Le Monde - 03.03.2020

(Grace) #1
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MARDI 3 MARS 2020 international| 5

Malaisie : le complot profite au troisième homme


Piégé par ses propres manœuvres, l’ex­premier ministre Mahathir Mohamad cède sa place à Muhyiddin Yassin


bangkok ­ correspondant
en Asie du Sud­Est

L

e grand manipulateur a
été manipulé : Mahathir
Mohamad, 94 ans, avait
démissionné de son poste
de premier ministre de Malaisie le
24 février, après qu’un complot,
plus ou moins ourdi par lui­
même, eut échappé à son con­
trôle. Mais le « Docteur M » a été
trahi par l’un de ses proches, l’ex­
ministre de l’intérieur Muhyiddin
Yassin : le roi de la Fédération ma­
laisienne, dont le système est cal­
qué sur celui de l’ancien colonisa­
teur britannique, a demandé à
Muhyiddin, dimanche 1er mars, de
former un gouvernement.
Tout avait commencé, il y a une
huitaine de jours, par une conju­
ration emmenée par des proches
de M. Mahathir, dont M. Muhyid­
din : l’opération visait à barrer la
route du pouvoir à Anwar Ibra­
him, tout à la fois rival et allié du
premier ministre. Car Mahathir

aurait dû bientôt, selon un accord
tacite passé entre les deux hom­
mes, s’effacer au bénéfice de
M. Anwar.
Les relations, complexes, entre
ces deux personnages, réconciliés
depuis la victoire de leur coalition
politique aux élections de 2018,
s’étaient détériorées : l’ancêtre
Mahathir ne voulait plus passer le
relais au « jeune » Anwar, 72 ans,
comme il s’y était engagé. Mais
quand celui qui était encore chef
de gouvernement s’est aperçu que
ses alliés étaient en train d’œuvrer
pour donner naissance à une coa­
lition composée de l’Organisation
nationale de l’unité des Malais
(UMNO), le parti de l’ancien pre­
mier ministre Najib Razak, dé­
bouté lors du dernier scrutin, Ma­
hathir Mohamad déclara : « Pas
question! » Il démissionna.
M. Najib est actuellement jugé
dans une affaire de corruption dé­
passant l’entendement : plusieurs
milliards de dollars auraient été
siphonnés du fonds souverain

1Malaysia Development Berhad
(1MDB) lorsqu’il était au pouvoir.
Pour Mahathir, qui fut l’instiga­
teur de l’éviction de l’UMNO, il y a
deux ans, il était inconcevable de
se rallier à l’« ancien régime ».
S’ensuivirent des jours mémora­
bles, durant lesquels chaque de­
mi­journée, ou presque, apportait
son lot d’événements plus ou
moins fracassants. Les caciques de
l’Alliance de l’espoir, la coalition au
pouvoir incluant les partis de
MM. Mahathir et Anwar, déclarè­
rent, successivement, leur soutien
aux deux hommes. La crise pro­
fite à un troisième homme. Car
Muhyiddin, le futur nouveau pre­

mier ministre, tentait pendant ce
temps de rallier un maximum de
députés de l’Assemblée nationale.
Avec l’aide du ministre de l’écono­
mie sortant, Azmin Ali, désormais
dénoncé comme un « traître » par
M. Anwar puisqu’il était membre
de sa formation, le Parti de la jus­
tice du peuple (PKR).

« Un jour noir »
Mahathir Mohamad s’est dit lui
aussi « trahi » par son successeur,
affirmant, de surcroît, qu’il jouis­
sait du soutien requis de députés
pour prendre la tête d’un prochain
gouvernement. Le Parlement se
réunit le 9 mars, et une motion de
censure est déjà au programme.
Derrière la farce, il existe des en­
jeux politiques sérieux pour l’un
des pays les plus prospères de
l’Asie du Sud­Est : la nomination
d’un nouveau premier ministre
qui s’est déclaré « malais d’abord »
dans un pays où coexistent, par­
fois difficilement, des minorités
chinoises et indiennes, fait crain­

dre le retour d’une politique privi­
légiant avant tout la majorité ma­
laise musulmane : cette dernière
jouit des avantages d’une « discri­
mination positive » incluant des
quotas dans la fonction publique
et l’université. Il était question de
faire évoluer cette politique au
profit d’un système « méritocrati­
que » bénéficiant aussi aux com­
munautés chinoise (26 % de la po­
pulation) et indienne (8 %).
Les élections de 2018 avaient
donné naissance à la coalition
gouvernementale la plus ethni­
quement diverse que le pays ait ja­
mais connue. Les acquis du der­
nier scrutin viennent de voler en
éclats. Et le Parti islamique de Ma­
laisie, une formation fondamen­
taliste, va s’allier avec Muhyiddin.
« Aujourd’hui est un jour noir pour
la Malaisie, accuse Oh Ei Sun, pro­
fesseur à l’Institut des affaires in­
ternationales de Singapour. La po­
litique de Muhyiddin sera très con­
servatrice, voire régressive. »
bruno philip

Mahathir
Mohamad
s’est dit « trahi »
par son
successeur

En Slovaquie, la gauche


populiste laminée par


la vague anticorruption


Les législatives, remportées par un homme
d’affaires, ont fragmenté le paysage politique

vienne ­ correspondant régional

D


eux ans après l’assassi­
nat du journaliste d’in­
vestigation Jan Kuciak,
les Slovaques ont balayé le gou­
vernement sortant aux élections
législatives du samedi 29 février.
Selon des résultats quasi défini­
tifs, le parti de gauche populiste
au pouvoir de façon quasi conti­
nue depuis 2006, le Smer, incarné
par son président, Robert Fico, et
le premier ministre sortant, Peter
Pellegrini, obtient à peine 18,2 %
des voix, son plus mauvais score
en dix­huit ans. Dans une campa­
gne dominée par la lutte contre la
mafia et la corruption, le Smer a
souffert de ses liens avec le ma­
fieux Marian Kocner, accusé
d’être le commanditaire du meur­
tre et actuellement en procès.
« S’il n’y avait pas eu ce meurtre,
je serais aujourd’hui devant vous
comme premier ministre avec un
soutien de 30 % des électeurs »,
avait ainsi déclaré, au cours de la
campagne, M. Fico, qui avait tenté
le tout pour le tout en faisant
adopter en urgence un treizième
mois de retraite ou le doublement
des allocations familiales.
Celui qui avait été forcé de dé­
missionner de son poste de pre­
mier ministre après l’assassinat
sous la pression de manifesta­
tions historiques, a laissé à son
successeur le soin de reconnaître
la défaite. Celle­ci est d’autant
plus lourde que ses deux alliés de
coalition, le parti nationaliste SNS
et le parti de la minorité hon­
groise Most­Hid ne passent pas la
barre des 5 % nécessaire pour sié­
ger au Parlement.

« Ne peut plus jouer au clown »
Devant le Smer, c’est une forma­
tion anticorruption, le Mouve­
ment des gens ordinaires et des
personnalités indépendantes
(Olano), qui l’emporte large­
ment. Avec 25 % des voix, elle ob­
tient 53 sièges sur les 150 du Par­
lement de Bratislava. Dirigée par
l’excentrique homme d’affaires
Igor Matovic, Olano a centré sa
campagne sur la lutte contre la
corruption, en promettant no­
tamment d’introduire une res­
ponsabilité matérielle person­
nelle des responsables politi­

ques ou de durcir les peines de
prison. Ayant fait fortune dans
l’édition de journaux de petites
annonces, M. Matovic, 46 ans,
aime les coups médiatiques et
est souvent critiqué pour son
instabilité.
Son groupe parlementaire a fait
face à de nombreuses défections
au cours de la législature sortante.
« Matovic s’est rendu compte que la
situation est sérieuse et qu’il ne
peut plus jouer au clown », assurait
toutefois au Monde, Martin Fecko,
le cofondateur du parti, une se­
maine avant le scrutin. Dimanche
matin, M. Matovic a revendiqué le
poste de premier ministre et es­
quissé une stratégie de négocia­
tion avec les autres formations en
vue de former une coalition.
Il a catégoriquement refusé de
discuter avec le Smer, malgré la
main tendue par M. Pellegrini :
« Nous ne négocions pas avec la
mafia. » Déjà d’essence plutôt con­
servatrice, Olano devrait en prio­
rité se tourner vers la droite du fait
des résultats décevants de l’oppo­
sition centriste et libérale.

Interdiction du pacs
La formation de la présidente
Zuzana Caputova rate ainsi tout
juste le seuil nécessaire pour sié­
ger au Parlement, et souffre de ses
divisions avec le parti de l’ancien
président Andrej Kiska, qui ob­
tient douze sièges. Ces deux for­
mations au programme proche
n’avaient pas réussi à s’entendre
pour faire liste commune.
Deux formations nationalistes
obtiennent chacune dix­sept siè­
ges. S’il semble exclu que M. Mato­
vic s’entende avec celle du leader
anti­rom nostalgique de la Slova­
quie fasciste Marian Kotleba, il a
tendu la main au mouvement
Sme Rodina (« Nous sommes une
famille ») allié du Rassemblement
national (RN) au niveau européen.
Il pourrait compléter sa coalition
avec les libéraux conservateurs du
parti Liberté et solidarité et les dé­
putés de M. Kiska. Dans une Slova­
quie qui reste très conservatrice
sur les questions de société,
M. Matovic a défendu le statu quo
sur le refus des quotas de migrants
européens ou l’interdiction du
pacs pour les homosexuels.
jean­baptiste chastand

LE  PROFIL


Muhyiddin Yassin
Muhyiddin Yassin est né en 1947
à Johor, dans le sud de la Malai-
sie, au sein d’une famille musul-
mane pieuse. Son père était un
ouléma (théologien). Ministre de
l’intérieur dans le gouvernement
sortant, il a fait toute sa carrière
au sein de l’Organisation natio-
nale de l’unité des Malais, au
pouvoir de 1957 à 2018. Plu-
sieurs fois ministre, Muhyiddin
Yassin va rappeler, au sein de sa
nouvelle coalition, cette organi-
sation décriée, symbole de
l’« ancien régime ».

APL :


CHRONIQUE D’UNECASSE PROGRAMMÉE?


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La Fédération nationale des Offices Publics del’Habitat est signataire duPacte du pouvoir de vivre.

ACTE 1 – Le premiercoup derabot : les APL sontréduites de 5€


Marcel ROGEMONT,
Président de la Fédération
nationale des Offices Publics
de l’Habitat.

Une mesure


budgétaire


surprise,


décidée àl’été


2017, qui lèse


d’abordles


ménagesles


plus pauvres.


1 eroctobre 2017 :le gouvernement initie lacasse programmée des APL.
6,6 millions d’allocatairesvoient leur pouvoir d’achatrogné avec une baisseforfaitaire
mensuelle deleur APL de 5€.

C’est une mesure inique qui est prise sans aucune information préalable des bénéficiaires
et des acteurs dulogement, sans aucune autreraison que larecherche d’économies
budgétaires (400 millions d’€annuels).

« Les 5 euros d’APL, je sais, jele traînecomme un boulet »,regretterale Président
de la République, mais qui, en mêmetemps, dénoncera des dépenses sociales quicoûtent
« un pognon de dingue ».

La Fédération nationale des Offices Publics del’Habitat demandel’abandon decette
mesure qui pénalisele pouvoir d’achat des personnes auxrevenus les plus modestes.

APL : chronique d’unecasse programmée? La suite, demain.

http://www.foph.fr


  • 229Offices Publics de l’Habitat adhérents

    • 2,4 millionsde logements sociaux

    • Près de5 millions de locataires




LA FÉDÉRATION DES OPH C’EST :
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