22 |culture MARDI 3 MARS 2020
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Une Berlinale plus audacieuse
que son palmarès
Le jury présidé par Jeremy Irons a attribué l’Ours d’or
à « There Is No Evil », film de l’iranien Mohammad Rasoulof
L
e nouveau directeur artisti
que de la Berlinale, l’italien
Carlo Chatrian, ancien « pa
tron » de Locarno, voulait mar
quer les esprits pour cette édition
des 70 ans. La mission est accom
plie avec une compétition riche,
mêlant jeunes auteurs et cinéas
tes identifiés (Abel Ferrara, Phi
lippe Garrel, Tsai Mingliang, Phi
lippe Petzold...). La 70e édition de la
Berlinale s’est pourtant achevée
sur un palmarès déconcertant, sa
medi 29 février, consacrant les
« grands maîtres » plus que la nou
velle génération, alors que celleci
était porteuse de récits puissants,
aux formes audacieuses.
Le jury présidé par Jeremy Irons
a attribué l’Ours d’or à There Is No
Evil du cinéaste iranien Moham
mad Rasoulof, fresque en quatre
volets sondant la culpabilité de
l’âme humaine. Absent de Berlin,
le réalisateur est interdit de tour
nage par le pouvoir iranien depuis
plusieurs années. Il réussit tout de
même à réaliser ses films – Au Re
voir, Les manuscrits ne brûlent pas,
jusquelà sélectionnés à Cannes –
souvent sans autorisation de
tournage. Le jury berlinois semble
avoir été sensible aux questions
existentielles soulevées par There
is No Evil : l’enfermement, le di
lemme, la peine de mort... Mais ce
film à la mise en scène démons
trative, où le poids de l’intrigue of
fre trop peu d’espace aux comé
diens, n’était pas le plus passion
nant de la compétition.
Par comparaison, The Woman
Who Ran, qui a valu à Hong Sang
soo l’Ours d’argent du meilleur
réalisateur, relève de la catégorie
« poids plume », tant pour sa du
rée (1h17), son minimalisme et
son humour désopilant. Sur une
ligne de scénario très courte, une
jeune femme dont le mari est
parti en voyage rend visite à ses
amies, le cinéaste coréen distille
sa mélancolie de l’époque.
Le Grand Prix du jury a été dé
cerné au film indépendant améri
cain sur l’avortement Never Ra
rely Sometimes Always d’Eliza
Hittman, l’une des rares nouvel
les têtes récompensées. Deux jeu
nes filles (Sidney Flanigan et Talia
Ryder, excellentes) issues d’une
petite ville font le périple en car
jusqu’à NewYork, afin que l’une
d’elles puisse mettre un terme à
sa grossesse. Ce roadmovie,
filmé comme du cinéma direct,
met à l’épreuve les deux adoles
centes en quête d’émancipation.
Nouveaux visages
Représentants d’une autre « nou
velle vague », plus sulfureuse, les
frères Fabio et Damiano D’Inno
cenzo ont décroché le prix du
meilleur scénario pour Favolacce
(Bad Tales), l’un des chocs de la
compétition : dans une banlieue
pavillonnaire, où le monde des
adultes leur paraît définitive
ment inhabitable, des enfants
prennent une décision radicale...
Saluons aussi le prix du meilleur
premier long métrage attribué
à Los Conductos, de Camilo
Restrepo, un essai graphique sur
la violence en Colombie. Ce film
était sélectionné dans la nouvelle
section « Encounters », dans la
quelle Carlo Chatrian a choisi des
films intrigants et novateurs.
Cette édition donna lieu à des
performances d’acteurs remar
quables : l’Ours d’argent de la
meilleure actrice est allé à Paula
Beer, l’héroïne d’Ondine de
Christian Petzold, film très poéti
que mais un peu bancal qui revi
site le mythe de la sirène ; Elio
Germani a été sacré meilleur ac
teur dans Hidden Away de Giorgio
Diritti, l’histoire d’un migrant ita
lien, déficient mental, qui va se
réaliser dans la peinture.
La mort annoncée, ainsi que le
vertige de sociétés ne décelant
plus le bien ou le mal, auront été
les thèmes dominants de cette édi
tion. Le cambodgien Rithy Panh a
renouvelé sa palette avec un film
d’archives à la lisière des arts plas
tiques, Irradiés, couronné du prix
du documentaire. La jubilation fé
roce d’Effacer l’historique, à l’heure
des réseaux sociaux, a également
conquis le jury, lequel a décerné à
Benoît Delépine et Gustave Ker
vern l’Ours d’argent. Parmi les
films injustement oubliés, citons
Rizi (Days) de Tsai Mingliang, avec
l’une des plus belles et intrigantes
scènes d’amour vues au cinéma.
Enfin, le prix attribué au collec
tif russe DAU – Ours d’argent pour
le directeur de la photographie
Jürgen Jürges – ne manquera de
faire débat. Question : fautil re
jouer les horreurs des dictatures,
au motif de les dénoncer? Au dé
part, DAU fut un spectacle immer
sif dévoilé à Paris en 2019. DAU
Natasha, coréalisé par Ilya
Khrzhanovsky et Jekaterina Oer
tel, revisite l’histoire du prix No
bel de physique russe Lev Landau
(19081968), confronté aux gran
des purges sous Staline.
Le film a été tourné en Ukraine,
dans le décor de la cité scientifique
reconstituée : Jürgen Jürges filme
en direct une relation sexuelle en
tre la serveuse de la cantine et un
scientifique. Suite à quoi la femme,
accusée d’avoir couché avec l’en
nemi, subit un interrogatoire des
plus dégradants. DAU a d’autres
films « en soute » et attend de sa
voir si des festivals comme Cannes
ou Venise se montreront aussi ac
cueillants que la Berlinale.
clarisse fabre
Les fractures du cinéma français aux Césars
Le prix attribué à Roman Polanski a provoqué une vague de soutiens à l’actrice Adèle Haenel
C
ette seule image de la
45 e cérémonie des Cé
sars a balayé toutes les
autres : Adèle Haenel et
Céline Sciamma quittant la Salle
Pleyel à l’annonce de la remise du
César de la meilleure réalisation à
Roman Polanski, suivies par quel
ques dizaines de personnes,
parmi lesquelles l’actrice Aïssa
Maïga, qui a expliqué au Monde
avoir été bouleversée par la vic
toire de Roman Polanski : « J’étais
terrassée, effrayée, dégoûtée, dans
mes tripes. J’ai pensé à toutes ces
femmes qui voient cet homme
plébiscité et je pense à toutes les
autres, ces femmes victimes de
viol et de violences sexuelles. »
Déborah François, Sara Forestier,
Laure Calamy, Mati Diop, toutes
présentes Salle Pleyel, ont elles
aussi déploré la situation.
Le geste d’Adèle Haenel, quitter
la salle, est venu acter cette
fracture profonde dans le milieu
du cinéma français qui, depuis
plusieurs années, se divise sur
cette question : « Fautil honorer
Roman Polanski et lui décerner
des prix? » Si l’Académie des Cé
sars a répondu oui, de nombreu
ses voix s’élèvent depuis ven
dredi pour soutenir Adèle Hae
nel. A quelques rares exceptions
- Swann Arlaud qui a jugé « assez
incompréhensible » le choix des
Césars –, les réactions d’indigna
tion à cette distinction sont mas
sivement venues des femmes : el
les ne représentent que 35 % du
collège des votants de l’Académie.
« Ça pue dans ce pays »
Parmi les voix qui se sont élevées
(Virginie Despentes, Adèle Exar
chopoulos, Christine and the
Queens, Elodie Frégé...), nom
breuses sont celles des femmes
qui ont dénoncé des violences
sexuelles. L’Américaine Rose
McGowan, qui fut l’une des pre
mières à témoigner contre Har
vey Weinstein, a apporté son sou
tien public à la réalisatrice et à la
comédienne française, sur Twit
ter : « Chère Adèle et Céline, je sais
ce que cela signifie d’être seul et de
poursuivre ce qui est juste. (...) Al
lezy foncez! » L’économiste San
drine Rousseau, élue Europe Eco
logieLes Verts, présidente de l’as
sociation Parler qui soutient des
victimes de violences sexuelles et
qui a été l’une des premières fem
mes politiques à dénoncer le har
cèlement sexuel dont elle a été
victime, a également apporté son
soutien à la comédienne. Andréa
Bescond, réalisatrice du film Les
Chatouilles, qui raconte les viols
dont elle a été victime enfant, a
longuement réagi sur son
compte Instagram : « Je me recon
nais dans les mots de Swann
[Arlaud], dans les départs précipi
tés et empreints d’une immense
colère d’Adèle, Noémie et Céline
[Haenel, Merlant, Sciamma, actri
ces et réalisatrice du Portrait de la
jeune fille en feu], alors tout n’est
pas perdu! A ceux qui publient en
faveur de Polanski, (...) ne restons
pas en contact, nos discussions se
raient stériles, toxiques et chrono
phages, je n’y tiens pas. »
Dans ce climat très tendu où
chacun doit choisir son camp, le
comédien Gilles Lelouche a dû
publier une mise au point après
avoir reçu des messages hostiles :
« C’est mon ami Jean Dujardin que
j’ai soutenu et pas Polanski. Je suis,
comme beaucoup, choqué qu’on
ait pu lui donner ce Césarlà cette
annéelà, comme je le suis des rac
courcis et amalgames qui se font
aujourd’hui. » Demeurés discrets
après avoir annoncé qu’ils ne par
ticiperaient pas à la cérémonie,
les membres de l’équipe de
J’accuse ont peu réagi à l’annonce
du prix, seul Jean Dujardin a mul
tiplié les publications sur Insta
gram. La dernière en date sup
primée depuis le montrait dans
un aéroport parisien portant un
masque chirurgical. La légende :
« Je me casse, ça pue dans ce
pays. » Sur le même réseau social,
l’actrice Emmanuelle Seigner,
épouse de Roman Polanski, a dé
noncé les « mensonges de folles
hystériques en mal de célébrité »
avant de fermer son compte.
« On se lève. On se casse »
Adèle Haenel, elle, s’est exprimée
dans Mediapart au lendemain
des Césars, résumant ainsi la
soirée : « Ils voulaient séparer
l’homme de l’artiste, ils séparent
aujourd’ hui les artistes du
monde. » Une formule qui fait
écho aux origines de l’indigna
tion suscitées par ce prix : le sen
timent pour beaucoup que les
voix des victimes n’ont pas été
écoutées par les votants.
« Si vous tenez tant vous aussi à
ce que le cinéma reste une fête ne
violez pas, ne touchez pas les fes
ses, les seins, les cuisses des fem
mes qui n’ont pas exprimé leur
consentement, écrit Marlène
Schiappa, dans une tribune à la li
berté de ton rare, publiée dans Li
bération. Vous ne voulez plus de
cris, de manifestations, de scanda
les, de départs de la salle? Soute
nez les femmes. (...) Ne couvrez pas
ceux qui sont accusés de viols. »
Franck Riester, le ministre de la
culture, a lui aussi déclaré sur Eu
rope 1 regretter le mauvais signal
envoyé par cette récompense « à
un moment où la chape de plomb
sur ces agressions sexuelles et
sexistes est en train d’exploser
dans notre pays ».
Après #metoo, qui encourageait
la prise de parole des femmes,
beaucoup aimeraient voir ce
geste, « quitter la salle », se diffu
ser. Partir pour marquer son in
flexibilité et sa colère. Virginie
Despentes, dans un texte publié
par Libération dimanche 1er mars,
prend la parole au nom de celles
qui ont exprimé leur indignation :
« Vous avez le pouvoir et l’arro
gance qui va avec mais on ne res
tera pas assis sans rien dire.. (...)
C’est terminé. On se lève. On se
casse. On vous emmerde. »
Du côté des associations fémi
nistes, la colère, très vive, semble
remobiliser. Le collectif Nous
Toutes appelle à se rassembler
dimanche 8 mars.
zineb dryef
Les réactions
d’indignation
à cette
distinction sont
massivement
venues
des femmes
C I N É M A
« Invisible Man »
en tête du box-office
nord-américain
Les spectateurs sont allés
nombreux voir Invisible Man
dans les salles des EtatsUnis
et du Canada, ce weekend,
propulsant le longmétrage
avec Elisabeth Moss à la tête
du boxoffice nordaméri
cain. Le film, adapté du célè
bre livre de H. G. Wells, a
engrangé 28,9 millions de
dollars de recettes de ven
dredi à dimanche, selon des
chiffres provisoires publiés
dimanche 1er mars par
Exhibitor Relations. A la
deuxième place, on retrouve
Sonic, le longmétrage
consacré à la boule bleue du
groupe japonais Sega, célèbre
personnage de jeux vidéo,
avec 16 millions de dollars
(128,2 millions en trois semai
nes). – (AFP.)
D I S PA R I T I O N
Mort de l’organiste
Odile Pierre
L’une des grandes organistes
du XXe siècle, la Française
Odile Pierre, est morte sa
medi à quelques jours de ses
87 ans, a indiqué, dimanche
1 er mars, son mari, Pierre Aubé,
à l’AFP. « Elle était la dernière
élève de Marcel Dupré [péda
gogue et compositeur décédé
en 1971], avait eu des élèves
dans le monde entier et avait
donné 2 000 récitals sur tous
les continents », atil déclaré.
Odile Pierre avait notamment
été titulaire des orgues de
l’église de la Madeleine à Paris
de 1969 à 1979. C’est un récital
de Marcel Dupré, à Rouen,
auquel elle avait assisté
à l’âge de 7 ans, qui l’avait
convaincue de devenir orga
niste. – (AFP.)
La colère acide de Virginie Despentes
« Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des Césars élise
Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotes-
que, c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant.
Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour
faire un téléfilm, le message est dans le budget. » Dans une longue
tribune publiée dimanche 1er mars sur le site de Libération, la
romancière Virginie Despentes s’en prend au milieu du cinéma
après le prix attribué à J’Accuse. « Vous serrez les rangs, vous
défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre
leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est
même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux
sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est
exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses
fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. »
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HORS-SÉRIE
EMPLOI
IMMIGRATION
SANTÉ
MOBILITÉ
ÉLECTIONS
40
CARTES
POURCOMPRENDRE
LA
FRANCE
Vous cherchezune ville dynamique en matièred’emploi?Installez-vousàBordeaux
ouàToulouse...Vousvoulezdevenir agriculteur?ChoisissezlaBretagne ou laCorse,là
où lesterres sont lesmoins chères...Vous êtesune jeunefemmeàlarecherche d’un job?
Direction Grenoble ou Limoges...Vous désirezéviter le risque de chômage?VivezàSaint-
Flour,oùilyaseulement4,3%de chercheursd’emploi...Voussouhaitezun accèsfacile
àInternet?LyonouMontpellier s’imposent...Lesmoyens degardedevosenfantsvous
préoccupent?Brest offreleplus defacilités...Accouchersans craintevous préoccupe?
AAmiens,Reims ouTr oyes,vousserezrassurées...
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devenue unkaléidoscope économique,politique etsocial,comme l’explique le démographe
HervéLeBras.
40 CARTES POURCOMPRENDRE LA FRANCE
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