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MARDI 3 MARS 2020 france| 9
La « version 49.3 » du projet de loi
ne satisfait pas les syndicats réformistes
Dimanche, Laurent Berger a reconnu des « avancées », mais la CFDT regrette que le texte ne
prenne pas mieux en compte la pénibilité et le sort des fonctionnaires qui ont peu de primes
M
ême si l’exécutif assure
que le débat reste
ouvert, son choix de
recourir à l’article 49.3 de la Cons
titution – donc à une adoption
sans vote du projet de loi sur les
retraites – est un coup dur pour les
syndicats dits « réformistes ». Ces
organisations, qui sont favorables
au principe d’un système univer
sel par points ou qui le regardent
avec bienveillance, espéraient
pouvoir pousser leurs pions lors
de la discussion à l’Assemblée
nationale. Elles sont finalement
loin d’avoir obtenu ce qu’elles
réclamaient.
Le nouveau texte a beau intégrer
des amendements du gouverne
ment, de la majorité et même des
oppositions (à l’exception de LFI et
d’élus noninscrits comme ceux
du RN), bon nombre de leurs re
vendications n’ont, pour l’heure,
pas été satisfaites. « Le gouverne
ment vient de faire le choix du 49.3,
mais pas encore celui de la justice
sociale », a déploré, dimanche
1 er mars, le secrétaire général de la
CFDT, Laurent Berger, dans un en
tretien au Parisien.
Le leader de la première confé
dération de salariés énumère les
sujets que sa centrale appelle de
ses vœux depuis plusieurs mois
et qu’elle n’a pas retrouvés dans la
« version 49.3 » du projet de loi : le
sort des fonctionnaires qui ont
peu ou pas de primes, l’ouverture
du droit à la réversion pour les
couples pacsés, un minimum de
pension à 85 % du smic dès 2022 et
non à partir de 2025, une bonifica
tion forfaitaire pour les mères...
Il y a, de surcroît, un thème
auquel le responsable cédétiste
tient pardessus tout : celui d’une
meilleure prise en compte de la
pénibilité, assortie de la possibi
lité de partir plus tôt à la retraite.
M. Berger a reconnu, dimanche,
que des « avancées » se sont pro
duites, durant l’examen du projet
au PalaisBourbon. Confirmant
des annonces faites le 13 février
par le premier ministre, Edouard
Philippe, elles portent notam
ment sur la création d’un congé
de formationreconversion en fa
veur des personnes ayant exercé
des activités physiquement
éprouvantes. Ou encore sur le
renforcement de la prévention.
Mais le numéro un de la CFDT
veut que la réforme aille plus loin
sur le volet « réparation » de
l’usure professionnelle. « La ba
taille n’est pas finie mais change de
nature, atil dit au Parisien. Nous
nous battrons jusqu’au bout. »
« On va continuer le combat », ren
chérit Cyril Chabanier, le prési
dent de la CFTC, en faisant allu
sion à la pénibilité, mais aussi à la
gouvernance du système univer
sel et aux carrières longues – un
mécanisme qui permet aux indi
vidus ayant commencé à tra
vailler avant 20 ans de liquider
leur pension de façon anticipée.
Dans une lettre envoyée samedi
aux partenaires sociaux, M. Phi
lippe tente de rassurer ses interlo
cuteurs : « La fin des débats en pre
mière lecture à l’Assemblée natio
nale ne constitue pas un aboutisse
ment. Nous pouvons, nous devons,
encore faire évoluer le texte. »
« Là, il y a une porte de sortie »
La voie s’annonce très étroite,
s’agissant de la pénibilité. Pour
une raison simple : le Medef est
vent debout face aux doléances de
la CFDT, craignant qu’elles abou
tissent à l’émergence de « nou
veaux régimes spéciaux ». Son
président, Geoffroy Roux de Bé
zieux, a toutefois esquissé un
geste, dans un entretien aux
Echos du 19 février, en se déclarant
ouvert à l’idée d’un plus grand
nombre de départs anticipés à la
retraite « pour des raisons de péni
bilité ». Mais à la condition « que
[cette] augmentation soit com
pensée par moins de départs pour
carrières longues ».
Problème : le dispositif en
question – celui des carrières lon
gues, donc – correspond à une
conquête de la CFDT arrachée
en 2003. Pas question pour la cen
trale cédétiste de toucher à une
mesure sacrosainte à ses yeux.
« Si le Medef ou le gouvernement
veulent réduire l’un – ou le suppri
mer – pour octroyer l’autre, ce sera
sans nous et même contre nous »,
confie M. Berger au Monde. Une
position qui ne surprend nulle
ment le Medef. « Là, il y a une porte
de sortie, mais comme à chaque
fois, Laurent Berger la ferme », sou
pire un haut gradé du mouve
ment patronal.
Le pilotage du régime en cours
de construction représente, pour
les partenaires sociaux, une autre
source de préoccupation, qui les
rassemble plus qu’elle ne les di
vise. Tous craignent, en effet, que
l’Etat prenne entièrement la
main. Dans le courrier qu’il a
adressé aux organisations de sala
riés et d’employeurs, M. Philippe
affirme cependant être « disposé à
(...) renforcer encore leur rôle ».
Mais en suggérant que de telles
« évolutions » aient une contrepar
tie : le retour à « l’équilibre finan
cier de notre système de retraite
dans les prochaines années ». « Ce
n’est pas une place dans la gouver
nance qui nous préoccupe, c’est la
justice sociale », rétorque M. Ber
ger, sollicité par Le Monde.
Sur les instances chargées d’ad
ministrer le futur dispositif, la
« version 49.3 » du projet intègre
des changements que les syndi
cats désiraient. Ainsi, les établisse
ments composant le réseau, à tra
vers la France, de la Caisse natio
nale de retraite universelle
(CNRU) auront la personnalité
morale : un tel schéma était exclu
au départ, suscitant de fortes in
quiétudes parmi les personnels
des structures régionales de l’as
surancevieillesse, qui craignaient
une atrophie de leurs missions.
Par ailleurs, le conseil d’adminis
tration de la CNRU devra compter
autant de femmes que d’hommes.
Les nouveautés les plus impor
tantes introduites dans le texte
avaient déjà été dévoilées au
cours des dernières semaines, en
particulier celles ayant trait aux
droits familiaux : octroi d’un
nombre minimal de points pour
les mères au titre de la maternité
(avec un montant plancher pour
celles percevant de faibles reve
nus), maintien de la pension de
réversion pour les conjoints
divorcés par le biais d’un méca
nisme entièrement remanié, etc.
De même, l’essentiel des change
ments en faveur de la retraite pro
gressive (qui consiste à travailler à
temps partiel en toute fin de car
rière) avaient déjà été présentés
par le premier ministre.
Dans les modifications qui ont
été faites samedi, figure une me
sure défendue par un sousamen
dement des communistes : elle
permet aux égoutiers, embau
chés avant 2022, de continuer à
prendre leur retraite à 52 ans. Par
ailleurs, l’article 65, qui ratifiait
trois ordonnances prises en 2019
en faveur du développement de
l’épargne retraite supplémentaire
(par capitalisation), a été sup
primé, conformément à ce que
souhaitaient le rapporteur géné
ral, Guillaume GouffierCha
(LRM), et l’un des corapporteurs
Paul Christophe (UDI).
Tous deux avaient rédigé un
amendement allant dans ce sens
afin de ne pas « mélanger deux su
jets bien distincts ». Sousentendu :
la réforme consacre un fonction
nement par répartition, dans le
quel les actifs cotisent pour la
pension des personnes déjà à la
retraite ; elle ne doit donc pas être
suspectée d’ouvrir la porte à des
mécanismes de capitalisation, où
les assurés se constituent des
droits uniquement pour eux, au
moment de leurs vieux jours.
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel
LE PILOTAGE DU RÉGIME
EN COURS D’ÉLABORATION
REPRÉSENTE, POUR
LES PARTENAIRES
SOCIAUX, UNE SOURCE
DE PRÉOCCUPATION
QUI LES RASSEMBLE
Laurent Berger, lors d’une
réunion de la conférence de
financement des retraites,
à Paris, le 30 janvier.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Le poste de maire, parent
pauvre de la parité
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes
et les hommes a présenté son état des lieux
du sexisme, notamment en politique
P
lus de quatre maires sur
cinq (84 %) et 92 % des pré
sidents d’intercommuna
lités sont des hommes. Ces chif
fres éloquents sont opportuné
ment rappelés, à quinze jours des
élections municipales, par le Haut
Conseil à l’égalité entre les fem
mes et les hommes (HCE) dans
son état des lieux du sexisme,
présenté lundi 2 mars.
L’instance nationale consulta
tive dresse, pour la deuxième an
née consécutive, le bilan d’un mal
qui irrigue l’ensemble de notre so
ciété et dont la définition est énon
cée en préambule : « Le sexisme est
à la fois une idéologie qui repose
sur l’infériorité d’un sexe par rap
port à l’autre, mais aussi un ensem
ble de manifestations des plus ano
dines en apparence (remarques,
plaisanteries, etc.) aux plus graves
(viols, meurtres), qui ont pour objet
de délégitimer, stigmatiser, humi
lier ou violenter les femmes et en
traînent pour elles des effets en ter
mes d’estime de soi, de santé psychi
que et physique et de modification
des comportements. »
Les victimes d’actes sexistes sont
à 87 % des femmes et les auteurs à
91 % des hommes, souligne le rap
port, avant de se pencher sur trois
domaines : le milieu de l’entre
prise, celui de la télévision et celui
de la politique.
Des « zones blanches »
Premier constat, dans le chapitre
consacré à la vie politique : les
avancées de la loi en matière de pa
rité, bien que considérables, ne
suffisent pas. Certaines « zones
blanches » demeurent, comme les
intercommunalités et les commu
nes de moins de 1 000 habitants,
non soumises à des règles paritai
res. Le HCE recommande donc de
les étendre. Idem pour les postes
de viceprésidence au Sénat et à
l’Assemblée nationale. L’institu
tion propose aussi de créer des bi
nômes paritaires de corapporteur
et corapporteuse de projets de loi.
Autre difficulté : « Si la parité
quantitative a bien eu lieu, le par
tage effectif du pouvoir se fait at
tendre », relève le HCE, constatant
que non seulement les femmes
sont bien souvent reléguées à des
thématiques spécifiques liées à la
sphère privée, mais aussi que les
postes à haute responsabilité res
tent majoritairement aux mains
des hommes. Les directions des
partis politiques (quasi exclusive
ment masculines) ont un rôle à
jouer, et l’organisation recom
mande donc de conditionner les
financements des partis à une
obligation de parité dans les ins
tances de direction et les commis
sions d’investiture.
Enfin, les rares fois où elles accè
dent à des postes de premier plan,
outre les remarques sexistes ou
des violences, le rapport montre
que les femmes sont confrontées à
une forme d’entresoi masculin
que la sociologue Françoise
Gaspard nomme le « fratriarcat ».
Cette solidarité masculine, qui
s’exprime lors de discussions in
formelles à la buvette de l’Assem
blée nationale, par exemple, fonc
tionne sur les mêmes ressorts que
les « boys club », et aboutit à une
exclusion de fait des femmes
d’échanges parfois décisifs. D’où le
« grand sentiment de solitude » res
senti par les quelquesunes qui ac
cèdent au pouvoir, exprimé lors
des auditions menées par le HCE.
Pour y remédier, Valérie
Pécresse, présidente du conseil
régional d’IledeFrance, plaide,
par exemple, pour la création de
réseaux d’entraide de femmes et
de clubs mixtes. L’affaire est ur
gente : les obstacles rencontrés
provoquent un sentiment d’illégi
timité qui conduit bon nombre de
femmes politiques à renoncer aux
responsabilités. Un abandon bien
souvent accueilli dans une grande
indifférence, bien loin du fracas
qui accompagne les départs de
leurs homologues masculins.
solène cordier
Connaître les religions pour comprendre le monde
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