10 |france MARDI 3 MARS 2020
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A Bordeaux, Thomas Cazenave pris en étau
Dans cette ville qui a adoubé Macron en 2017, le candidat LRM est coincé entre le maire sortant et les écologistes
bordeaux correspondante
E
n ce vendredi soir plu
vieux de vacances scolai
res à Bordeaux, la presse
n’a pas véritablement ré
pondu à l’appel. Pourtant, Thomas
Cazenave, candidat La République
en marche (LRM) aux élections
municipales, avait convié Elisa
beth Borne, ministre de la transi
tion écologique et solidaire, pour
attirer les curieux. Venue soutenir
le « marcheur », la ministre est
sans équivoque : « Je suis très heu
reuse de soutenir cette liste qui in
carne le renouveau qu’avait voulu
Emmanuel Macron. » Thomas Ca
zenave poursuit en détaillant son
programme sur les mobilités et la
transition écologique, en évo
quant les projets de loi concomi
tants dont s’occupe Elisabeth
Borne. Le duo est accordé.
A quinze jours du premier tour
des élections municipales, Tho
mas Cazenave a besoin de soutien
et tous les renforts sont les bienve
nus. Si le dernier sondage Ipsos
Sopra Steria pour France Bleu Gi
ronde, Sud Ouest et TV7 dévoilé le
13 février dernier lui donnait,
comme en décembre, toujours
16 % des intentions de vote, une
autre enquête BVA pour Europe 1
diffusée le 20 février a semé un
vent d’inquiétude dans l’équipe
macroniste. Dans cette ville qui
n’a pas connu de second tour aux
municipales depuis la Libération,
Thomas Cazenave y est crédité de
11 % des intentions de vote, juste
derrière Philippe Poutou, à 12 %.
Ce dernier est entré dans la
course au palais Rohan fin jan
vier, avec le soutien de La France
insoumise (LFI). Cette percée du
candidat du Nouveau Parti anti
capitaliste (NPA) n’a pourtant pas
étonné Fabien Robert (MoDem),
premier adjoint au maire de Bor
deaux, en troisième position sur
la liste de Nicolas Florian, candi
dat Les Républicains (LR) et suc
cesseur d’Alain Juppé. « Je n’ai pas
été totalement surpris de le voir
passer devant Thomas Cazenave
au dernier sondage car je connais
ma ville. La crise sociale actuelle
profite d’abord à Philippe Poutou.
On l’a oublié mais, à Bordeaux, il y
a toujours eu une ultragauche,
qui ne trouvait sans doute pas de
débouchés aux élections munici
pales. Là, elle a trouvé un candi
dat », estime M. Robert avant de
conclure : « L’électorat modéré, en
tre Nicolas Florian et Thomas Ca
zenave, a son candidat. »
Une manière d’évoquer entre les
lignes la campagne du maire sor
tant qu’il soutient. Sauf que M. Ca
zenave doit aussi faire face à la
concurrence d’un autre homme
qui aspire l’électorat macroniste :
Pierre Hurmic. Le candidat écolo
giste, très haut dans les intentions
de vote, va peutêtre réussir le
gros coup de cette élection : impo
ser un second tour compliqué à la
droite et peutêtre faire basculer la
mairie. Exactement la position
que rêvait d’occuper le macroniste
qui se retrouve maintenant à être
au coudeàcoude avec la gauche
radicale. Un comble dans cette
ville convertie au macronisme de
puis la dernière présidentielle.
« Quel est le positionnement de la
liste LRM entre Hurmic et Florian ?,
fait mine de s’interroger dans Le
Figaro M. Florian, lundi, avant de
tendre la main. On verra après le
premier tour quels sont les rap
ports de force. (...) Je vois déjà cer
tains points du programme qui
convergent. »
« La campagne commence »
Le candidat LRM marche sur des
braises depuis le début de sa cam
pagne, dans une ville où le parti
présidentiel partait pourtant
confiant. Au second tour en 2017,
l’électorat bordelais a voté à
85,92 % pour Emmanuel Macron,
et a placé en tête la liste LRM de
Nathalie Loiseau aux européen
nes de 2019 (29,47 %). Mais c’était
sans compter sur la perte d’un al
lié de choix, le MoDem, soutien
du parti présidentiel mais qui, à
Bordeaux, s’est rangé du côté du
parti Les Républicains et de son
maire sortant, grâce à l’appui de
son premier adjoint. « On a un bi
lan à Bordeaux derrière Alain
Juppé depuis vingt ans, comment
voulezvous expliquer aux élec
teurs, parce qu’il y a un nouveau
maire, ancien adjoint qui partage
avec nous ce bilan, que du jour au
lendemain on déchire ce que l’on a
fait, et qu’en vertu d’une alliance
nationale on est plus dans le
même camp? C’est illisible et in
compréhensible, poursuit Fabien
Robert. Voilà pourquoi François
Bayrou a fait le choix de soutenir
Nicolas Florian à Bordeaux. »
Le premier adjoint à la culture
est persuadé que de nombreux
électeurs d’Emmanuel Macron
choisiront Nicolas Florian. Un
phénomène qu’il explique par la
filiation d’Alain Juppé, qui a sou
vent salué la politique d’Emma
nuel Macron. Et, dans l’esprit de
nombreux électeurs, l’héritage
juppéiste est porté par le maire
sortant et son équipe. Le poids de
la politique nationale pèse égale
ment sur la campagne de Thomas
Cazenave. « Il y a une part d’électo
rat sans doute déçu de la politique
nationale et je ne m’en félicite pas,
car je me sens moimême dans
cette majorité », déplore M. Robert.
Mais pour Aziz Skalli, référent
territorial LRM en Gironde, tout
est encore possible. « Un sondage
disait qu’il y a entre 16 % et 20 % des
gens qui allaient voter pour des cri
tères nationaux. 80 % des électeurs
vont donc voter sur les questions
municipales. Je pense qu’ils feront
la part des choses au moment de
choisir », croit M. Skalli, qui restera
mobilisé jusqu’au 15 mars : « Une
élection, c’est jusqu’au bout, on ne
va pas capituler au contraire, on est
plus motivés que jamais. »
Réunions de quartier, tractages
dans les rues bordelaises... A l’ap
proche de l’échéance, la campagne
s’est intensifiée du côté des « mar
cheurs », qui restent déterminés à
prendre les rênes de la ville. « Je
trouve que la campagne com
mence finalement tout juste, on le
voit quand on rencontre les gens
dans les marchés, les porteàporte,
il y a vrai engouement, estime
M. Skalli. Pourtant, on est en cam
pagne depuis six mois, mais la to
nalité a changé, les gens regardent,
s’intéressent un peu plus, commen
cent à avoir une vraie critique des
programmes des uns et des autres,
c’est vraiment sur ces deux derniè
res semaines que ça va se jouer. »
Deux semaines qui deviennent,
en effet, avec ces sondages en
berne, déterminantes pour LRM.
claire mayer
La guerre des droites agite le 16
e
arrondissement parisien
Trois listes menées par des personnalités qui affichent toutes leur soutien à Dati sont en concurrence dans l’ouest de la capitale
A
l’approche des municipa
les, une bataille politique
au couteau se joue dans le
16 e, cet arrondissement aux gran
des rues calmes bordées d’ambas
sades, aux avenues « aussi mornes
que la bourgeoisie cossue qui a
choisi d’y habiter », selon les mots
cruels de l’écrivain et dessinateur
Pierre LeTan. Un combat d’autant
plus âpre qu’il oppose d’anciens
amis. Tous de droite, ils se retrou
vent à présent sur plusieurs listes
concurrentes... dont trois affi
chent leur soutien à Rachida Dati
pour la Mairie de Paris! Ils se dé
chirent pour diriger la mairie d’ar
rondissement et, audelà, repren
dre en main la droite des beaux
quartiers de l’Ouest parisien, arri
vée au bout d’un cycle.
Dernier épisode en date : Danièle
Giazzi, maire Les Républicains (LR)
de l’arrondissement et candidate à
sa réélection, vient de porter
plainte pour vol, abus de con
fiance et usurpation d’identité
contre son ancien directeur de
campagne, qui l’a lâchée le 10 fé
vrier pour rejoindre une liste ri
vale, celle menée par l’avocat Fran
cis Szpiner. « Il est parti avec des
tracts, toute une série de docu
ments confidentiels, et les codes de
comptes sur les réseaux sociaux »,
accusetelle. « Aujourd’hui, j’ai
tout rendu, assure l’intéressé. Pour
moi, le dossier est clos. » Il a juste
gardé le contrôle d’un compte
Twitter créé initialement pour
vanter les mérites de Danièle
Giazzi, et qui assure désormais la
promotion de son adversaire
Francis Szpiner. « Des méthodes de
voyou », lâche la maire sortante.
En face, le ton monte aussi. Pour
défendre Francis Szpiner, le can
didat officiel de LR, le secrétaire
général du parti a envoyé le 21 fé
vrier des lettres comminatoires
aux deux femmes qui mènent
des listes dissidentes, Danièle
Giazzi et la sénatrice Céline Bou
layEspéronnier. « Vous faites réfé
rence aux Républicains alors que
vous n’avez pas obtenu l’investi
ture de notre famille politique,
écrit Aurélien Pradié. Je vous de
mande expressément de mettre un
terme à cette confusion au plus
vite et donc de cesser d’utiliser no
tre logo. » Certains agitent déjà la
menace d’actions en référé face à
ces « impostures ».
Pour LR, le 16e constitue un bas
tion que le parti ne peut se per
mettre de perdre. Or, le risque pa
raît réel. La droite reste certes ar
chidominante dans ces quartiers
huppés, mais la coexistence de
trois listes rivales menées par des
figures de LR ne peut que provo
quer un éparpillement de l’électo
rat. Et bénéficier à une qua
trième liste, celle d’Hanna Seb
bah, 28 ans, ancienne adjointe de
la maire LR et désormais figure
de proue locale de La République
en marche (LRM).
Aux européennes de mai 2019, la
liste présentée par le parti prési
dentiel avait déjà rassemblé 46 %
des suffrages, ne laissant que 24 %
à celle de LR. Cette foisci, « l’arron
dissement fait partie de ceux que
nous pourrions prendre », estime
un stratège macroniste. « La cam
pagne d’Hanna Sebbah se passe
très bien », soulignetil, et la tête
de liste de LRM pour Paris, Agnès
Buzyn, renvoie une image de
grande bourgeoisie éclairée qui
« correspond bien à ce qu’attendent
les habitants du 16e ».
Trop sûre d’ellemême, la droite
parisienne atelle enclenché la
machine à perdre? L’affaire se
noue en 2017. Cette annéelà,
Claude Goasguen, l’homme fort
du 16e, remporte de peu les législa
tives. Touché par la loi sur le non
cumul des mandats, il garde son
siège de député, et abandonne ce
lui de maire d’arrondissement.
Pour lui succéder, il fait élire par le
conseil d’arrondissement une de
ses adjointes, Danièle Giazzi, en
espérant sans doute continuer à
exercer la réalité du pouvoir.
Querelles persistantes
Les premiers mois, il conserve
d’ailleurs l’immense bureau du
maire, sa voiture de fonction, son
chauffeur, et le magazine à sa
gloire. Mais au fil des mois, la nou
velle maire, élue de Paris restée
dans l’ombre depuis trente ans,
prend goût à la lumière. Elle s’af
firme. Ses relations se tendent
avec le volcanique Claude Goas
guen et la majorité qui l’avait élue
au conseil se disloque. « L’état dans
lequel j’ai trouvé la mairie était hal
lucinant, lâchetelle. Ce n’était
qu’un bureau au service des ambi
tions nationales de M. Goasguen. »
Deux ans plus tard, les querelles
persistantes ont abouti à une
multiplication de candidatures.
Claude Goasguen, rabiboché avec
Rachida Dati après une longue
brouille, a tout fait pour que Da
nièle Giazzi ne soit pas investie.
Pour contrer son ancienne proté
gée, il est allé chercher un avocat
vedette, fidèle chiraquien et franc
maçon revendiqué, Francis Szpi
ner. Le pénaliste a été investi offi
ciellement par le parti, grâce en
particulier au soutien de François
Baroin, son associé au sein du ca
binet d’avocats STAS. Francis Szpi
ner n’habite certes pas le 16e ar
rondissement. Mais « j’y cherche
une maison à louer depuis trois
mois », confietil. Avec l’appui de
Rachida Dati, il entend « agir pour
que Paris retrouve la joie de vivre ».
S’il est élu, Francis Szpiner occu
peratil le fauteuil de maire pour
autant? Et pour combien de
temps? Des interrogations légiti
mes, dans la mesure où l’avocat a
déjà en tête l’étape suivante, les lé
gislatives de 2022. Claude Goas
guen, 74 ans, ne devrait en effet
pas se représenter, et le spécia
liste des affaires politicofinan
cières serait alors en bonne posi
tion pour lui succéder. D’ici là,
certains voient déjà Francis Szpi
ner laisser la mairie du 16e à la pre
mière femme de sa liste, Béatrice
Lecouturier, une élue proche de
Claude Goasguen et aujourd’hui
L’éparpillement
de la droite
pourrait
bénéficier à une
quatrième liste,
celle de la
candidate LRM
Hanna Sebbah
Le candidat
LRM à
Bordeaux,
Thomas
Cazenave,
le 6 février.
THIBAUD
MORITZ/ABACA
Le MoDem,
soutien
de LRM au niveau
national, s’est
rangé à Bordeaux
du côté du parti
Les Républicains
Ouverture de la campagne officielle
La campagne officielle pour le premier tour des élections munici-
pales des 15 et 22 mars s’est ouverte lundi. Elle s’achèvera le sa-
medi 14 mars, à la veille du scrutin. Pendant cette période, le CSA
régule l’accès des candidats aux médias audiovisuels. Lorsqu’il
s’agit d’une circonscription électorale déterminée, les radios et té-
lévisions doivent veiller à ce que les candidats et leurs soutiens bé-
néficient d’« une présentation et d’un accès équitable à l’antenne ».
Dans toutes les communes, les listes se voient attribuer des pan-
neaux d’affichage installés à proximité des lieux de vote. Par
ailleurs, la diffusion et le commentaire de tout sondage en rapport
avec l’élection seront interdits la veille de chaque tour de scrutin
et le jour même du vote. Durant ces deux jours, il sera également
interdit de distribuer tout message de propagande électorale par
voie de tracts, circulaires ou voie électronique.
membre du MoDem. « Je ne suis
pas appelée à devenir maire », dé
ment l’intéressée.
Face à la liste LR officielle, Da
nièle Giazzi a décidé de maintenir
sa candidature. Puisque la plupart
des élus l’ont quittée, elle s’appuie
sur des militants associatifs. Elle a
aussi obtenu l’appui de l’ancien
ministre Philippe DousteBlazy,
numéro deux sur sa liste, même
s’il n’habite pas l’arrondissement.
Pas question non plus pour Cé
line BoulayEspéronnier de lâcher
prise. « Je vis dans le 16e, j’y suis élue,
je siège dans le groupe LR au Sénat,
je me considère donc comme la
candidate naturelle du parti dans
l’arrondissement », affirmetelle.
Sur le fond, la sénatrice reconnaît
que rien ou presque ne distingue
son projet de ceux de Danièle
Giazzi et Francis Szpiner : « Nous
voulons tous remettre de l’ordre, de
la propreté, de la sécurité dans nos
quartiers, et faire en sorte qu’Anne
Hidalgo ne soit pas réélue. »
Dans le 16e, le premier tour s’ap
parente ainsi à une primaire sau
vage, où l’essentiel se joue sur la
personnalité des candidats. Avec
pour enjeu souterrain la succes
sion de Claude Goasguen, ombre
tutélaire de l’Ouest parisien qui
peine à décrocher.
denis cosnard