20 |économie & entreprise JEUDI 12 MARS 2020
0123
L’effondrement des prix de l’or noir fait
peser un risque de récession sur la Norvège
La guerre du pétrole, qui a fait chuter les cours du brut, affecte l’économie du pays
malmö (suède) correspondante
régionale
L
e soulagement aura été de
courte durée, mardi
10 mars, à la Bourse d’Oslo.
Malgré une ouverture promet
teuse en nette hausse, après la dé
gringolade de 8,14 %, lundi 9 mars,
du principal indice boursier nor
végien, l’Osebx s’est de nouveau
effondré à partir de midi, finissant
la journée sur une timide hausse
de à 0,49 %. Pas de quoi rassurer
les économistes, qui mettent en
garde contre les risques de réces
sion qui pèsent sur la pétromonar
chie scandinave, doublement af
fectée par l’épidémie de coronavi
rus et la chute du prix de l’or noir.
Lors d’une conférence de presse,
mardi, en début d’aprèsmidi, le
ministre conservateur des finan
ces, Jan Tore Sanner, a prévenu
que « la situation allait empirer,
avant de s’améliorer ». Accompa
gné de la chef du gouvernement,
Erna Solberg, le ministre a an
noncé une série de mesures desti
nées à limiter l’incidence d’un ra
lentissement économique, alors
que près de 300 personnes sont
désormais contaminées par le co
ronavirus dans le pays de 5,3 mil
lions d’habitants.
Parmi les dispositifs qui de
vraient être mis à disposition des
entreprises norvégiennes dès
vendredi 12 mars : une procédure
simplifiée de mise à pied tempo
raire des salariés, « afin de limiter
les faillites et les licenciements », a
précisé le ministre. Des aménage
ments fiscaux sont également
prévus, pour réduire les problè
mes de liquidités des entreprises.
Ce premier train de mesures sera
suivi d’un second, visant plus par
ticulièrement les secteurs touchés
par l’épidémie de coronavirus, tels
que le tourisme et l’aérien.
Si, selon le ministre des finances,
l’économie norvégienne est « so
lide et prête à faire face à la situa
tion », Jan Tore Sanner a estimé
qu’un ralentissement de l’activité
était à craindre. Quelques heures
plus tôt, la Banque de Norvège fai
sait le même constat, lors de la pu
blication de son enquête semes
trielle auprès des entreprises, pré
cisant qu’un tiers de celles contac
tées entre le 4 et le 6 mars avaient
revu à la baisse leurs prévisions de
croissance, ces derniers jours.
Baisse de l’exploration à prévoir
C’était avant même la journée de
lundi 9 mars, à l’issue de laquelle
la Bourse d’Oslo a perdu l’équiva
lent de 200 milliards de couron
nes (18,4 milliards d’euros) de va
lorisation, précipitant la monnaie
norvégienne à son niveau le plus
bas face à l’euro depuis l’instaura
tion de la monnaie unique. Prin
cipalement touché, le secteur de
l’énergie a dévissé de 15 %. Le pé
trolier Equinor, contrôlé à 67 %
par l’Etat norvégien, a dégringolé
de 17,7 %, tandis que son concur
rent, Aker BP, plongeait de 28,5 %.
Quelles en seront les conséquen
ces, pour un secteur qui, à lui seul,
compte pour 20 % des investisse
ments et un tiers des exportations
du royaume? Il est encore trop tôt
pour le dire, selon Joachim Bern
hardsen, analyste auprès de la
banque Nordea. « Tout va dépen
dre de la durée de l’épidémie et de
l’évolution des prix du pétrole.
Mais, à 40 dollars [35,30 euros] le
baril, il faut s’attendre à une baisse
d’activité de l’industrie pétrolière et,
par répercussion, d’autres secteurs
de l’économie. »
Dans l’immédiat, les effets de
vraient être limités : « Les décisions
d’investissement pour cette année,
et même l’année suivante, ont déjà
été prises », dit M. Bernhardsen. Les
premières conséquences sont à at
tendre début 2021, avec une baisse
de l’exploration. Lors de la der
nière chute des cours du brut,
en 2014, plus de 40 000 emplois,
liés à l’industrie pétrolière, avaient
été supprimés. « Aujourd’hui, le
secteur est bien mieux équipé pour
faire face », a assuré, mardi, le mi
nistre des finances, prévoyant un
plan de relance si la situation s’ag
gravait, sans en donner les détails.
Pour financer l’ensemble de ces
mesures, la première ministre,
Erna Solberg, n’a pas exclu de pui
ser dans le gigantesque fonds sou
verain du royaume, qui est re
passé sous la barre des
10 000 milliards de couronnes.
En attendant, la Banque de Nor
vège pourrait annoncer une
baisse de son taux directeur dans
les prochains jours.
annefrançoise hivert
La Commission européenne tente
de clarifier sa stratégie industrielle
Bruxelles a réitéré sa volonté de soutenir de grandes alliances sectorielles.
Le débat se poursuit sur l’émergence de champions continentaux
bruxelles bureau européen
O
n ne pourra pas dire
que la Commission
n’est pas persévé
rante. Ce n’est pas
parce que cela ne relève pas de ses
compétences ni parce que ses ten
tatives précédentes – au moins
cinq en quinze ans – n’ont pas été
couronnées de succès qu’elle a re
noncé à se mêler de politique in
dustrielle. Mardi 10 mars, l’exécu
tif européen a présenté la der
nière mouture de ses ambitions
en la matière.
La présidente de la Commission,
Ursula von der Leyen, en a fait un
élément central de sa législature,
qui doit lui permettre d’articuler
ses priorités : le pacte vert, la nu
mérisation de l’économie et la re
cherche d’une plus grande souve
raineté économique dans un
monde où l’industrie chinoise est
de plus en plus menaçante, où les
géants américains de l’Internet se
sont imposés et où le multilatéra
lisme est en déshérence.
Si de nombreux Etats membres
de l’Union européenne restent ré
ticents à toute forme d’ingérence
de Bruxelles dans leur politique
industrielle, le moment est sans
doute plus propice qu’il ne l’a ja
mais été. La France, favorable à
une Europe plus intervention
niste, est moins isolée qu’elle n’a
pu l’être. L’Allemagne, qui doit af
fronter une crise profonde de son
industrie automobile, après le
« dieselgate » (le scandale des mo
teurs diesel truqués), est égale
ment demandeuse.
Le refus, par la direction géné
rale de la concurrence, de la fu
sion entre Alstom et Siemens, en
février 2019, a fédéré les intérêts
de Berlin et Paris, qui, avec Rome
et Varsovie, militent pour que
Bruxelles favorise l’émergence de
champions continentaux. Même
les PaysBas, d’ordinaire hostiles à
toute forme de dirigisme, plai
dent désormais pour une Europe
plus protectrice face aux masto
dontes chinois dopés aux sub
ventions publiques.
Pour autant, les résistances de
meurent nombreuses parmi les
VingtSept, notamment chez les
« petits » pays, qui redoutent
qu’une politique industrielle soit
d’abord au service des grandes
économies. Et au sein de la Com
mission, où, entre Margrethe Ves
tager et Thierry Breton (commis
saires respectivement à la concur
rence et au marché intérieur), on
n’aborde pas toujours le sujet de
la même manière.
Crainte d’un avantage compétitif
Dans ce contexte, donc, la Com
mission avance avec prudence.
L’essentiel de ses propositions,
mardi, a en fait consisté à lancer
de nouveaux chantiers ou à évo
quer les projets déjà lancés, sans
trancher sur les dossiers les plus
polémiques.
Ainsi, la révision des règles euro
péennes en matière de concur
rence (en cas de fusion entre deux
entreprises) est prévue pour 2021.
Et le débat sur « les champions
européens », qui irrite tant Mar
grethe Vestager, reste ouvert. « Un
champion doit émerger d’une con
currence équitable », insisteton
dans son entourage. « La politique
industrielle en Europe ne peut plus
être conduite avec pour seul but de
réduire les prix pour le consomma
teur », rétorque Thierry Breton.
Ursula von der Leyen préfère
aborder le sujet en d’autres ter
mes, plus « géopolitiques ». « Nous
ne sommes pas naïfs face à la con
currence parfois déloyale à la
quelle nous devons faire face », ré
pètetelle. La Commission réflé
chit donc à la manière de protéger
le tissu économique européen
face aux entreprises issues de
pays tiers (comme la Chine), qui,
quand elles sont subventionnées
par leur pays d’origine, faussent la
concurrence. Résultat, fin juin.
Dans cette même logique (de ga
rantir une concurrence équitable),
Bruxelles travaille à un méca
nisme d’ajustement carbone aux
frontières pour les biens produits
dans des conditions qui ne sont
pas compatibles avec l’objectif
communautaire de neutralité car
bone en 2050. La Commission in
siste également sur le principe de
réciprocité avec les pays tiers, qu’il
s’agisse d’accès aux marchés pu
blics ou de facilités pour s’installer.
Au sujet des aides d’Etat qui
pourraient être utilisées pour
soutenir les sociétés dans leur
transition écologique et numéri
que, il faudra attendre 2021 pour
en savoir plus. Là aussi, les « pe
tits » pays craignent que cela
donne un avantage compétitif
aux « grands », dont les Etats sont
plus riches.
Pour l’heure, la Commission uti
lise les instruments qui sont à sa
disposition, dont les « projets im
portants d’intérêt commun euro
péen ». Construits autour d’un
objectif industriel jugé stratégi
que – comme la microélectroni
que ou les batteries électriques –,
ils peuvent bénéficier d’aides
d’Etat dès lors que plusieurs pays
y participent et que des PME y
sont associées. Bruxelles a an
noncé, mardi, qu’une « alliance »
de ce type sur l’hydrogène propre,
une énergie essentielle pour le
secteur du transport, serait lan
cée sans attendre.
« Il faut faciliter l’accès des PME à
ces projets », explique un spécia
liste du sujet. De manière géné
rale, la Commission souhaite – et
c’est là un aspect de sa stratégie
industrielle – aider les PME. Un
émissaire européen aux PME va
donc être nommé, qui aura pour
mission d’identifier leurs difficul
tés et de les relayer auprès de
Bruxelles et des capitales. En pa
rallèle, l’exécutif tient à rendre le
marché intérieur plus efficace,
notamment en mettant en place
un comité joint avec les Etats
membres. « La Commission et les
Etats se renvoient la balle lorsqu’il
s’agit de la mauvaise mise en
œuvre du marché unique. Dès lors
qu’ils seront à la même table, ils ne
pourront plus le faire », relève un
haut fonctionnaire européen.
Pour développer sa nouvelle
stratégie industrielle, M. Breton a
défendu la définition d’« écosystè
mes » qui devront rassembler tous
les acteurs d’un même secteur :
grandes entreprises, fournisseurs,
laboratoires de recherche, univer
sités, instituts de formation... Avec
l’idée que l’existence de ces struc
tures permettra de mieux orienter
les aides européennes.
L’ancien ministre français s’est,
là aussi, heurté à la résistance de
Margrethe Vestager, qui craint
qu’une telle organisation re
vienne à privilégier certains sec
teurs et... à favoriser l’émergence
de champions. Pour l’heure, la
Commission a donc décidé de ga
gner du temps et de ne pas arrêter
tout de suite la liste des écosystè
mes, comme le souhaitait M. Bre
ton : elle en confie la responsabi
lité à un « forum », qui rassem
blera des parlementaires, des in
dustriels et des partenaires
sociaux. Affaire à suivre, donc.
virginie malingre
La France,
souvent
favorable à une
Europe plus
interventionniste,
est moins isolée
qu’elle a pu l’être
En 2014, lors de la
dernière chute
des cours du
brut, plus de
40 000 emplois,
liés à l’industrie
pétrolière avaient
été supprimés
Click & Boat, « l’Airbnb tricolore
de la plaisance », croît toujours
U
ne croisière cet été? Voilà une proposition de vacances
qui, à l’heure où sévit le Covid19, peut sembler incon
grue. La croisière de masse souffre d’un risque majeur
de désaffection, plombée par les épisodes épidémiques qui ont
touché les paquebots DiamondPrincess au Japon et Grand
Princess en Californie, conduisant les gouvernements améri
cain et canadien à recommander d’éviter ce type de vacances et
l’Inde à interdire ses ports aux grands navires surpeuplés.
En matière de loisirs maritimes, la tendance est probable
ment davantage à la balade au grand air du large en petit co
mité qu’au confinement à 3 000 dans un immeublecasino
flottant. D’ailleurs, dans cette ambiance de « panique à bord »,
une niche continue sereinement de se développer : celle de la
location de bateaux de plaisance, désormais facilitée par la
technologie des applications et des algorithmes. L’un des lea
ders européens de ce secteur, le français (comme son nom ne
l’indique pas) Click & Boat ne cesse de croître avec vigueur.
Le « Airbnb tricolore de la plaisance » devrait annoncer, mer
credi 11 mars, l’achat d’un de ses rivaux, l’allemand Scansail, im
planté à Hambourg et présenté
comme un des acteurs principaux de
cette activité outreRhin. L’acquisi
tion fait grossir de 10 % Click & Boat,
qui revendique 400 000 utilisateurs
et 50 000 locations effectuées
en 2019 dans 50 pays par le biais de
son site ou de son application.
« L’achat de Scansail nous permet
surtout de croître de plus de 50 % en
Allemagne et de 30 % dans la location
de longue durée, plus rémunératrice
que la promenade de quelques heures, souligne Jérémy Bismuth,
l’un des dirigeants fondateurs de l’entreprise, avec son com
parse Edouard Gorioux. Le patron de Scansail, Jochen Es
chenburg, reste aux commandes. Lui et son équipe sauront nous
apporter leur savoirfaire en termes de qualité de service. Quant à
nous, nous allons les dynamiser sur le plan technologique. »
C’est la quatrième entreprise que Click & Boat avale depuis sa
création, en 2013. La startup au petit bateau en papier (son
logo) compte désormais plus de 100 collaborateurs, répartis en
tre son siège de BoulogneBillancourt (HautsdeSeine) et trois
bureaux délocalisés : Marseille, Lorient et donc Hambourg.
Click & Boat, qui propose de la location entre particuliers et
une vitrine numérique à des loueurs professionnels locaux,
compte croître de nouveau de 50 % en 2020, après avoir grandi
de 160 % entre 2017 et 2019. Promesse de startupeur? Peutêtre
pas seulement. Après le traumatisme du Covid19, la croisière
individuelle démocratisée a de beaux jours devant elle.
éric béziat
LA STARTUP FONDÉE
EN 2013 DEVAIT
ANNONCER L’ACHAT
D’UN DE SES RIVAUX,
L’ALLEMAND SCANSAIL
JeanBaptiste Rudelle, le prési
dentfondateur de Criteo, est un
grand amateur de kitesurf. Il a
même fondé une association,
The Galion Project, qui réunit des
startupeurs pour réfléchir en
semble à l’avenir du monde et
s’adonner entre deux réunions
aux plaisirs de ce sport. Il aura
besoin de toute sa science de
l’équilibre en mouvement, et des
avis de ses camarades « entrepre
neurs en hypercroissance » pour
conjurer le mauvais sort qui
s’acharne sur son entreprise.
D’hypercroissance, il n’y en a
plus beaucoup chez Criteo. Le
chiffre d’affaires de l’entreprise a
baissé de 2 % en 2019 et pourrait
chuter de 10 % cette année, selon
ses propres anticipations. Spécia
lisée dans l’optimisation des pu
blicités sur les sites Internet, l’en
treprise est l’une des plus belles
startup françaises du numéri
que. Créée en 2005, elle affiche un
chiffre d’affaires de plus de 2 mil
liards d’euros et son introduction
en Bourse, en 2013, a fait d’elle
l’une des premières licornes fran
çaises, valorisée plus de 1 milliard
d’euros. Elle en vaut désormais la
moitié, alors que la Commission
nationale de l’informatique et des
libertés vient d’ouvrir une en
quête sur ses pratiques.
Nécessaire régulation
Son destin rassemble les contra
dictions et les paradoxes qui
émergent avec le passage à l’âge
adulte du monde de l’Internet. La
société a été à l’origine de l’indus
trialisation de la publicité sur le
Net grâce à ses logiciels de ci
blage, les cookies, qui traquent
les usages des internautes pour
leur envoyer des publicités adap
tées à leurs recherches récentes.
Cette pratique est efficace, mais
de plus en plus visible et de
moins en moins acceptée. Le Rè
glement général sur la protection
des données européen impose
de demander le consentement
de l’internaute, et de récents
scandales ont rendu le sujet très
sensible. C’est pourquoi les navi
gateurs Firefox et Safari (Apple)
ont interdit les cookies « tiers »,
comme ceux installés par Criteo
pour le compte de ses clients.
Puis, en janvier, c’est au tour de
Google d’annoncer leur suppres
sion, d’ici deux ans, de son navi
gateur Chrome utilisé par les
deux tiers des internautes. C’est,
d’un coup, tout le modèle écono
mique de ce secteur, et notam
ment de Criteo qui est à revoir.
Derrière cette nécessaire régula
tion se cachent néanmoins deux
paradoxes. D’une part, comme en
matière de fiscalité, les premiers
visés par ces règles, les omnipré
sents Google, Apple, Facebook et
Amazon, accusés d’être trop puis
sants et indiscrets, seront les pre
miers bénéficiaires de ces mesu
res. Elles affaibliront les acteurs
qui se partagent les 25 % du mar
ché publicitaire qui ne sont pas
encore dans les mains de Google
ou Facebook.
D’autre part, ces mesures vont
démonétiser un peu plus la va
leur de la publicité sur le Net, car
elle sera moins efficace, et donc
fragilisera le modèle des sites gra
tuits qui offrent leur service en
échange de publicités. Comme en
kitesurf, le Web est un monde
peuplé de vagues imprévisibles et
de courants contraires.
PERTES & PROFITS|CRITEO
p a r p h i l i p p e e s c a n d e
Les paradoxes
de la pub en ligne