Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

34 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020


BECKY AND THE BIRDS
Do U Miss Me
On découvre la Suédoise Thea
Gustafsson qui surprend avec cette
ballade dépouillée mais charnelle
entre pop et r’n’b. On est intrigué par
ces voix subtilement trafiquées et
charmé par cette mélodie douce-
amère. Bref, gros craquage en vue.

BATIDA APRESENTA IKOQWE
Vaivai (Raz & Afla Remix Club)
Le virevoltant producteur portugais
prend sous son aile le rappeur Luaty
Beirão. Le duo explosif mixe hip-hop,
electro, tropicalisme. Ça se danse,
ça se chante, jusqu’au bout de la
nuit, surtout dans cette version pour
club à ciel ouvert.

PLAYLIST


A


nge increvable : le
groupe célèbre ses
cinquante ans d’exis-
tence avec une tour-
née qui se poursuit jusqu’en
novembre. Il est le parfait représen-
tant de ce rock progressif français,
méconnu voire moqué malgré son
incontestable richesse. La preuve
en cinq groupes résolument à part.


1 Ange
Une affaire de famille. Le
groupe est fondé en 1969 par Chris-
tian Décamps, vite rejoint par son
frère Francis. Au départ de celui-ci
en 1995, c’est Tristan, fils de Chris-
tian, qui prendra le relais. D’abord
repéré avec un opéra de trois heu-
res, la Fantastique Epopée du géné-
ral Machin,
Ange remporte le
tremplin du Golf Drouot et se re-
trouve en première partie de...
Johnny Hallyday en 1972. A la ma-
nière des Anglais de Genesis, Ange
marque les esprits avec ses shows
à rallonge et un rock théâtral, dont
les paroles aussi saisissantes
qu’absconses évoquent des thèmes
volontiers médiévaux ou fantasti-
ques. Le succès viendra avec Ces


gens-là, une reprise de Brel en 1973,
puis suivront les classiques Fils de
lumière, Si j’étais le messie ou l’al-
bum Par les fils de Mandrin (1976).
Après plus de quarante disques,
Ange compte sortir un nouvel al-
bum en 2021. Et Christian Décamps
espère bien voir le groupe conti-
nuer après sa mort. Avec ses petits-
enfants?

2 Triangle
Un groupe rock français à
succès au début des années 70 bien
oublié aujourd’hui. Formé par des
musiciens de studio de Claude Fran-
çois ou Johnny Hallyday en 1967,
Triangle est l’un des premiers grou-
pes de rock progressif français. Si
une partie de son succès tient à son

apparition dans les Bidasses en folie
de Claude Zidi (avec Martin Circus,
autre oublié du prog français), sa
combinaison de rock et de jazz
chanté en français n’a pas à rougir
face aux Anglais. En pleine vague
hippie, la mode du progressif lui ou-
vre le succès. Qui provoque, comme
souvent, tensions et jalousie au sein
du groupe. Malgré un second album
ambitieux, avec Jean-Michel Jarre
ou les jazzmen Aldo Romano et
Henri Texier en invités, le chanteur
et bassiste Gérard Fournier quitte le
groupe. Un troisième album sort
malgré tout, mais un contrôle fiscal
achève la formation (leur gestion
n’était pas très organisée). En 1974,
Triangle se sépare et tombe dans
l’oubli. Jusqu’à aujourd’hui?

3 Magma
Une valeur sûre toujours en
activité. C’est sans doute dû à la ra-
dicalité de son leader et batteur,
Christian Vander, fils du jazzman
Maurice Vander. Il a inventé sa pro-
pre langue, le kobaïen, et son propre
style musical, la zeuhl. Les mem-
bres du groupe cultivent la même
énergie : c’est violent, sombre, voire
martial, aux antipodes de toute la
vague hippie de l’époque. Si le
groupe a divisé, et divise encore, il
a développé une personnalité uni-
que sur la scène française. Grand
passionné de jazz, notamment de
John Coltrane, Christian Vander a
aussi su s’inspirer de la musique
classique, en particulier Stravinsky
ou Carl Orff. En cinquante ans

d’existence, Magma a épuisé
150 musiciens depuis 1969, malgré
la présence de fidèles comme la
chanteuse Stella Vander, épouse du
batteur. Mieux, Magma a récem-
ment fait ses premiers concerts en
Amérique du Sud, en Chine, et
même au Hellfest en 2016. Sky is
the limit.

4 Gong
Tout démarre par un pro-
blème de visa. Guitariste du groupe
anglais Soft Machine, l’Australien
Daevid Allen se retrouve bloqué en
France en 1967 après une tournée.
Dans la foulée, il donne naissance
avec Gilly Smyth à une première
mouture de Gong, que rejoindra,
en 1969, le saxophoniste Didier
Malherbe, entre space rock psyché-
délique et progressif, avec un sens
de l’humour absurde trop rare dans
le genre. A la suite de l’album psy-
chédélique Camembert électrique
(1971), ils sortent la trilogie Radio
Gnome Invisible, sommet après
lequel Daevid Allen, Gilly Smyth et
Didier Malherbe mettent les voiles,
laissant le batteur Pierre Moerlen
seul maître à bord. Sous son influ-
ence, Gong vire jazz-rock, moins
original sans doute, et surtout à
géométrie variable. Mais le début
des années 90 voit le retour du trio
d’origine. Décédés en 2015 et 2016,
Allen et Smyth ont expressément
demandé la poursuite du projet
Gong, qui a ainsi publié un album
l’an dernier, The Universe Also Col-
lapses. Sans aucun membre histori-
que. Insubmersible.

5 Art Zoyd
Au départ simple imitateur
de Zappa, le groupe se stabilisera
vite autour de Gérard Hourbette
(violon, entre autres) et Thierry
Zaboitzeff (bassiste) dans une dé-
marche beaucoup plus radicale et
personnelle. La formation, associée
au style zeuhl de Magma, est aussi
membre de Rock in Opposition, un
collectif d’artistes européens refu-
sant toute logique commerciale.
Mais la formation est avant tout à
l’avant-garde du rock, qu’elle asso-
cie au jazz et à la musique contem-
poraine (Berio, Xenakis...). Dès son
premier disque, en 1976, Art Zoyd
fait éclater les frontières, avec une
formation violon, basse, trompette
et piano. Le groupe intègre ensuite
l’électronique, notamment dans
l’album Phase IV, en 1982, puis avec
de nombreuses B.O. pour des films
muets comme Nosferatu ou Metro-
polis. Malgré la mort de Gérard
Hourbette en 2018, Art Zoyd survit
encore aujourd’hui à travers le stu-
dio de création musicale qu’il a
fondé en 1999.
ANTOINE GAILHANOU

Souvent moqué, le rock progressif français


est pourtant incroyablement riche.


100 % pur prog


Légende locale du rock progressif, Ange fête ses cinquante ans. Avec toujours Christian Décamps aux manettes. ALEXANDRE MARCHI


CINQ SUR CINQ

Free download pdf