Le Monde - 22.02.2020

(John Hannent) #1

MARK RUFFALO VOUS SALUE AVEC, À LA MAIN, UNE BOUTEILLE
D’EAU. Il vous propose un verre, insiste pour le remplir lui-même, décapsule
son Évian comme s’il s’agissait d’un précieux élixir, et non de la bouteille
mise à disposition des journalistes venus l’interviewer dans cette suite de
palace parisien. « Si, en France, l’eau ne comporte aucun danger pour votre
santé, ce n’est plus le cas dans mon pays », explique l’acteur américain de
52 ans. Cette obsession de l’eau n’est pas une lubie de l’acteur. Celle du puits
de sa maison, dans les Catskill Mountains, le long de la rivière Delaware,
est selon lui l’une des plus propres des États-Unis. Dans son appartement
new-yorkais, à Manhattan, il a installé un système de filtrage sophistiqué,
d’une efficacité reconnue, pour s’assurer de la qualité de son eau. Mark
Ruffalo n’est pas paranoïaque. Il est de ces individus tourmentés dont
les angoisses restent fondées. Il y a une dizaine d’années, une compagnie
gazière a commencé à forer près de sa propriété, dans l’État de New York.
Problème : la méthode employée pour extraire ce gaz, la fracturation
hydraulique, menaçait de polluer les nappes phréatiques alentour avec
des adjuvants chimiques.
Dans son nouveau film, Dark Waters (sortie le 26 février), le cinéaste Todd
Haynes (Carol, Loin du paradis...) a fait de lui un avocat luttant contre une
multinationale de l’industrie chimique. Un rôle qui reflète encore davan-
tage l’obsession aquatique de l’acteur. Mais Ruffalo n’est pas seulement
comédien, il est aussi producteur. C’est lui qui est à l’initiative du projet. En
2016, il était tombé sur un article de Nathaniel Rich publié par The New
York Times Magazine, « The lawyer who became DuPont’s worst night-
mare ». Ce journaliste et romancier, auteur du livre Perdre la Terre, racon-
tait comment un avocat du nom de Robert Bilott, employé par une entre-
prise spécialisée dans le droit des affaires, avait réussi, seul, à démontrer
un scandale : DuPont, l’un des plus grands groupes de l’industrie chimique,


L’acteur n’a pas attendu de jouer le monstrueux Hulk des Avengers pour


devenir vert. Écologiste convaincu, l’Américain vu dans Collateral, Zodiac ou Foxcatcher


a produit le nouveau film de Todd Haynes, Dark Waters, où il incarne un avocat


luttant contre une multinationale adepte de la fracturation hydraulique. Un rôle sur mesure.


MARK RUFFALO,


SUPER-HÉRAUT.


Texte Samuel BLUMENFELD — Photos Matthieu DELBREUVE

avait exposé ses employés et plusieurs communautés rurales à des pol-
luants dangereux, déversant dans l’Ohio River près de 7 0 00 tonnes de
produits toxiques, au point de contaminer, avec des effets irréversibles, une
source d’eau alimentant plus de 100 000  personnes. « Dark Waters met en
scène ce cauchemar. Ma foi, si je sers à quelque chose, si mon nom peut faire
avancer une cause, autant que ce soit pour ce film. »
Mark Ruffalo possède ses propres armes. Celles d’un acteur formé au début
des années 1990 par Stella Adler, mentor de Marlon Brando à l’Actors
Studio. Le comédien est d’ailleurs l’une des dernières stars façonnées par
la prestigieuse professeure. « Il existait pour elle un lien très fort entre son
enseignement et l’activisme politique. Devenir un grand acteur était indisso-
ciable, selon elle, d’un engagement social fort et d’une intelligence politique
affirmée. » La leçon a été profitable, appliquée depuis avec zèle. Mark
Ruffalo apparaît, dès qu’il en a l’opportunité, dans les manifestations contre
l’usage de la fracturation hydraulique. Il s’est depuis investi aux côtés de
Bernie Sanders, candidat aux primaires démocrates pour les élections pré-
sidentielles de 2016 et de 2020, le voyant comme l’homme politique le plus
à même de créer un « new deal » vert aux États-Unis.
Si l’activisme du citoyen Mark Ruffalo est une chose connue, le style de
l’acteur se révèle tout aussi identifiable. Il y a d’abord son visage rond et
martial, faussement engageant, fondamentalement menaçant. Son jeu se
caractérise par un naturel déconcertant, une manière de se fondre dans
ses personnages sans effort apparent. L’acteur américain provoque cette
sensation rare qui laisse penser qu’il ne saurait endosser qu’un seul rôle,
mais il y parvient mieux que quiconque tant il se confond à chaque fois avec
ceux qu’il incarne à l’écran : le flic tentant d’éliminer le tueur professionnel
incarné par Tom Cruise dans Collateral (2004) de Michael Mann ; l’inspec-
teur en charge de l’un des plus fameux tueurs en série de l’histoire dans

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