Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1
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MERCREDI 4 MARS 2020

FRANCE


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Avec le 49.3, Macron bouscule

les plus fervents macronistes

En 2017, le président avait été élu sur une promesse de renouveau démocratique, et l’« acte II »


devait être celui du dialogue. Des engagements mis à mal par la procédure du 49.


R

épondre à un symbole
avec des symboles. C’est
ainsi que les opposants
à la réforme des retrai­
tes ont réagi, samedi 29 février, à
la suite de l’annonce par le pre­
mier ministre, Edouard Philippe,
de l’utilisation de l’article 49.3 de
la Constitution pour faire passer
sans vote le projet de loi à
l’Assemblée nationale. Aussitôt,
c’est une chaîne de « gilets jau­
nes » qui s’est formée, par exem­
ple, devant le Mont­Saint­Michel
(Manche). Ce sont des sociétaires
de la Comédie­Française qui se
sont produits hors les murs, place
Colette, à Paris.
Eruptive, la colère a aussi pris un
tour violent lorsque la perma­
nence de M. Philippe, candidat
au Havre (Seine­Maritime) pour
les municipales, ou celle de son
ministre de l’action et des comp­
tes publics, Gérald Darmanin, qui
se présente à Tourcoing (Nord),
ont été taguées. Celle du chef du
gouvernement, en particulier, a
été une cible de choix : œufs lan­
cés, vitres brisées, tentative d’in­
trusion... « 49.3 Philippe prend la
fièvre », était­il écrit.
Tout ce que Macron cherchait à
éviter lors de l’« acte II » de son
quinquennat, censé lui permettre
d’apaiser les tensions après l’épi­
sode des « gilets jaunes ». Une
nouvelle phase qui devait être fon­
dée sur un changement de mé­
thode – « écoute, dialogue, proxi­
mité », disait­on à l’Elysée –, mais
que le recours au 49.3 vient com­
promettre.

« Crise démocratique profonde »
Au sein même du gouvernement,
ce passage en force agace, car il
vient percuter la promesse de re­
nouveau démocratique incarnée
par le chef de l’Etat lors de son élec­
tion, en 2017. « Il y a une incohé­
rence, pointe une ministre. Nous
voulons renouveler la démocratie,
et sur un sujet majeur comme les
retraites on fait le 49.3. Personne
n’a compris ce qu’était cette ré­
forme. Quand j’en parle autour de
moi, les gens me disent : “Il dit des
mots qu’on ne comprend pas, ça
veut dire quoi “équité” ?” En revan­
che, le 49.3, dire que le gouverne­
ment est méchant, c’est parfaite­
ment compréhensible. »
Du côté de la majorité, certains
parlent d’« échec », voire de « crise
démocratique profonde ». « Le 49.
n’est que l’aboutissement de la
manière dont la réforme a été con­
duite, déplore Aurélien Taché, dé­
puté La République en marche
(LRM) du Val­d’Oise et représen­
tant de l’aile gauche macroniste.
Je considère que l’“acte II” n’a pas
été lancé, alors que la réforme des
retraites devait être celle qui im­
pulse la promesse de révolution
démocratique. »
A la fin de l’été 2019, Emmanuel
Macron n’avait­il pas promis un

« grand débat » sur ce régime uni­
versel qu’il entend créer? « Je veux
qu’on incarne le changement de
méthode que j’ai souhaité. C’est­à­
dire qu’on va la construire tous en­
semble, cette réforme », avait­il dé­
claré, le 26 août, sur France 2. Syn­
dicats compris, donc. Las, une
partie d’entre eux devaient
à nouveau descendre dans la rue,
mardi, pendant que les opposi­
tions votaient leurs motions de
censure contre le gouvernement
à l’Assemblée.
Cette conviction quant à la né­
cessité d’un changement de mé­
thode avait été forgée dans le ca­
dre du grand débat national, au
début de l’année 2019. Des mois
d’échange en prise directe entre le
chef de l’Etat, des maires et des ci­
toyens lambda, censés poser les
bases d’une « démocratie délibé­

rative ». Une initiative qui faisait,
au fond, peu de cas du Parlement.
Décriés au début du quinquen­
nat, car assimilés aux affres de
l’ancien monde politique, les
corps intermédiaires peinent à
être remis au cœur du système
macroniste. « Les organisations
syndicales auraient préféré la
transparence d’un débat parle­
mentaire plutôt que le 49.3 », re­
connaît sans mal un ministre. « Il y
a depuis le début un problème ma­
jeur : le gouvernement voit les par­
lementaires comme des empê­
cheurs de légiférer rapidement. Et
les députés de la majorité, de leur
côté, se disent qu’ils vont desservir
le président de la République s’ils
tiennent tête au gouvernement,
alors que c’est tout le contraire. La
politique est un rapport de force »,
estime Matthieu Orphelin, député

du Maine­et­Loire, qui a quitté le
groupe LRM en 2019. En signe de
protestation, deux députés ma­
cronistes, Delphine Bagarry (Al­
pes­de­Haute­Provence) et Hu­
bert Julien­Laferrière (Rhône), ont
claqué la porte, lundi. La veille,
Michel Amiel, sénateur des Bou­
ches­du­Rhône, avait lui aussi an­
noncé qu’il abandonnait LRM.
Dans son programme, en 2017,
l’ancien ministre de l’économie
misait déjà sur le fait d’« accélérer
le travail parlementaire » et de li­
miter « le nombre de mois pendant
lesquels le Parlement légifère ».
« Les gens qui ont voté pour le prési­
dent veulent que les choses avan­
cent. Nous préférons toujours l’ac­
tion à un mauvais compromis »,
défend Ismaël Emelien, ancien
conseiller spécial d’Emmanuel
Macron à l’Elysée.

« Ils avaient pris la main sur le
rythme du texte, déplore un autre.
On ne pouvait pas se laisser tyran­
niser par une minorité. »
Emmanuel Macron et Edouard
Philippe, en quelque sorte,
auraient été les otages de règles
qu’ils n’ont pas eu le temps ou le
loisir de dépoussiérer. « La société
française a besoin d’un fonction­
nement démocratique différent,
mais il ne peut pas se faire dans le
cadre des règles parlementaires ac­
tuelles, estime un visiteur du soir
d’Emmanuel Macron. Pour l’ins­
tant, le jeu se joue avec les règles de
la période précédente, et l’agressi­
vité du débat en fait partie. »

La question de l’« efficacité »
Emmanuel Macron plus qu’un
autre, pourtant, aurait pu vouloir
éviter pareille ornière. En 2015,
l’ancien locataire de Bercy avait
tenté de convaincre un à un les dé­
putés du bien­fondé de sa loi crois­
sance, mais le premier ministre de
l’époque, Manuel Valls, jugeant la
majorité trop fragile du fait de l’op­
position des frondeurs du Parti so­
cialiste, avait recouru d’autorité au
49.3. Un épisode douloureux pour
le jeune ministre de l’économie.
« Nous pensions que nous avions
une majorité, mais l’équipe Valls
pensait de son côté que nous
n’étions pas assez expérimentés
pour le mesurer », se souvient un
collaborateur de l’époque.
Cette fois, la question n’était pas
tant celle des équilibres politi­
ques que de l’« efficacité », comme
dit un macroniste. « Cent
quinze heures de débats en séance
publique, c’est un record. Vous êtes
dans l’“acte III”! », plaisante un
ministre, avant de reconnaître
l’existence d’un « sujet » : « Com­
ment est­ce qu’on rentre à nou­
veau dans l’“acte II” après cette sé­
quence retraites? La question va
se poser de son incarnation et de
son calendrier. »
olivier faye

« LE GOUVERNEMENT VOIT 


LES PARLEMENTAIRES 


COMME DES EMPÊCHEURS 


DE LÉGIFÉRER RAPIDEMENT »
MATTHIEU ORPHELIN
député ex-LRM

Emmanuel Macron quitte le conseil
des ministres extraordinaire organisé
le 29 février, à l’Elysée. JACQUES WITT/SIPA

R É F O R M E D E S R E T R A I T E S


un nouveau nuage sur une campagne
déjà compliquée. En activant l’article 49.
de la Constitution, le gouvernement n’a
pas seulement pris le risque de susciter
un regain de mobilisation contre ce texte.
La décision d’utiliser cette procédure à
quinze jours des élections municipales
ne peut que rendre plus ardue la tâche
des candidats de La République en mar­
che (LRM), alors que le scrutin des 15 et
22 mars s’annonce déjà difficile pour le
jeune parti présidentiel.
« Il est possible que cela entraîne une
nouvelle radicalisation des opposants et
des actions violentes contre les QG de
campagne ou lors des réunions publi­
ques. Et donc que cela pèse sur le moral
des troupes, déjà pas au top », redoute un
membre du gouvernement. « Cela va
entraîner une nouvelle vague de violence
dans la campagne », appréhende à son
tour une candidate LRM.
Une crainte justifiée. Après l’annonce
du 49.3 par le premier ministre, une ma­
nifestation de protestation rassemblant
des centaines de personnes a eu lieu

samedi soir devant l’Assemblée, et la
permanence d’Edouard Philippe au Ha­
vre (Seine­Maritime), où il se présente
comme tête de liste aux municipales, a
été vandalisée. Le lendemain, même scé­
nario pour le ministre des comptes pu­
blics, Gérald Darmanin : son local de cam­
pagne à Tourcoing (Nord), où il se pré­
sente en tête de liste, a, lui aussi, été tagué.

Une arme qui pourrait être bénéfique
Au­delà de cette éruption de colère, reste
à voir si le recours à cette arme législative


  • considérée comme un passage en force
    par l’opposition – peut entraîner une
    sanction dans les urnes. Plusieurs res­
    ponsables macronistes veulent croire
    que cela aura peu d’effet. « Je ne crois pas
    que le 49.3 ait un impact au­delà des quel­
    ques électeurs, qui nous parlent des retrai­
    tes et avaient déjà prévu de voter pour une
    autre liste, estime le secrétaire d’Etat à la
    jeunesse, Gabriel Attal, candidat à Vanves
    (Hauts­de­Seine). Sur le terrain, les élec­
    teurs s’intéressent avant tout aux enjeux
    locaux. » « Les oppositions veulent en faire


un enjeu national mais il faut conserver au
scrutin des municipales son caractère lo­
cal et seulement local », abonde le député
LRM Pieyre­Alexandre Anglade.
Les spécialistes de l’opinion confirment
ce postulat : eux aussi estiment que le
49.3 n’aura pas un impact déterminant.
« Cela peut donner un caractère un peu
plus national à cette élection et renforcer
un vote sanction des Français à l’encontre
du pouvoir en place. Mais l’effet sur les ré­
sultats restera mineur car c’est un scrutin
avant tout local », juge Brice Teinturier,
directeur général délégué d’Ipsos.
La dimension nationale de cette élec­
tion demeure très minoritaire : seuls 14 %
des Français pensent voter pour « sanc­
tionner Emmanuel Macron et le gouver­
nement », selon un récent sondage
Odoxa. « L’impact du 49.3 sur les munici­
pales sera marginal car il n’y a pas d’effet
surprise, abonde Jean­Daniel Lévy, direc­
teur du département politique et opi­
nion de Harris Interactive. C’est dans la
droite ligne de ce qu’a fait le gouverne­
ment jusqu’à présent sur les réformes :

avancer au forceps, sans chercher la con­
certation. » Contre toute attente, les son­
deurs estiment que l’utilisation du 49.
pourrait même être bénéfique pour la
majorité, en consolidant le socle macro­
niste, tout en séduisant des électeurs de
droite. « Même si le 49.3 est considéré
comme un passage en force, cet acte de
fermeté peut paradoxalement renforcer
Emmanuel Macron et les candidats de son
parti auprès d’électeurs, qui se disent : “Le
président réforme, il veut avancer, sans
s’enliser à cause de l’obstruction de La
France insoumise” », estime Frédéric
Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP.
Un phénomène observé par la députée
macroniste, Anne­Laurence Petel, candi­
date à Aix­en­Provence : « Dans mes dis­
cussions avec les Aixois, la stratégie d’obs­
truction de l’extrême gauche choque plus
que l’usage du 49.3 », assure­t­elle. Selon
l’institut BVA, si le recours à ce dispositif
est massivement rejeté par les Français, il
est en revanche approuvé par 74 % des
sympathisants de LRM.
alexandre lemarié

« Sur le terrain, les électeurs s’intéressent avant tout aux enjeux locaux »


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A entendre ses défenseurs, l’exé­
cutif aurait été contraint d’utiliser
le 49.3 par le jeu d’une procédure
démocratique viciée en raison de
l’« obstruction » des députés com­
munistes et de La France insou­
mise. « Nous savions dès le début
que l’histoire se finirait par le 49.3,
souffle un poids lourd de la
majorité. Trente­trois députés ont
assumé une action de sabotage dé­
mocratique pendant treize jours. »
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