
ché l’Asie du SudEst. Faute d’arrivées en
provenance de Chine, au lendemain du
Nouvel An chinois, le nombre de touris
tes a baissé de 43,47 % en Thaïlande, en
tre le 1er et le 9 février, selon le ministre
thaïlandais du tourisme. Au Cambodge,
le site d’Angkor est désert. Dans la baie
d’Halong, au Vietnam, le nombre de visi
teurs a plongé de plus de 60 %. En Indo
nésie, et notamment sur l’île de Bali, le
taux d’occupation des hôtels est de l’or
dre de « 20 % à 30 % », rapporte le direc
teur d’un établissement, en s’inquiétant
du sort de ses daily workers, ses em
ployés qu’il embauche à la journée. A
Phuket, en Thaïlande, les guides touristi
ques, employés d’hôtel ou conducteurs
de bateau affluent au bureau de place
ment de l’Office provincial de l’emploi de
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
LA SEULE BAISSE DES
DÉPENSES DES TOURISTES
CHINOIS AMPUTERA
LES REVENUS
DU SECTEUR D’AU MOINS
20 MILLIARDS D’EUROS
tandis que le monde se calfeutre, le secteur de
l’événementiel tousse sérieusement. Les annonces
sont tombées les unes après les autres : après l’Asie, ce
sont les foires et salons européens qui sont annulés
ou reportés, victimes collatérales des craintes liées à
la propagation du SARSCoV2 sur le continent.
Samedi 29 février, le gouvernement français a an
noncé l’annulation de tous les « rassemblements de
plus de 5 000 personnes » en milieu fermé et de cer
tains événements en extérieur. Conséquence, le Sa
lon de l’agriculture a dû fermer ses portes un jour
plus tôt que prévu. En 2019, il avait attiré 630 000 per
sonnes, mais la fréquentation cette année est bien
moindre. « Cette édition aura été mauvaise pour nous.
Nous devrions être en dessous des 500 000 visiteurs.
Les trois premiers jours ont été bons, mais suivis par
trois jours d’effondrement après l’annonce de cas de
coronavirus en Italie », explique JeanLuc Poulain, le
président du salon. L’édition 2020 de Livre Paris, qui
attire 160 000 visiteurs, est aussi annulée. Quant au
Mipim de Cannes, rendezvous mondial des profes
sionnels de l’immobilier, il a été repoussé en juin.
Barcelone avait été une des premières villes en Eu
rope à jeter l’éponge en annulant le Salon mondial du
mobile mifévrier. Un coup dur pour la ville qui atten
dait 492 millions d’euros de retombées économiques
locales. Mais c’est la Suisse qui, vendredi 28 février, a
frappé fort en suspendant toutes les manifestations
réunissant plus de 1 000 personnes et ce jusqu’au
15 mars. A Genève, le Salon de l’automobile, grand
messe du secteur, qui devait ouvrir le 5 mars, en fait
les frais. Durant dix jours, 600 000 visiteurs étaient
attendus sur les stands.
Solutions alternatives
Cette décision politique est toutefois un soulagement
pour les organisateurs. « Il s’agit d’un cas de force ma
jeure, les exposants ne seront donc pas remboursés », a
indiqué Maurice Turrettini, le président du salon. Du
côté de la dizaine de constructeurs et des 160 expo
sants, l’addition est salée : les pertes se chiffrent à plu
sieurs millions d’euros sans compter les dégâts en ter
mes de communication. De nombreuses marques
devaient en effet présenter leurs nouveaux modèles.
Le canton de Genève estime ses pertes entre 200 et
250 millions de francs suisses (de 188 à 235 millions
d’euros). Et ce tandis que le Salon de l’horlogerie, sec
teurphare de l’industrie helvète qui marche déjà au
ralenti du fait de la crise politique à Hongkong, avait
annoncé la veille qu’il annulait son rendezvous an
nuel Watches & Wonders. A Berlin, le Salon interna
tional du tourisme est lui aussi annulé.
Ebranlés par cette crise sanitaire, les professionnels
du secteur doivent donc innover. La célèbre foire Art
Basel, qui devait se dérouler début mars à Hongkong,
sera remplacée par des présentations en ligne des
œuvres qui auraient dû être exposées. Obligés de ré
duire leur voilure et de pallier l’absence des acheteurs
asiatiques, certains salons ont mis en place des solu
tions alternatives. Ainsi, lors de la fashion week qui se
tenait la semaine dernière à Milan, la chambre de
mode italienne avait lancé le mouvement « China we
are with you » permettant à sa clientèle de visualiser
les défilés depuis leur lieu de confinement en Asie.
La question est maintenant de savoir combien de
temps durera la crise. Le directeur de l’Union des foi
res internationales, qui recense 32 000 événements
dans le monde, a certes estimé que son secteur était
« résilient ». Mais si les mesures restrictives devaient
s’inscrire dans la durée, les conséquences sur un
marché qui génère 1,3 million d’emplois et environ
137 milliards d’euros de dépenses directes pour
raient s’avérer colossales.
marie bourreau (genève, correspondance)
et laurence girard
Paris, Genève, Berlin... les salons internationaux touchés de plein fouet
Scénario catastrophe pour le secteur du tourisme
Partout dans le monde, la fréquentation des sites chute. Ce secteur pèse 10,4 % du PIB mondial
Portes closes au Louvre
La Joconde ne devrait pas recevoir de
visites, lundi 2 mars. Le Musée du
Louvre a fermé ses portes dimanche
1 er mars, à la suite du vote d’un droit
de retrait du personnel. Près de
300 salariés s’étaient réunis dans la
matinée pour se prononcer sur
l’exercice de ce droit qui permet à un
salarié de cesser le travail pour cause
de danger « grave et imminent pour
sa vie ou sa santé ». Au lendemain
de l’interdiction des événements
rassemblant plus de 5 000 personnes
en France, ce droit de retrait a été
voté à une « quasi-unanimité », selon
la CGT. Le Musée du Louvre accueille
près de 30 000 visiteurs par jour. Un
CHSCT (Comité d’hygiène, de
sécurité et des conditions de travail)
exceptionnel devait se tenir lundi
2 mars, dans la matinée.