Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1

24 |culture DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 MARS 2020


0123


S É L E C T I O N


A L B U M S


B O U L E Z - M A N O U R Y
Evolution, not revolution
Œuvres de Pierre Boulez et de Philippe
Manoury par Salomé Haller (mezzo­so­
prano), Gaël Rassaert (violon) et
l’Ensemble orchestral contemporain
sous la direction de Daniel Kawka.
L’aphorisme en exergue – « évolution, pas
révolution » – provient d’une mise en perspective historique
de l’œuvre de Pierre Boulez (1925­2016) effectuée par le chef et
pianiste Daniel Barenboim. Pas sûr qu’elle convienne à la
référence suprême de la musique sérielle de l’après­guerre,
Le Marteau sans maître (1954). Pour ce qui concerne l’interpréta­
tion bourgeonnante – donc éloignée de la tradition pointilliste


  • qu’en donne l’Ensemble orchestral contemporain, on peut par­
    ler d’« évolution ». Pigmentation colorée d’une toile fraîchement
    peinte, rythmique de cérémonial occulte, voix d’illuminée en
    crise de révélation (Salomé Haller), tout concourt à favoriser l’ex­
    pression plutôt que le langage. A ce cycle intimiste succède une
    épopée implacable conçue, en 2016, par le démiurge Philippe
    Manoury « in memoriam Pierre Boulez ». Quelle puissance dans
    la gestion de l’espace, quelle efficacité de dramaturge! Mais à
    l’écoute de cette vertigineuse B­Partita, c’est Stockhausen qui
    vient à l’esprit, pas Boulez. pierre gervasoni
    1 CD Col legno.


P I E R R E D E B E T H M A N N T R I O
Essais/Volume 3
Ce trio a près de dix ans d’âge, formé par
le pianiste Pierre de Bethmann avec le
contrebassiste Sylvain Romano et le bat­
teur Tony Rabeson. Comme dans ses deux
Essais précédents, il explore le répertoire
du jazz, de la chanson, de la musique clas­
sique, de la pop. Pour ce volume 3, Cole
Porter (Easy to Love), Georges Brassens (La
Cane de Jeanne), Robert Schumann (Sonate opus 105) et Que sera,
sera, de Jay Livingston et Ray Evans, que chante Doris Day dans
L’homme qui en savait trop (1956), d’Hitchcock, constituent des
repères connus. D’autres thèmes sont plus secrets, Cyclic Epi­
sode, du saxophoniste Sam Rivers, Dark Blue, du guitariste John
Scofield, L’Ours, poème symphonique du trompettiste Jean­Loup
Longnon, dont la puissance mélodique est superbement rendue,
I Can’t Help it de Stevie Wonder et Susaye Coton Greene. Partout
l’on est mené vers une belle complicité musicienne, des étonne­
ments dans le traitement. sylvain siclier
1 CD Aléa/Socadisc
Retrouvez également sur Internet les chroniques des nouveaux
albums de Real Estate, Jean-Louis Murat et Ibrahim Ferrer

A l’Armory Show de New York,


le virus de l’art sévit toujours


Malgré l’épidémie de Covid­19, les collectionneurs et les musées américains ont répondu
présent à la foire historique de Manhattan, concurrencée par la multiplication des salons

ARTS
new york

E


n plus d’un quart de siècle
d’existence, l’Armory Show
a rarement connu temps
plus clément : nul blizzard ou
flocon n’a cette année balayé les
deux anciens quais pour paque­
bots occupés par la foire le long de
l’Hudson River, à Manhattan. Prin­
tanier, le soleil a été d’autant plus
apprécié par les visiteurs que ces
deux parties sont séparées l’une
de l’autre depuis que le Pier 92 a dû
être abandonné en catastrophe
en 2019, une semaine avant
l’ouverture, à cause de sa vétusté.
Cette année, les sources d’in­
quiétude étaient autres à l’ouver­
ture de la foire historique de New
York (du jeudi 5 au dimanche
8 mars) : la première journée, ré­
servée aux VIP, allait trancher net
un certain nombre de questions.
La plus évidente : y aurait­il un
« effet coronavirus » dans un pays
où la pandémie a déjà fait onze
morts? Alors même que des foires
d’art contemporain sont annulées
ou reportées à travers le monde,
l’Armory n’a vu que deux galeries
(de Shanghaï et Hongkong) re­
noncer à venir sur 183 exposants
originaires de 32 pays. Les galeries
italiennes ont répondu présent,
malgré les vols suspendus par
plusieurs compagnies aériennes
entre les Etats­Unis et l’Italie.

Dans les allées, où la foule s’est
pressée toute la journée, on
croisait peu de masques de
protection. Les poignées de main
ont en revanche été remplacées
par des saluts à distance ou des
tapes de coude à coude. La fré­
quentation, jugée « normale », a
répondu à une autre angoisse des
galeries : les collectionneurs
allaient­ils venir? De l’avis géné­
ral, moins de collectionneurs
européens ont fait le déplace­
ment, mais l’audience locale,
américaine et canadienne, a plei­
nement compensé.
« Il y a très peu de collectionneurs
français, alors que d’habitude
l’Armory en est plein », relevait l’art
advisor Valérie Cueto. « Heureuse­
ment que c’est une foire très améri­
caine, sinon on aurait été très mal »,
confiait en fin de journée Bruno
Delavallade, de la galerie pari­
sienne Praz Delavallade. « L’état
d’esprit des Américains, et notam­
ment des New­Yorkais, c’est : ne
nous laissons pas abattre, conju­
rons le sort en soutenant ce que l’on
aime! », analyse la galeriste fran­
çaise, installée à New York, Josée
Bienvenu, elle aussi « rassurée ».

Offre pléthorique
Autre point délicat cette année,
les dates du Tefaf Maastricht,
prestigieux salon d’art et d’anti­
quités, qui attire de plus en plus
les galeries très contemporaines,

coïncident avec celles de la foire.
Au­delà de cette superposition
inédite, la concurrence des foires
se fait ressentir pour la première
fois de manière aiguë pour
l’Armory, avec la désaffection de la
majorité des très grosses galeries :
pas de Hauser & Wirth, de
Zwirner, de Perrotin, de Marian
Goodman, de Pace, de Continua,
de Ropac ou de Kamel Mennour
cette année. Parmi les grandes
new­yorkaises, seuls Gagosian,
Jeffrey Deitch, Kasmin et Sean
Kelly ont répondu présent.
Les poids lourds du milieu bou­
dent­ils la manifestation? Tandis
que les foires se sont multipliées
au fil des ans à travers le monde,
la concurrence s’est développée
sur le sol américain lui­même,
avec Art Basel Miami depuis 2002

et deux Frieze (à New York depuis
2012, à Los Angeles depuis 2019).
Ces nouveaux acteurs ont déjà
secoué l’Armory et l’avaient con­
duit à repenser sa formule pour se
repositionner. Frieze New York,
plus internationale en termes
d’acheteurs, comme Tefaf New
York, qui se déroule en parallèle,
en mai, rassembleront, eux, la
crème des grosses galeries inter­
nationales. D’autres, comme
Zwirner, Marian Goodman ou
Pace, ont aussi pour beaucoup
participé à la foire ADAA (The Art
Dealers Association of America)
une semaine plus tôt, elle aussi en
plein Manhattan.
Les galeries présentes en 2019 et
absentes cette année, contactées
par Le Monde, plaident la néces­
sité de faire des choix parmi
l’offre pléthorique, d’autant que
de plus petites foires montent en
grade et en attention, comme
Arco, à Madrid, ou Artissima, à
Turin, dont les stands sont
beaucoup moins chers que ceux
de l’Armory.
Nicole Berry, la directrice de la
foire (propriété du fonds d’inves­
tissement immobilier américain
Vornado), se veut sereine : « Cha­
que foire a son identité. Frieze et
Art Basel sont des franchises, tan­
dis que nous ne sommes qu’à New
York, et implantés en pleine ville.
Notre base de collectionneurs est
fidèle, les galeristes vendent bien,
affirme­t­elle. Certaines galeries
partent, d’autres reviennent, les ro­
tations sont normales. Et il n’y a
aucune pression, il faut que les ga­
leries puissent présenter des cho­
ses qui font sens. Ça permet aussi
l’entrée de nouvelles galeries. »
Les acheteurs, eux, n’ont pas
boudé la foire, qui reste attrac­
tive. On ne parle pas ici en mil­
lions de dollars : les prix débutent
autour de 5 000 dollars (4 416 eu­
ros) et culminent à 700 000 dol­
lars (618 300 euros), prix d’une
œuvre de Luc Tuymans vendue à
l’ouverture par Zeno X Gallery.
« C’est une foire d’une taille raison­
nable, pas snob, où l’on fait des
découvertes, et qui permet aux
acheteurs qui sont de vrais
collectionneurs, et pas des spécu­
lateurs, de se faire plaisir pour
10 000 dollars. C’est très bien pour
les jeunes collectionneurs », souli­
gne Valérie Cueto.
« C’est un hangar pourri, c’est la
foire aux stands les plus chers à la­
quelle nous participons, mais on
est au cœur de Manhattan, et tous
les collectionneurs new­yorkais
viennent, c’est utile pour nous d’y
montrer des artistes confirmés et
des révélations », explique Daniel
Templon, fidèle à la foire depuis
plus de dix ans et dont le stand de
80 m^2 s’élève à 100 000 dollars
sans les frais de transport (des
œuvres et des équipes). Au pre­
mier jour étaient déjà vendus une
large toile du peintre sénégalais
Omar Ba (110 000 dollars), une
autre de Kehinde Wiley
(235 000 dollars) et deux Ivan
Navarro à 100 000 dollars chacun.
« L’Armory est une foire plus
grand public que Frieze, mais il y
règne une vraie ouverture d’esprit.
Le marché de l’art s’est élargi, les
gens viennent s’y éduquer à l’art »,
analyse pour sa part Cecile
Panzieri, la directrice de la galerie
Sean Kelly, qui affiche elle aussi
une « très bonne première jour­
née » en termes de ventes. Tandis
qu’un faux Donald Trump aux
joues orange et cheveux jaunes
parcourt les stands en rassurant
les galeristes concernant le coro­
navirus (il compte « construire un
mur autour de la Chine »), elle évo­
que un autre virus : « L’Américain
est le consommateur par excel­
lence : il a le pouvoir d’achat et le
virus de l’art! »
emmanuelle jardonnet

« Frieze
et Art Basel sont
des franchises,
tandis que
nous ne sommes
qu’à New York,
et implantés
en pleine ville »
NICOLE BERRY
directrice de l’Armory Show

Hachette renonce aux


Mémoires de Woody Allen


Le fils du cinéaste, Ronan Farrow, avait
dénoncé la publication de l’ouvrage

L


e groupe Hachette, dont
la filiale Grand Central
Publishing devait publier
Apropos of Nothing, les Mémoires
de Woody Allen, renonce à le faire.
Le livre devait sortir aux Etats­
Unis le 7 avril et en France le
29 avril, aux éditions Stock
(groupe Hachette Livre), sous le ti­
tre Soit dit en passant.
« La décision d’annuler le livre
de M. Allen a été difficile (...), nous
n’annulons pas de livre à la lé­
gère », a écrit, vendredi 6 mars
dans un courriel à l’Agence Fran­
ce­Presse, Sophie Cottrell, porte­
parole du groupe Hachette aux
Etats­Unis. « Ces derniers jours, la
direction de HBG [Hachette Book
Group] a eu de longues discus­
sions avec le personnel et d’autres.
Après avoir écouté, nous sommes
arrivés à la conclusion que mainte­
nir la publication n’était pas faisa­
ble pour HBG », a­t­elle ajouté, pré­
cisant qu’Hachette rendrait tous
les droits achetés à Woody Allen.
« En tant qu’éditeur, nous veillons
chaque jour dans notre travail à ce
que des voix diverses et des points
de vue contradictoires puissent
être entendus. En tant que société,
nous sommes également détermi­
nés à offrir une ambiance de travail
stimulante et chaleureuse à tous
nos employés. » Sur France Inter, le
PDG des éditions Stock, Manuel
Carcassonne, avait appelé, ven­
dredi, à « ne pas tout amalgamer »,
affirmant que « Woody Allen n’est
pas Roman Polanski ».

Refus des éditeurs américains
Jusqu’à présent, les grands édi­
teurs américains s’étaient refusés
à publier l’autobiographie du ci­
néaste. Cette décision intervient
au lendemain d’une manifes­
tation de dizaines d’employés
d’Hachette, qui sont sortis de
leurs bureaux à New York pour
dénoncer la publication du livre
du cinéaste, accusé d’avoir abusé

sexuellement de sa fille adoptive
Dylan Farrow en 1992.
Cette action était elle­même la
suite de protestations émises
par le journaliste du New Yorker
Ronan Farrow, frère de Dylan, dont
le propre livre, Catch and Kill, con­
sacré à son enquête sur l’affaire
Weinstein, est publié par Hachette.
Ronan Farrow a soutenu que l’édi­
teur n’avait pas contacté sa sœur
Dylan pour comparer sa version à
celle de Woody Allen, ce qui consti­
tue, pour lui, « un manque fou de
professionnalisme ». M. Farrow a
annoncé qu’il ne travaillerait plus
avec le groupe Hachette.
Les accusations de Dylan Farrow
ne sont pas nouvelles, et le ci­
néaste new­yorkais les a toujours
démenties. En 1993, le départe­
ment des services sociaux de New
York avait clos une enquête de
quatorze mois, en déclarant ne
disposer d’aucune preuve crédi­
ble à l’appui des allégations de Dy­
lan Farrow. Mais, soutenue par
son frère et sa mère, Mia Farrow,
Dylan Farrow les a renouvelées
début 2018, dans la foulée du
mouvement #metoo.
Après avoir déjà salué les em­
ployés d’Hachette jeudi, Dylan
Farrow leur a témoigné sa « recon­
naissance » vendredi. « Pour quel­
qu’un qui s’est longtemps senti
seul avec son histoire, la journée
d’hier rappelle qu’on peut faire
une différence quand les gens
s’unissent pour ce qui est juste », a­
t­elle écrit sur Twitter.
Woody Allen n’a, lui, pas immé­
diatement réagi. Mais sur les ré­
seaux sociaux, l’écrivain Stephen
King a critiqué la maison d’édi­
tion. « La décision d’Hachette de
laisser tomber Woody Allen me
met très mal à l’aise. Ce n’est
pas lui, je me fiche de M. Allen. Ce
qui m’inquiète, c’est qui sera mu­
selé la prochaine fois », a tweeté
l’auteur.
« le monde » (avec afp)

UN FILM DE
HADRIEN LAVAPEUR&CORT OVACLAV

ÉXPÉDITION INVISIBLE&KIDAMPRÉSENTENT

AFFICHE : WILLIAM LABOURY

ÉXPÉDITION INVISIBLE & KIDAM PRÉSENTENT

LE PORTRAITRARE ETPUISSANTD’UN GUÉRISSEUR


QUI COMBAT LASORCELLERIE
Le Monde
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