“IL RESSEMBLE À ROBERT CONRAD DANS
‘LES MYSTÈRES DE L’OUEST’, VOUS NE TROUVEZ
PAS? ” La photo de Benoît Payan, candidat du
Printemps marseillais dans le 2e secteur de
Marseille, collée sur l’une des vitres de la per-
manence électorale, fait son effet. Est-ce la
fine cravate sur chemise blanche qu’arbore le
conseiller départemental socialiste? Les yeux
bleu lagon? Ce samedi 15 février, plus d’une
centaine de personnes inaugurent les lieux, au
rez-de-chaussée d’un immeuble haussman-
nien décrépit. Les teintes pop choisies par le
Printemps marseillais pour sa communication
tentent de mettre du peps dans la grisaille du
quartier, et chaque arrivant est invité à piocher
un foulard dans des panières qui circulent.
Rose, vert, rouge ou pourpre... couleurs sym-
boles de cette inédite union à gauche où éco-
logistes, « insoumis », socialistes, communistes
et citoyens mobilisés contre la municipalité LR
sortante tentent de fusionner leurs ambitions.
Pierre-Marie Ganozzi porte son foulard rouge
noué autour du bras. « La difficulté, c’est qu’on
est nombreux. Chaque étape est longue, mais
ça avance. Je ne pense pas que cela inquiète les
électeurs. Au contraire, ils sont heureux de nous
voir encore tous unis », tente de convaincre cet
ancien secrétaire départemental de la FSU.
Pionnier des combats contre la politique sco-
laire du maire Jean-Claude Gaudin, ce profes-
seur d’histoire-géographie s’est porté candidat.
Mais à un mois du premier tour, seules les têtes
de liste ont été désignées. Et lui ne sait toujours
pas dans quel secteur le « parlement du
Printemps » l’expédiera. « Le deuxième, ça serait
pas mal. Ici, les écoles, c’est un dossier terrible »,
dit-il. Le jour même, son vœu sera exaucé.
Baskets en nubuck, col roulé bleu sur jeans,
Benoît Payan n’a gardé que la veste du cos-
tume qu’il porte dans la semaine. Le président
du groupe socialiste au conseil municipal
claque des bises, salue les amis et, quand il
s’imagine observé, cache sa bouche avec la
main, à la manière d’un entraîneur de football,
inquiet de voir ses consignes secrètes révélées.
En décembre, la valeur montante du PS mar-
seillais, 42 ans, frôlait la rupture. Le large ras-
semblement qu’il avait, avec quelques autres,
conceptualisé pour arracher la ville à la droite lui
donnait de sérieux maux de tête. Europe
Écologie-Les Verts (EELV) avait claqué la porte.
La France insoumise posait des conditions
inacceptables. Dans les coulisses du Printemps,
certains craignaient le burn-out. D’autres refu-
saient le leadership de ce politique grandi à
l’ombre de l’appareil socialiste. « Ça va beau-
coup mieux. On a dépassé toutes ces difficultés.
On est entrés dans l’action. Maintenant, il faut
monter les étages, tracter et convaincre les
Marseillais », lâche l’intéressé en allumant une
cigarette. Le teint est redevenu poupin, la
parole décontractée. « J’y crois », assure-t-il, en
renvoyant aux campagnes difficiles de ses
adversaires, le macroniste Yvon Berland ou la
candidate LR Martine Vassal. Dans la semaine,
pourtant, Jean-Luc Mélenchon a écrit pour
interdire au Printemps marseillais d’utiliser le
logo de La France insoumise (LFI). « Il a aussi
demandé qu’on cesse de dire que Sophie
Camard est sa suppléante, mais ça, il peut tou-
jours rêver... », se marre un cadre du
Printemps. L’ancienne conseillère régionale
mène la liste dans le 1er secteur de la ville, celui
qui couvre une partie de la circonscription du
député de LFI. « En tout cas, après ces munici-
pales, il vaut mieux que Mélenchon reste loin de
Marseille. Car là, il fait tout pour que Vassal
gagne », gronde un militant « insoumis ».
Sur le podium, Benoît Payan s’affiche en parte-
naire modèle. Il appelle tour à tour ses cama-
rades des autres secteurs et explique sa fierté
de soutenir Michèle Rubirola, candidate à la
mairie centrale. En janvier, il s’est écarté pour
laisser toute la lumière à cette médecin de
63 ans en rupture avec EELV. « La plus à même
de réussir un large rassemblement », explique-
t-il alors. C’est ainsi qu’il se retrouve à batailler
dans ce 2e secteur, qui regroupe les deux arron-
dissements les plus pauvres du centre-ville.
Pas vraiment son premier choix. « Mon canton
ÉPISODE
SAINT BENOÎT DU DEUXIÈME.
couvre une partie de ces bureaux de vote, mais
c’est vrai que ce n’est pas ici que j’ai fait mes
meilleurs scores en 2014 », euphémise-t-il.
Plus petit des secteurs marseillais avec ses
71 000 habitants, le « deuxième » a longtemps
été le fief de Jean-Noël Guérini, le sénateur ex-
socialiste que la justice vient de renvoyer vers le
tribunal correctionnel pour « prise illégale d’in-
térêts ». L’Insee affirme qu’ici la moitié des habi-
tants vit sous le seuil de pauvreté et que près
d’un quart est au chômage. En haut de la rue, la
station de métro Jules-Guesde est fermée
depuis neuf mois, par crainte de voir les
immeubles voisins s’effondrer sur elle. « Un
concentré des drames de cette ville », s’émeut
Benoît Payan. Dans son discours, il vient de
promettre un milliard d’euros pour rénover les
écoles de Marseille. Une fois élu, assure-t-il, il
portera plainte contre le conseil départemental,
tenu par Martine Vassal, pour ne pas avoir
fermé un collège pollué à l’amiante. « Ici, l’école
est comme un symbole d’un quart de siècle
d’abandon. Quand on laisse nos enfants en dan-
ger, on ne peut pas parler de la sécurité. »
À quelques mètres de la permanence, la porte
du bar à chicha Les Saveurs d’Orient est grande
ouverte. À l’intérieur, des hommes fument tran-
quillement, assis sous les écussons du Bayern
Munich, du Real Madrid ou de Chelsea peints
sur les murs. Plus loin, l’épicier du coin a collé
dans sa vitrine l’affiche de Lisette Narducci,
maire sortante, ex-PS, passée en 2014 dans la
majorité Gaudin et qui, cette fois, s’aligne avec
le dissident LR Bruno Gilles. Au bout de la rue,
on distingue les immeubles de l’opération
Euroméditerranée, poussés sur les anciens
hangars portuaires, où s’installe une population
plus huppée. « Ce secteur est à la fois fortement
dépolitisé et fortement politisé », traduit Benoît
Payan. En 2014, l’abstention a atteint 54 % au
premier tour, mais le clientélisme fonctionne à
plein. Devant le local, les militants se motivent.
« Je n’ai pas senti un tel engouement depuis la
campagne présidentielle de Mélenchon »,
assure Marc. À côté du portrait du candidat, une
affiche à la typographie flashy martèle le slogan
du Printemps : « L’espoir arrive! »
(À s ui v r e...)
LA SÉRIE MARSEILLE, LA GUERRE DU TRÔNE.
Texte Gilles ROF
PRÉCÉDEMMENT... DANS LE 7e SECTEUR,
LA GAUCHE ÉCHOUE À S’UNIR, POUR LE PLUS
GRAND BONHEUR DU RASSEMBLEMENT
NATIONAL, QUI L’A CONQUIS EN 2014.
LA SEMAINE