18 |économie & entreprise SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
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Banque mondiale : une partie de
l’aide aux pays pauvres détournée
Les versements de l’institution aux Etats les plus fragiles coïncident
avec une hausse des transferts de fonds vers les paradis fiscaux
C’
est en découvrant
qu’une hausse des
cours du pétrole en
traînait un afflux de
capitaux vers les paradis fiscaux
que Bob Rijkers, économiste à la
Banque mondiale (BM), a eu cette
idée de recherche : et si l’aide au
développement produisait les mê
mes effets? La réponse est oui. A la
question « Les élites captentelles
l’aide au développement? », le rap
port publié, mardi 18 février, par la
BM conclut : « Les versements
d’aides vers les pays les plus dépen
dants coïncident avec une aug
mentation importante de trans
ferts vers des centres financiers
offshore connus pour leur opacité
et leur gestion privée de fortune. »
Autrement dit, une partie de
l’aide publique au développe
ment dans les pays pauvres est
détournée vers les paradis fis
caux. Le taux de fuite présumée
s’élève en moyenne à 7,5 %.
Un article publié, le 13 février,
par le magazine britannique The
Economist laisse entendre que les
hauts responsables de la BM n’ont
pas apprécié les conclusions des
trois chercheurs, dont deux sont
indépendants. La publication du
rapport aurait été bloquée, en no
vembre 2019, par l’étatmajor de
l’institution dont le siège est à
Washington, ce qui aurait préci
pité le départ de son économiste
en chef, Pinelopi Goldberg, qui a
annoncé sa démission, début fé
vrier, seulement quinze mois
après sa nomination.
« Il est possible que la Banque
mondiale l’ait irritée en décidant de
bloquer la publication d’une étude
de son équipe », écrit The Econo
mist, citant d’autres hypothèses,
comme la réorganisation de la BM,
qui place désormais l’économiste
en chef sous la tutelle de la nou
velle directrice opérationnelle,
Mari Pangestu. Dans le courriel en
voyé le 5 février en interne pour
annoncer sa démission, et auquel
Le Monde a eu accès, Mme Goldberg
reconnaît seulement que sa déci
sion était « difficile » à prendre,
mais qu’il était temps pour elle de
retourner enseigner à l’université
américaine de Yale (Connecticut).
Niels Johannesen, l’un des coau
teurs de l’étude, qui enseigne à
l’université de Copenhague et
n’est pas employé à la BM, l’a
d’abord mise en ligne sur son site
Internet, avant de la retirer quel
ques jours plus tard, afin qu’elle
soit modifiée et, enfin, approuvée
cette semaine par l’Institution.
Dans la première version, les
auteurs expliquent que les verse
ments d’aides sont la « cause » des
transferts d’argent vers les centres
offshore, tandis que dans la ver
sion finale, ils préfèrent évoquer
une « coïncidence » plutôt qu’un
lien de causalité. « Les modifi
cations ont été approuvées par les
auteurs, et je suis satisfait du résul
tat final », tient à préciser Niels Jo
hannesen. Dans un communiqué
publié, mardi 18 février, l’institu
tion, qui publie près de 400 études
chaque année, explique « prendre
très au sérieux la corruption et les
risques fiduciaires qui lui sont liés ».
« Elites économiques »
Les chercheurs ont croisé les don
nées de la Banque des règlements
internationaux (BRI), à savoir les
flux financiers entre les paradis
fiscaux et vingtdeux pays pau
vres, avec les déboursements que
ces derniers reçoivent de la Ban
que mondiale. Les deux coïnci
dent sur un intervalle trimestriel.
Les pays pauvres qui reçoivent
une aide publique au développe
ment équivalente à 1 % de leur
produit intérieur brut voient
leurs transferts vers les centres
offshore augmenter en moyenne
de 3 % par rapport à ceux qui ne
reçoivent aucune assistance.
Les auteurs ont éliminé d’autres
hypothèses pouvant expliquer ces
transferts. Ils ont vérifié qu’aucun
événement inhabituel (crise éco
nomique, catastrophe naturelle...),
ne justifiait une sortie de capitaux
plus élevée que d’ordinaire, et ont
constaté que cette hausse ne béné
ficiait pas à d’autres centres finan
ciers plus transparents (Allema
gne ou France).
Vingtdeux pays pauvres, dont
une majorité se trouvent en Afri
que, ont été inclus dans l’étude
pour donner à l’échantillon une
taille suffisamment importante,
d’où la difficulté d’en tirer des le
çons sur un pays en particulier.
Autre limite : les données sont
collectées à partir de 1990 et ne
vont pas audelà de 2010. « Cer
tains pays sont réticents à ce que la
BRI nous fournisse des données ré
centes », regrette M. Johannesen.
Malgré toutes ces limitations, les
auteurs de l’étude estiment qu’« il
est presque certain que les bénéfi
ciaires de cet argent, envoyé vers les
centres offshore au moment où
leur pays reçoit une aide au déve
loppement, appartiennent à l’élite
économique ». Les populations de
ces pays pauvres ne détiennent
souvent aucun compte bancaire,
encore moins à l’étranger.
julien bouissou
Le taux de fuite
présumée
de l’argent versé
s’élève
en moyenne
à 7,5 %
Le blocage du réseau ferroviaire
paralyse l’économie canadienne
Les autochtones réclament l’arrêt de la construction d’un gazoduc
montréal correspondance
D
ans le port de Montréal,
les conteneurs de cou
leurs s’empilent. L’espace
de stockage va bientôt manquer. A
l’autre extrémité du pays sur la
côte pacifique, des cargos patien
tent à l’entrée du port de Van
couver, ils ne peuvent plus ni char
ger ni décharger. Les autorités
maritimes envisagent à court
terme de les dérouter vers les
ports américains de Seattle ou Los
Angeles. Même scénario à Halifax
en NouvelleEcosse.
Depuis le 6 février, la contesta
tion d’un tracé de gazoduc, qui
prévoit de traverser le territoire
autochtone des Wet’suwet’en en
ColombieBritannique, a provo
qué un blocage ferroviaire en
passe de paralyser l’économie du
pays. Les chefs héréditaires de
cette Première Nation, qui s’esti
ment seuls souverains sur leurs
territoires ancestraux, ne recon
naissent pas la légitimité de l’ac
cord conclu entre l’entreprise
Coastal GasLink et leurs chefs élus.
Ils ont reçu le soutien des autres
communautés autochtones.
Depuis plus de quinze jours,
ponctuellement aidés par des mi
litants écologistes et des étudiants,
les autochtones ont érigé sur les
voies ferrées des barrages de for
tune en quelques points névralgi
ques du réseau qui ont ralenti,
voire stoppé le transport ferro
viaire. Canadien National, proprié
taire d’une grande partie du ré
seau ferré du pays a déjà procédé
à la mise à pied temporaire de
450 salariés après l’annulation de
plus de 400 trains de marchandi
ses. Via Rail, qui exploite le trans
port des passagers a interrompu
toutes ses liaisons TorontoMon
tréalOttawa, estimant à plus de
100 000 le nombre de voyageurs
affectés. Mille cheminots ont aussi
été temporairement remerciés.
« Le réseau ferroviaire canadien
est la colonne vertébrale de l’écono
mie du pays », dit Jacques Roy, pro
fesseur de gestion de transports et
de la logistique à HEC Montréal.
« Plus que le camion, plus cher,
plus lent et qui manque par ailleurs
de maind’œuvre, le rail assure l’es
sentiel du fret, il sert également à
connecter tous les grands ports. »
Des ports où s’entassent aujour
d’hui des conteneurs pleins : pro
duits périssables (des enseignes
s’affolent de l’imminente pénurie
de ketchup), médicaments (pas
de rupture de stock à ce jour) et
matières premières pour les entre
prises. Une entreprise chimique
québécoise a, par exemple, sus
pendu son activité dans son usine
de traitement des eaux, faute
de chlore, quand les agriculteurs
s’inquiètent eux d’une éventuelle
pénurie de propane.
Le « nœud » ferroviaire principal
se situe près de Belleville en Onta
rio, où les Mohawks tiennent le
barrage depuis le premier jour. Or
l’Ontario est une voie de passage
essentielle entre l’ouest et l’est
du pays et par laquelle transitent
les trois quarts des exportations
canadiennes vers les EtatsUnis.
« Des entreprises paniquent, af
firme Véronique Proulx, prési
dente du groupe Manufacturiers
et exportateurs du Québec, certai
nes vont devoir interrompre leurs
chaînes de production. » La grande
compagnie forestière Résolu envi
sage de réduire sa production de
bois et pâte à papier, faute de pou
voir écouler ses produits.
« Trouver une solution rapide »
Une vingtaine de grosses entre
prises manufacturières (les ali
ments Maple Leaf, le conglomérat
JD Irving, Nova Chemicals...), sui
vies quelques heures plus tard par
les représentants de plus de
11 000 PME ont envoyé des cour
riers en début de semaine au
premier ministre, Justin Trudeau,
lui réclamant de « trouver une
solution rapide pour mettre fin
aux perturbations ». Ces représen
tants de l’industrie estiment que
chaque jour de blocage retarde la
livraison de produits d’une valeur
de 425 millions de dollars cana
diens (297 millions d’euros).
Malgré la pression économique
et politique, avec une opposition
conservatrice qui l’accuse de « fai
blesse » et des ministres provin
ciaux qui le somment de dévoiler
« un plan de sortie de crise », le pre
mier ministre continue de plaider
« pour une solution pacifique »,
refusant jusqu’à présent de faire
évacuer les barrages par les forces
de l’ordre. La gendarmerie royale
du Canada a annoncé jeudi qu’elle
était prête à se retirer du territoire
Wet’suwet’en, qu’elle avait investi
en janvier pour protéger l’accès au
chantier du gazoduc, une condi
tion exigée par les autochtones
pour débuter le dialogue avec les
autorités. Peutêtre les prémices
d’une sortie de crise.
hélène jouan
Dans les ports
s’entassent des
conteneurs pleins
de produits
périssables,
médicaments
et matières
premières
1,36 MILLIARD
C’est, en euros, le prix auquel Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris) a ra-
cheté 49,01 % du capital du conglomérat indien GMR, exploitant sept
aéroports internationaux situés en Inde, à New Delhi et Hyderabad,
mais aussi aux Philippines et en Grèce. L’opération a été annoncée,
jeudi 20 février, par ADP et doit se dérouler en deux temps. D’abord,
l’acquisition, dans les prochains jours, de 24,99 % du capital, puis,
« dans les prochains mois », celle de 24,01 %, soumise à certaines
conditions réglementaires, explique ADP dans un communiqué.
A l’issue du rachat, le groupe détiendra GMR Airports conjointement
avec GMR Infrastructure Limited, qui conservera 51 % du capital.
F E R R O V I A I R E
Le gouvernement lance
son programme pour les
petites lignes de trains
Le gouvernement a lancé,
jeudi 20 février, son pro
gramme de sauvetage des pe
tites lignes de train, qui doi
vent être toutes rénovées
ou converties en corridor
de transport avec un autre
mode, d’ici une dizaine d’an
nées. L’exécutif avait chargé
en janvier 2019 le préfet Fran
çois Philizot de réfléchir au
sort de ces petites lignes, lui
demandant un diagnostic et
de possibles solutions. – (AFP.)
L’espagnol Renfe
développera la première
ligne TGV aux Etats-Unis
La compagnie ferroviaire
espagnole Renfe a annoncé,
jeudi 20 février, un accord
à 6 milliards de dollars
(5,5 milliards d’euros) avec la
société Texas Central pour dé
velopper une ligne ferroviaire
à grande vitesse qui sera
la première aux EtatsUnis.
Renfe précise que le contrat
pour aider Texas Central
à développer et opérer cette
ligne entre Houston et Dallas
courra jusqu’en 2042. – (AFP.)
T É L É P H O N I E
Huawei-5G : Bouygues
veut protéger « l’équité
de la concurrence »
Martin Bouygues, président
du groupe Bouygues, a rap
pelé, jeudi 20 février, qu’il
veillerait à ce que « l’équité
de la concurrence » soit pré
servée en cas d’interdiction
aux opérateurs d’utiliser
des équipements du chinois
Huawei. Aujourd’hui, seuls
deux des quatre opérateurs
français disposent d’équipe
ments du chinois dans leurs
réseaux, SFR et Bouygues
Telecom. – (Reuters.)
B A N Q U E S
Morgan Stanley rachète
le courtier E-Trade
La banque d’affaires améri
caine Morgan Stanley a an
noncé jeudi 20 février rache
ter, en titre, la maison de
courtage en ligne ETrade
pour 13 milliards de dollars
(12 milliards d’euros). Cette
acquisition, la plus grosse
réalisée par une grande ban
que américaine depuis la
crise de 2008, s’inscrit dans
les manœuvres en cours
dans le secteur du courtage
en ligne. – (AFP.)
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L’HOMME
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