30 | 0123 SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
0123
C’
est un projet éclatant
qui cache un nondit
et une pointe de
démagogie. Qui peut
raisonnablement s’opposer à
une rénovation des ChampsEly
sées? La célèbre avenue, truffée de
joyaux et de bâtiments classés,
est devenue une autoroute usée,
bruyante, polluée, défigurée, désé
quilibrée. Il faut la « réenchanter »,
la « végétaliser », la rendre « inclu
sive » – une doxa en vogue, qui nie
les particularités. Une exposition
au Pavillon de l’Arsenal pense au
renouveau, en long et en large,
avec appel à contribution des
Parisiens, comme Le Monde du
20 février l’a raconté.
Il est vrai que la promenade
royale, dessinée par Le Nôtre au
XVIIe siècle, n’a plus bougé depuis
vingtcinq ans. Jacques Chirac
était alors maire. Les trottoirs ont
été agrandis, les contreallées sup
primées, une deuxième rangée de
228 platanes a été plantée. Mais il
reste encore huit voies de circula
tion. Il est donc proposé de réduire
la voiture de moitié au profit des
trottoirs, d’accueillir arbres, ter
rasses, vélos et loisirs. Et même de
retirer les pavés – une façon de
nier l’histoire populaire du lieu.
Le but claironné? Faire revenir
les Parisiens sur les Champs.
Comme si une rénovation suffi
sait. Ce sera bien plus compliqué,
quand on sait qu’ils sont à peine
5 % à les fréquenter. Les Parisiens
pensent que l’avenue la plus célè
bre du monde n’est plus pour
eux. Du reste, ses 2 kilomètres ne
sont pas habités ou presque.
Voyons pourquoi.
On résume souvent l’avenue à
sa partie haute, tant elle grouille
de monde, quand le bas est
souvent vide. Le haut est arpenté
chaque jour par 150 000 person
nes qui sont essentiellement des
touristes, et puis des gens qui y
travaillent, des banlieusards
aussi. Les boutiques ou restau
rants voient se côtoyer le luxe et
le bon marché, soit un mélange
rare de mondialisation chic et po
pulaire, transcendé par les mati
nées de parade, les aprèsmidi
d’émeutes et les soirs de liesse.
Mais pas de commerces pour en
faire un lieu de vie.
Il fut un temps où la culture
y avait sa place. La première Ex
position universelle s’y installe
en 1855, celle de 1900 construit le
Grand et le Petit Palais. Les héroï
nes de Maupassant ou de Proust
s’y promènent. Des journaux y
ont leur siège. Les minets pari
siens se retrouvent au Drugstore
de l’Etoile, le monde du cinéma
au Fouquet’s. Godard y filme Jean
Seberg vendant le Herald Tribune
dans A bout de souffle. Tout cela
est fini. Il y avait vingthuit ciné
mas en 1976, il en reste six. Le
Drugstore du rondpoint des
ChampsElysées, le Virgin Megas
tore, la boîte de nuit le Queen ont
fermé. Comme souvent ailleurs,
la culture et la vie sont rempla
cées par la mode et les marques.
Le principal monument de l’ave
nue est la boutique Louis Vuitton
avec sa longue file d’attente de
clientes asiatiques.
Tout cela pour dire que le tou
risme détruit la culture, fragilise
les sites et le patrimoine, fait fuir
les habitants et les commerces de
proximité, et insupporte ceux qui
restent. Ce phénomène se vérifie à
Barcelone, à Venise, à Dubrovnik
ou au Machu Picchu. Nulle part
personne ne fait rien ou presque,
pour une raison simple : le tou
risme fait aussi vivre un site ou
une ville. La première motivation
d’un voyageur est culturelle. Et le
tourisme pèse pour 400 000 em
plois en IledeFrance – la plus
grosse industrie de la région.
Tous les candidats aux munici
pales à Paris disent publiquement
leur inquiétude, Anne Hidalgo en
tête, Cédric Villani aussi, pour
qui les Champs « sont le symbole
de l’envahissement du tourisme »,
mais ils ne bougeront pas – trop
d’intérêts en jeu. Aussi, à l’horizon
2040, le nombre de touristes à
Paris devrait passer de 36 millions
à 54 millions, alors que le nombre
d’habitants ne cessera de baisser,
pour atteindre les 2 millions. Qui
perdra le plus d’habitants? La
zone des ChampsElysées.
Voyons maintenant le bas de
l’avenue. Là encore il y a peu de
Parisiens. Pas plus de touristes, car
il n’y a pas de commerces. En fait il
n’y a rien. Ou, plutôt, des deux cô
tés de la chaussée, 15 hectares de
jardins proches du no man’s land.
Les amoureux de verdure pré
fèrent le parc Monceau – quarante
fois plus fréquenté. Sur ce tron
çon, il ne devrait pas être compli
qué de faire mieux pour espérer
que les Parisiens reviennent.
Sans tomber dans le concept de
« forêt urbaine », un oxymore de
communicant.
Frénésie verte
Nous voilà donc face à un projet
de rénovation globale de l’ave
nue, alors que ses deux parties
sont aussi opposées que le feu et
la glace, ce qui pose problème en
raison de l’entité qui le porte. Il
s’agit du Comité ChampsElysées,
qui réunit essentiellement les
commerçants. On ne doute pas
de leur amour pour toute l’ave
nue, mais il est probable que leur
tendresse va plus au haut qu’au
bas. On ne doute pas de leur leit
motiv à vouloir faire revenir les
Parisiens, mais on peut y voir
aussi une ficelle pour séduire la
Ville, qui aura la facture entre les
mains, dont le montant est es
timé à 150 millions d’euros.
Pour la partie haute, dominée
par les touristes, il serait logique
que les commerçants paient puis
qu’ils seront les principaux béné
ficiaires. Pour le bas, qui vise les
Parisiens, c’est à la Ville de payer.
Du reste, les principaux candidats,
Anne Hidalgo en tête, ont dit que
leur priorité était de rendre les jar
dins attractifs en les densifiant et
en réduisant la chaussée.
Espérons simplement que cette
frénésie verte n’aille pas jusqu’à
contaminer, comme certains le
proposent, la place de la Concorde
avec pelouses pour piqueniquer
et arbres pour s’abriter. Dessinée
au XVIIIe par AngeJacques Ga
briel, immense, puissante et mi
nérale, classée monument histori
que, la Concorde a juste besoin,
outre un nettoyage, de ne plus être
massacrée par les voitures. La
Concorde est une place, mais aussi
une œuvre. Si elle devient une
base de loisirs, elle deviendra un
nouveau symbole d’une dimen
sion culturelle perdue. Qui a tant
fait de mal aux ChampsElysées.
I
l y a à peine moins d’un an, le
15 mars 2019, un homme armé jus
qu’aux dents faisait irruption dans
une mosquée de Christchurch, en Nouvel
leZélande, tirait aveuglément sur les fidè
les réunis pour la prière du vendredi, puis
répétait le même scénario dans une se
conde mosquée, tuant au total 51 person
nes, pour la plupart des immigrés. Le
tueur, un Australien de 28 ans, se réclamait
des thèses conspirationnistes et islamo
phobes d’extrême droite, dans lesquelles il
avait abondamment puisé et qu’il avait ré
pandues sur Internet.
C’est de la même logique de haine raciste
que se réclamait l’Allemand de 43 ans qui a
tué, mercredi 19 février, à Hanau, en Alle
magne, neuf personnes au cours de deux
fusillades dans des bars à chicha. Si les si
militudes sont frappantes entre ces deux
tragédies dans des pays aux antipodes l’un
de l’autre, il y a, cependant, une différence
importante : l’attaque de Christchurch était
sans précédent dans la paisible Nouvelle
Zélande, alors que, en Allemagne, les vio
lences meurtrières perpétrées par des per
sonnes ou des groupes se disant ouverte
ment d’extrême droite se sont multipliées
ces dernières années.
Alors que toute l’attention était fixée sur
le terrorisme islamiste en Europe, les thè
ses extrémistes racistes ont insidieuse
ment progressé dans la quasitotalité des
démocraties de l’Union européenne, sous
le couvert d’opposition à l’immigration.
Mais c’est en Allemagne qu’elles ont pris la
forme la plus violente, nourrissant la folie
d’individus et de groupuscules prêts à pas
ser à l’acte pour s’en prendre physique
ment aux immigrés, aux juifs et aux mu
sulmans, ainsi qu’à ceux qui les défendent.
La chancelière Angela Merkel a raison de
qualifier ce terrorisme de « poison » : la vio
lence raciste semble s’être insinuée dans le
corps social allemand et y progresser
inexorablement. Après une série de meur
tres d’immigrés dans les années 2000, il y a
eu les chasses au musulman dans les rues
de Chemnitz, dans l’exRDA, en 2018, puis
l’assassinat, en 2019, de Walter Lübcke, res
ponsable régional de la CDU, le parti de
Mme Merkel, qui avait activement défendu
l’accueil d’un million de réfugiés en 2015.
L’attaque de la synagogue de Halle a suivi,
en octobre 2019, chacun de ces épisodes
marquant une nouvelle étape dans l’ex
pression ou la cible de la violence raciste.
Y atil une spécificité allemande à ce
fléau? Les services de sécurité d’outreRhin
ont été critiqués pour avoir sousestimé
l’ampleur de la violence xénophobe, voire
pour s’être laissé infiltrer par les partisans
des thèses néonazies. Longtemps à l’abri,
en grande partie à cause de son histoire, de
la montée des partis d’extrême droite pré
sents dans d’autres pays comme la France,
l’Allemagne est aujourd’hui profondément
secouée par les succès électoraux et le dis
cours radical d’AfD (Alternative für Deuts
chland), qui dispose de 92 députés au Bun
destag depuis 2017.
AfD est d’ailleurs le seul parti à avoir nié,
jeudi, le caractère idéologique de la tuerie
de Hanau, amenant le secrétaire d’Etat aux
affaires européennes, Michael Roth (SPD), à
qualifier ce parti de « bras politique du ter
rorisme d’extrême droite ». La mise en cause
d’AfD ne peut suffire. Il faut rechercher en
profondeur les raisons de la montée de l’ex
trême droite en Allemagne. Les autres par
tis et les responsables publics doivent aussi
éviter toute complaisance et passer résolu
ment à l’offensive. Le poison n’est pas né
cessairement mortel : il se combat. Mais il
faut pour cela de puissants antidotes.
FAIRE REVENIR
LES PARISIENS SUR
LES CHAMPSÉLYSÉES ?
COMME SI
UNE RÉNOVATION
SUFFISAIT !
L’ALLEMAGNE
FACE AU POISON
Les Champs- DU RACISME
Elysées contre nature
SES DEUX
PARTIES, LE HAUT
ET LE BAS, SONT
AUSSI OPPOSÉES
QUE LE FEU
ET LA GLACE
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