Le Monde - 22.02.2020

(John Hannent) #1
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SAMEDI 22 FÉVRIER 2020 économie & entreprise| 17

De nombreux


points de crispation


avec l’exécutif


Emmanuel Macron devrait aborder
les sujets d’inquiétude avec la profession
au Salon de l’agriculture, qu’il doit inaugurer

E


mmanuel Macron devait
inaugurer le Salon de l’agri­
culture, à Paris, porte de
Versailles, samedi 22 février. Il re­
viendra de Bruxelles, où il a dit « se
battre pour la politique agricole
commune », alors que les Vingt­
Sept négocient le budget euro­
péen. « Je ne tolérerai aucune vio­
lence à l’encontre des agricul­
teurs », a­t­il prévenu dans un en­
tretien à la presse quotidienne
régionale, vendredi 21 février. Sur
le Salon, il a prévu de rencontrer
les professionnels les plus in­
quiets, à l’instar des viticulteurs
touchés par les taxes Trump, des
pêcheurs, suspendus aux négo­
ciations sur le Brexit ou des céréa­
liers, remontés contre les limita­
tions d’usage des pesticides.
Même si aucune crise aïgue ne se­
coue l’agriculture française, les su­
jets de discorde ne manquent pas.

Glyphosate et ZNT Les produits
phytosanitaires restent au cœur
des tensions entre la Fédération
nationale des syndicats d’exploi­
tants agricoles (FNSEA) et le gou­
vernement. Le décret fixant les
zones de non­traitement (ZNT)
par les pesticides a été l’un des dé­
clencheurs de manifestations, en
novembre 2019, organisées par le
syndicat, associé aux Jeunes agri­
culteurs. Ce décret, publié le
27 décembre 2019, pour une appli­
cation au 1er janvier 2020, a fixé
des distances minimales d’épan­
dage comprises entre 5 et 10 mè­
tres des habitations. Elles sont
portées à 20 mètres pour les pro­
duits jugés les « plus dangereux ».
La FNSEA a demandé un mora­
toire sur son application et négo­
cie la mise en place de chartes de
voisinage et des compensations
financières. Mécontente de la ré­
glementation, la Coordination ru­
rale a saisi le Conseil d’Etat. Elle a
déposé, mi­février, une requête en
annulation et une requête en
référé­suspension contre l’arrêté.
A noter que les ONG, qui, elles,
jugent le texte pas assez contrai­
gnant, ont aussi demandé son
abrogation au Conseil d’Etat.
Cette bataille autour des ZNT in­
tervient alors que le gouverne­
ment a annoncé une hausse des
ventes des produits phytosanitai­
res en France en 2018 (+ 21 %). Dans
son entretien à la presse régionale,
M. Macron a donné des gages aux
agriculteurs en réaffirmant que
l’objectif d’interdiction du glypho­
sate, en 2021, « ne sera pas tenable
sur la totalité des exploitations ».

Loi Egalim Le Salon de l’agricul­
ture correspond à la dernière ligne
droite des négociations commer­
ciales annuelles entre industriels
et distributeurs, qui s’achèvent fin
février. Cette fois, l’enjeu est d’ap­
pliquer les nouvelles règles de la
loi Egalim, votée en 2018, mais en
vigueur depuis moins d’un an.
L’un des objectifs est d’assurer une
plus juste rémunération des agri­
culteurs en prenant en compte les
coûts de production dans la négo­
ciation et de mieux répartir la va­
leur dans la chaîne alimentaire.
Le gouvernement a mis la pres­
sion sur la distribution en infli­
geant, le 10 février, une amende
d’un montant total de 4 millions
d’euros Carrefour, Systeme U et
Intermarché pour non­respect
des règles lors des négociations
commerciales 2019. Des filières,
comme celle du lait, semblent bé­

néficier du dispositif. Celles du
foie gras et de la volaille ont de­
mandé un assouplissement de la
règle, qui limite à 25 % le volume
vendu sous promotion.

Accords de libre­échange La rati­
fication, à l’été 2019, par les dépu­
tés (le Sénat ne s’est pas penché
sur le texte) de l’accord de libre­
échange entre l’Union euro­
péenne (UE) et le Canada (CETA) a
mis le feu aux poudres. Les agri­
culteurs s’interrogent sur la cohé­
rence du gouvernement qui, d’un
côté, fait voter l’article 44 de la loi
Egalim interdisant la vente de
produits agricoles ne respectant
pas les règles sanitaires européen­
nes et, de l’autre, soutient le CETA,
prêt à ouvrir les portes à la viande
canadienne, qui ne les applique
pas. M. Macron avait toutefois an­
noncé, en août 2019, qu’il retirait
son soutien à l’accord de libre­
échange entre l’UE et les pays du
Mercosur (Brésil, Argentine, Para­
guay et Uruguay). Mais « Bruxelles
n’a pas renoncé à l’accord avec le
Mercosur », affirme Christiane
Lambert, présidente de la FNSEA.
Les négociations se poursuivent
aussi avec les Américains. « Nous
ne voulons pas d’accord avec les
Etats­Unis », martèle Jean­Michel
Schaeffer, président d’Anvol, l’in­
terprofession de la volaille, alors
que 45 % de la consommation
française provient du Brésil, de la
Thaïlande et de l’Ukraine.

Taxes Trump sur le vin La filière
viticole se dit victime d’un conflit
qui la dépasse. Depuis le 18 octo­
bre 2019, les exportations de vin
sans bulles vers les Etats­Unis sont
taxées à 25 %. Une décision prise
par Donald Trump en représailles
aux subventions jugées indues de
l’Europe à Airbus. Cette sanction a
été prolongée, le 14 février, pour
au moins six mois. Antoine Lec­
cia, président de la Fédération des
exportateurs de vins et spiritueux
demande à M. Macron « de déblo­
quer sans attendre 300 millions
d’euros, sous la forme d’un fonds de
compensation d’urgence ». Cette
taxe a déjà entraîné un recul de
17,5 % des exportations de vin au
quatrième trimestre, soit une
perte de chiffre d’affaires supé­
rieure à 40 millions d’euros.
laurence girard

De l’étable aux rayons, la bataille de l’étiquetage


Qu’ils soient réglementés ou le fruit d’initiatives privées, de plus en plus de labels existent,
alors que les Français n’ont jamais été aussi regardants sur le contenu de leur assiette

B


ovins, ovins ou porcins
sont prêts à défiler sur les
rings de présentation du
Salon de l’agriculture. Pour le plus
grand bonheur de leur proprié­
taire, certains décrocheront le
prix du concours général agri­
cole. Une breloque qui viendra
orner la porte de l’étable, de re­
tour à la ferme. Mais les animaux
ne sont pas seuls en lice. Fromage,
charcuterie, bière, miel... toute
une gamme de produits alimen­
taires vont concourir pour décro­
cher le Graal : la feuille de chêne
qui s’imprimera sur l’étiquette.
Un gage de goût aux yeux du
consommateur.
Le Salon ne met pas en exergue
ce seul étiquetage, même s’il est
adoubé par le ministère de l’agri­
culture. Coopératives, entrepri­
ses, distributeurs rivalisent
d’imagination pour allécher ou
rassurer le client. Une tendance
d’autant plus marquée, que les
Français n’ont jamais été aussi re­
gardants sur le contenu de leur
assiette. Le succès de l’application
mobile Yuka, qui note la qualité
nutritionnelle des produits in­
dustriels, le prouve.
Cette appli s’appuie sur la pré­
sence d’additifs dans la composi­
tion et sur le NutriScore pour éla­
borer sa notation. Un repère nu­
tritionnel élaboré sous l’égide des
autorités de santé et que de plus
en plus d’entreprises adoptent.
Avec un code couleur du vert au
rouge et des lettres allant de A à E
(indiqués sur l’avant du produit),
il est de lecture facile pour le
consommateur. Les derniers

convertis, les américains PepsiCo
et Kellogg’s, ou encore le suisse
Nestlé, rejoignent les pionniers
comme Danone, Fleury­Michon
ou Marie. Mais aussi les ensei­
gnes de distribution pour leur
marque propre. Pour le consom­
mateur, maintenant, tout l’enjeu
est que cet étiquetage soit étendu
au niveau européen et qu’il de­
vienne contraignant et non plus
facultatif. Déjà Belgique, Allema­
gne, Pays­Bas, Espagne et Luxem­
bourg sont prêts à emboîter le pas
à la France.

Scandales alimentaires
Un autre étiquetage a déjà une dé­
finition européenne élaborée
sous l’égide des pouvoirs publics :
celui de l’agriculture biologique
avec sa feuille faite d’étoiles blan­
ches sur fond vert. Un logo qui
certifie une production sou­
cieuse de l’environnement et dé­
sireuse de répondre aux attentes
du consommateur en matière de
santé. La réécriture du cahier des
charges au niveau européen, a
toutefois, été très laborieuse.
On peut aussi citer les appella­
tions d’origine protégées (AOP) et
les indications d’origine protégées
(IGP), des sigles apposés sur les
fromages, charcuteries ou vins, re­
vendiquant leur ancrage local, se­
lon des cahiers des charges régu­
lièrement réécrit par les profes­
sionnels et soumis à l’approba­
tion de Bruxelles. Sans oublier, la
spécialité française du label rouge
axé sur la qualité du produit.
D’autres initiatives ont vu le
jour sous la pression des crises

alimentaires. A la suite du scan­
dale de la viande de cheval
en 2013, la France a obtenu une
dérogation de l’Union euro­
péenne pour apposer la prove­
nance de la viande sur les plats
préparés. Cette dérogation a de­
puis été régulièrement renouve­
lée. Depuis, des logos à la cocarde
tricolore fleurissent sur de nom­
breux produits : bœuf, volaille,
œufs, fleurs, etc.
Mais face à ces étiquetages en­
cadrés de manière réglementai,
de multiples initiatives privées
surgissent. Le « sans résidu de
pesticide », par exemple, fait flo­
rès. Des fruits et légumes cultivés
sous serre et hors sol ont com­
mencé à arborer ce sigle. Mieux,
cette année, à l’occasion du Salon
de l’agriculture, la coopérative
Cooperl lance une nouvelle décli­
naison de son jambon « bien
élevé », avec « des porcs nourris
aux céréales sans pesticides ».
« La mention sans pesticide n’est
pas réglementée en France, con­
trairement à la mention sans
OGM », explique Olivier An­
drault, de l’association de con­
sommateurs UFC­Que choisir. La

Cooperl reconnaît cette absence
de réglementation et affirme
avoir développé par elle­même
un cahier des charges privé.
Ainsi, les engrais chimiques res­
tent autorisés pour limiter la
baisse de rendement.
Donner des gages environne­
mentaux, sans subir les contrain­
tes de l’agriculture biologique,
c’est aussi le sens de la certifica­
tion HVE (haute valeur environne­
mentale), qui, elle, est réglemen­
tée. De plus en plus de coopérati­
ves incitent leurs adhérents à la
demander. Le ministère de l’agri­
culture comptabilisait 2 200 ex­
ploitations agricoles bénéficiant
de la mention HVE et du logo, créé
en 2014, apposé sur leurs produits.
D’autres étiquetages apparais­
sent encore. Comme celui notant
le bien­être animal, de A à C sur
un dégradé de vert, élaboré à
l’origine par des ONG et Casino,
rejoint depuis par Système U et
Carrefour. Ou encore ceux ten­
tant d’éclairer l’origine France
des produits élaborés avec de
nombreux ingrédients. Inter­
marché a lancé le Franco­score.
Leclerc réplique avec Savoir
d’achat, qui indique l’origine des
ingrédients et le lieu de fabrica­
tion. Un groupe d’industriels,
coopératives et distributeurs
(ex­Ferme France), prône quant à
lui « la note globale ».
« Toutes ces initiatives apparais­
sent car il y a un manque d’infor­
mations des consommateurs, une
béance réglementaire », conclut
Olivier Andrault.
l. gi.

Les salaires à la
FNSEA critiqués
Après la publication, mercredi
19 février, par Mediapart, de
données correspondant aux
salaires des dirigeants de la
FNSEA, le premier syndicat agri-
cole français, la FNSEA, a réagi
en invoquant un « règlement de
comptes ». Selon le site d’infor-
mation, le nouveau directeur gé-
néral de la FNSEA, Clément Fau-
rax, émarge à 13 400 euros brut
par mois. Son remplaçant au
poste de directeur général ad-
joint, Jean-Louis Chandellier,
toucherait 9 600 euros par mois.
L’ancienne directrice générale
aurait, elle, bénéficié d’un sa-
laire de base de 8 900 euros
et d’une prime mensuelle de
6 000 euros, en tant que
conseillère à temps partiel, jus-
qu’à sa retraite, en octobre 2019.
La FNSEA affirme que ces infor-
mations ont fait l’objet d’un vol
et qu’une plainte a été déposée.

POUR LE 


CONSOMMATEUR, 


TOUT L’ENJEU


EST QUE CETTE 


PRATIQUE DEVIENNE 


CONTRAIGNANTE

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