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SAMEDI 22 FÉVRIER 2020 france| 9
I
l y a eu les blocages massifs
dans les transports, à partir
du 5 décembre 2019. Puis les
coups d’éclats en janvier :
outils de travail jetés au sol,
chahuts de ministres et d’élus de
la majorité. Et les avocats sont
toujours engagés dans une grève
d’une ampleur inédite, qui
perturbe le fonctionnement de
nombreux tribunaux.
Si la contestation contre la
réforme des retraites perdure, elle
draine cependant de moins en
moins de monde, à l’occasion des
journées d’actions interprofes
sionnelles impulsées par la CGT,
FO, la FSU, Solidaires, la CFECGC
et plusieurs organisations de
jeunesse. Le ministère de l’inté
rieur comptait 92 000 manifes
tants dans toute la France, jeudi
20 février, contre 121 000 deux
semaines auparavant et un peu
plus de 800 000, le 5 décem
bre 2019, au commencement de
la lutte. A Paris, ils étaient 7 800,
jeudi, d’après la Place Beauvau
(50 000, selon la CGT, qui n’a pas
donné de chiffre national).
« On ne va rien gagner de plus »
L’affluence est moindre car « on
se trouve dans une période de
congés scolaires », a rappelé Yves
Veyrier, le numéro un de FO, dans
le carré de tête du cortège pari
sien. Placé à ses côtés, Philippe
Martinez, le secrétaire général de
la CGT, a souligné qu’« au fil des
semaines, il y a des hauts et des
moins hauts ». Mais ceux qui sont
contre le projet du gouvernement
continuent de livrer bataille en
dehors des initiatives interprofes
sionnelles, atil ajouté : « C’est ça
qui constitue la force de ce mouve
ment. Il y a des [actions] différen
tes tous les jours. » « On n’aurait ja
mais imaginé [être] en capacité de
mobiliser aussi longtemps », a ren
chéri M. Veyrier. C’est la preuve, à
ses yeux, que la « détermination »
demeure intacte : « Elle est là. »
Dans les bataillons d’opposants
qui battent le pavé, ils sont cepen
dant nombreux à confier leur
lassitude des démonstrations
de force « sautemouton » – ainsi
qualifiées du fait de leur tempo
quasi hebdomadaire –, que l’in
tersyndicale a organisées depuis
deux mois et demi.
« J’ai l’impression que les mani
festations ne servent plus à rien,
ça fait troupeau encadré par
des flics. Je trouve les blocages
bien plus utiles », estime Elma,
étudiante de l’Ecole normale su
périeure. « Cette routine de mani
festations tous les jeudis, c’est inu
tile et ça démotive, déplore égale
ment l’une des figures de la
mobilisation des cheminots, Bé
renger Cernon, délégué CGT à Pa
risgare de Lyon. Si on continue
comme ça, on ne va rien gagner
de plus, ni donner du crédit au
mouvement social. Le mouve
ment est toujours là, la contesta
tion est toujours là, mais on n’ar
rive pas à l’exploiter, à l’utiliser. »
Comment requinquer les trou
pes? Comment faire repartir en
grève les uns et embarquer les
autres? La question taraude les
opposants qui croient toujours au
retrait du projet. Les plus résolus
se retrouvent sur un nouveau
mot d’ordre : « Construire la grève
générale ». Pour eux, il faut tirer
les leçons des limites auxquelles
se heurte le mouvement, tel qu’il
a été lancé le 5 décembre 2019 : le
blocage des services de transports
n’a pas permis de faire reculer le
gouvernement, contrairement à
ce qui s’était produit en 1995. Ils
constatent, par ailleurs, que l’im
pact est resté limité hors de l’Ile
deFrance. Dans le privé, les initia
tives ont été lancées en ordre dis
persé, les blocages n’ont jamais
duré – ni dans les ports ni dans les
raffineries – et l’essence n’a pres
que jamais manqué à la pompe.
Enfin, les fiches de paye à zéro
euro ont eu raison de la grève à la
SNCF et à la RATP. « Dans ces
combats, on sait pourtant que la
question de l’argent est essentielle :
c’est la page 1 du manuel syndical!
Pourquoi les centrales n’ontelles
pas mis en place une grande
cagnotte au niveau national? »,
peste Gaël Quirante, secrétaire
départemental SUD Poste des
HautsdeSeine.
Il fait partie de ceux qui organi
sent, dimanche 23 février à Paris,
une réunion de coordination de
diverses assemblées interprofes
sionnelles et comités de grève de
toute la France. Ces réseaux
rassemblent des travailleurs de
secteurs différents, syndiqués ou
non, et se sont construits autour
des piquets de grève. Jeudi, dans
le cortège qui a serpenté entre
Montparnasse et la place d’Italie,
des tracts étaient distribués pour
y convier les manifestants.
« On va discuter de la mise en
place d’une semaine noire en
mars, avec le blocage de secteurs
stratégiques. Il nous faut un plan
de bataille, explique M. Quirante.
La grande contradiction, c’est qu’il
y a plus de “vapeur” auprès des ba
ses syndicales, de la jeunesse, des
travailleurs, qu’au niveau des cen
trales! Il faut relancer la stratégie
d’un mouvement d’ensemble na
tional où la question du blocage de
l’économie soit centrale, remettre
à l’ordre du jour la grève reconduc
tible illimitée, ce qui n’a jusqu’ici
jamais été au cœur de la stratégie
des centrales syndicales. »
Nouvelles caisses de grève
Très impliqué depuis le début de
la contestation, Matthieu, ingé
nieur des travaux à la Mairie de
Paris et militant CGT, ne dit pas
autre chose : « Le mot d’ordre, c’est
la construction de la grève géné
rale, assure celui qui se revendi
que « gilet jaune ». On n’a plus d’al
ternative. Les journées de grève, ça
ne marche pas. Les happenings, ça
ne marche pas. Ce qu’il faut, c’est
réveiller la conscience de classe
dans la tête des travailleurs et ça, ça
se fait sur le terrain, au contact. »
Chaque matin, lui et d’autres de
ses collègues cessent le travail
quelques heures pour se rendre
sur les piquets de grève, informer,
créer des liens. « Il faut dévelop
per la propagande au sens de pro
pager les idées, passer les mots
d’ordre, travailler à construire la
mobilisation, assènetil. Il faut
un hiver laborieux pour un prin
temps victorieux. »
Il fait partie de ceux qui épau
lent la mobilisation dans le
secteur du traitement des dé
chets. Depuis un mois, un petit
collectif d’étudiants et de cher
cheurs participe également au
blocage des garages des camions
bennes en région parisienne.
« C’est un secteur atomisé, avec de
la concurrence entre le public et le
privé. Il y a beaucoup d’intérimai
res, c’est très compliqué pour eux
de se mobiliser. On est allé de
garage en garage pour favoriser
leur mise en relation », rapporte
Manon, étudiante à l’Ecole des
hautes études en sciences socia
les. La démarche a débouché sur
une première réunion entre des
salariés de la filière, des agents du
public et d’autres personnes em
ployées dans le privé ; une bande
role commune était visible, jeudi,
dans la manifestation parisienne.
Afin de planifier la prochaine
bataille, de nouvelles caisses de
grève ont vu le jour, comme celle
lancée lundi soir par la webtélé
Le Média lors d’une soirée spé
ciale sous forme de Téléthon bap
tisée « Kollekthon ». Elle affichait
124 500 euros vendredi matin.
« Une provocation totale »
Pour l’intersyndicale, la grève gé
nérale n’est absolument pas à l’or
dre du jour. Mais elle compte bien
poursuivre son combat, selon des
modalités un peu différentes de
celles qui ont prévalu jusqu’à
présent. C’est, en effet, le sens des
décisions qu’elle a prises, jeudi
soir, à l’issue d’une rencontre au
siège de Force ouvrière, avenue du
Maine à Paris. Finies les manifes
tations « sautemouton » : le pro
chain temps fort est annoncé
pour le 31 mars, à travers une nou
velle « journée de mobilisation et
de grève interprofessionnelle », in
dique Frédéric Souillot (FO). Les
actions de ce type sont donc appe
lées à être moins fréquentes, pour
ménager les troupes et dans l’es
poir qu’elles attirent du monde.
Le but est de se placer « dans la
même dynamique » que le 5 dé
cembre 2019, confie M. Souillot :
« Si ça relance quelque chose
d’aussi [puissant], le gouverne
ment ne pourra pas tenir. »
D’ici là, d’autres dates sont ins
crites à l’agenda. Avec, en particu
lier, le 8 mars, qui correspond à la
Journée internationale des droits
des femmes. Les cinq organi
sations syndicales hostiles à la
réforme prévoient des initiatives,
notamment à Paris, pour battre
en brèche – martèlentelles – le
discours de l’exécutif sur les
vertus alléguées du futur système
universel de pensions. « On nous
dit que les femmes sont les grandes
gagnantes. C’est une provocation
totale », affirme Murielle Guilbert
(Solidaires), pour qui le projet
gouvernemental va, au contraire,
aggraver les inégalités entre les
hommes et les femmes.
Les membres de l’intersyndi
cale vont également structurer
leur propre « conférence de finan
cement », pour contrebalancer
celle mise en place par l’exécutif
avec comme feuille de route la
résorption du déficit en 2027.
Dans cette conférence alternative
interviendront des sociologues,
des philosophes, des économis
tes, dont le nom n’a pas été divul
gué. Il s’agit de « faire valoir qu’il y
a un autre regard à porter », selon
M. Veyrier. Pour le leader de FO,
« la retraite n’est pas une question
financière » : les chiffrages pré
sentés dans le cadre de la confé
rence « officielle », qui font
notamment état d’une dette de
113 milliards d’euros entre 2018
et 2030, témoignent d’une « vo
lonté de dramatisation ».
Le mouvement est parti pour
continuer jusqu’à la fin des dé
bats au Parlement sur la réforme.
Toute la question, désormais, est
de savoir s’il saura garder de la
vigueur ou s’il s’effiloche, à
l’image des dernières manifesta
tions interprofessionnelles.
bertrand bissuel
et aline leclerc
Retraites :
le mouvement
cherche un
second souffle
Lors de la manifestation parisienne contre le projet de réforme des retraites, le 20 février. RAFAEL YAGHOBZADEH/AP
« Ce qu’il faut,
c’est réveiller
la conscience
de classe
dans la tête
des travailleurs »
MATTHIEU
ingénieur des travaux
à la Mairie de Paris
et militant CGT
Alors que la lassitude gagne
les cortèges, l’intersyndicale
veut changer de stratégie
et espacer les jours de mobilisation
La gouvernance du futur système
inquiète les partenaires sociaux
Les partenaires sociaux, associés à « la conférence sur l’équilibre
et le financement des retraites », ont participé, jeudi 20 février,
à une nouvelle séance de travail consacrée, cette fois-ci, au pilotage
du futur système universel de pensions. Après ce temps d’échan-
ges, ils sont plusieurs à manifester leur inquiétude face au dispositif
qui se profile. « Une certaine unanimité se dégage contre le schéma
de gouvernance prévu dans le projet, confie Eric Chevée, de la
Confédération des petites et moyennes entreprises. La place
des organisations patronales et syndicales est trop encadrée par les
experts et par la loi. » De son côté, Michel Beaugas (Force ouvrière)
dénonce une architecture qui « met fin à la libre négociation
des partenaires sociaux, pour tout ce qui relève des cotisations ».
« On est dans un modèle d’étatisation », ajoute-t-il.
Le blocage
des services
de transports
n’a pas permis
de faire reculer
le gouvernement,
contrairement
à ce qui s’était
produit en 1995
QUESTIONSPOLITIQUES
Dimanche 23 févrierà12h
Adrien Quatennens
député LFI du Nord,coordinateur de laFrance insoumise
Ali Baddou,Carine Bécard,FrançoiseFressoz et Nathalie Saint-Cricq
en direct surFrance Inter et sur franceinfo(TV canal 27)
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©photo
:Christophe Abramowitz
TV canal 27