Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1
D I M A N C H E 8 - L U N D I 9 M A R S 2 0 2 0

0123
5

Paris


sur son 21


Le 21


e
arrondissement

est un territoire chimérique


concentrant toutes les


caractéristiques attribuées


à la capitale, mais sans


embouteillages ni trop


de Parisiens. Une bonne


vingtaine de localités


se disputent le titre


Olivier Razemon

C’

est un arrondissement fantôme, comme il y a des
pays fantômes – le San Theodoros du général
Tapioca ou le Farghestan de Julien Gracq. Un lieu
qui n’existe pas, et qui n’a jamais existé. Tels le
sixième sens, la quatrième dimension ou le 51e Etat
des Etats­Unis, le 21e arrondissement de Paris sti­
mule beaucoup l’imagination, mais personne ne peut se targuer de ne
l’avoir jamais rencontré, ni d’avoir voté pour désigner ses représentants.
Et pour cause, la capitale ne compte, depuis 1860 et jusqu’au 23 mars de
cette année, que vingt arrondissements, des divisions administratives
disposant chacune d’un maire et d’un conseil municipal.
Il n’est pas besoin de chercher très longtemps, en fouillant les
archives, en interrogeant les réseaux sociaux ou en discutant autour de
soi, pour trouver mention du 21e arrondissement, comme si les Pari­
siens, à l’étroit dans leurs 105 km², tenaient absolument à se créer un
territoire supplémentaire, une sorte de Paris idéal, sans trop de Pari­
siens ni de pollution. Il apparaît en effet que le 21e est l’arrondissement
du post­Paris, du presque Paris, du fantasme de Paris. Un territoire chi­
mérique concentrant les caractéristiques qui, à tort ou à raison, sont at­
tribuées à la capitale. Une station de métro, une boulangerie sans glu­
ten, des œufs­mayo à 8 euros, le mètre carré qui flambe, et surtout un
nombre considérable de « Parisiens », ou supposés tels, suffisent à bap­
tiser un lieu « 21e arrondissement ». Une bonne vingtaine de localités
peuvent prétendre à cette qualification.
Commençons par les lieux qui contiennent, dans leur nom,
celui de la capitale, Le Touquet­Paris­Plage (Pas­de­Calais) ou Paris­La
Défense (Hauts­de­Seine). Le premier lotissement construit au Tou­
quet, sur la Côte d’Opale, a été baptisé en 1882 « Paris­Plage » par des
promoteurs soucieux d’attirer une clientèle parisienne. En intégrant le

vocable « Paris », le quartier d’affaires de l’Ouest
parisien a gagné une visibilité internationale que
les seules communes de Puteaux, Courbevoie ou
Nanterre, sur lesquelles sont édifiées les tours de
bureaux, n’auraient pas suffi à lui apporter. Alors
qu’en Ile­de­France, tous les flux quotidiens conver­
gent de la banlieue vers Paris, la gare RER de La Dé­
fense fait figure d’exception, puisqu’elle attire, le
matin, davantage de voyageurs en provenance de
Paris qu’il n’y a de trajets en sens inverse.
Mais il n’est pas nécessaire d’arborer le nom « Paris » pour se
mettre sur son 21. De Deauville (Calvados) à Boulogne­Billancourt
(Hauts­de­Seine), de Rennes à Zurich, les candidats sont nombreux. On
peut même les classer en quatre catégories géographiques, rien que
ça!
D’abord, les communes qui jouxtent la capitale, Saint­Ouen,
Bagnolet (Seine­Saint­Denis) ou Montrouge (Hauts­de­Seine), et où
l’on trouve désormais des microbrasseries et des boutiques zéro
déchet. « Ce sont des villes créatives, dotées de centres­villes attractifs et
de troquets où il se passe des choses », résume Nicolas Le Goff, auteur de
deux guides, L’Autre Paris (Parigramme, 2017) et A l’ouest, un autre Paris
(Parigramme, 2019), qui proposent des balades pédestres en proche
banlieue. Pour lui, la plupart des villes limitrophes, à l’est comme à
l’ouest, bourgeoises ou populaires, pourraient « constituer autant d’ar­
rondissements supplémentaires, et complémentaires, de la capitale ».
Les promoteurs l’ont bien compris. A Pantin (Seine­Saint­Denis), un
ensemble immobilier construit sur le site d’une ancienne usine porte
un nom évocateur : « 21e District ».
Viennent ensuite les stations balnéaires à l’architecture recher­
chée et où l’on achète des macarons à la sortie de la messe. Le Touquet,
Arcachon (Gironde) ou La Baule (Loire­Atlantique) rappellent le 16e ar­
rondissement, les pieds dans l’eau. En version montagnarde, ça donne
Megève (Haute­Savoie), où le couple Marais­Cocteau aimait se ressour­
cer, et que Jean Marais qualifiait de « 21e arrondissement de Paris ».
La troisième catégorie est constituée des villes reliées à la
capitale par la grande vitesse : Bordeaux, Aix­en­Provence (Bouches­
du­Rhône) ou Rennes. Un détail, souvent d’ordre immobilier, suffit
alors à déclencher le fameux : « Dis donc, on est dans le 21e arrondisse­
ment, ici. » Enfin, il faut ajouter les villes étrangères, voire les quar­

PÉRIPHÉRIE


E


t si le 21e arrondissement de Paris
devenait... le 18e? Car le nombre de
subdivisions parisiennes va passer
de 20 à 17 au lendemain du second tour
des élections municipales, le 23 mars. Les
circonscriptions électorales que sont les
quatre premiers arrondissements fusion-
neront pour devenir Paris-centre, con-
formément à la volonté de la maire de
Paris. Cette entité n’aura plus qu’un seul
conseil d’arrondissement et un seul
maire. En revanche, les plaques de rue
des ex-arrondissements ne seront pas
modifiées, pas plus que les adresses. C’est
la mairie du 3e qui abritera les services
administratifs, les autres bâtiments étant
dévolus à des activités associatives.
Ce n’est pas la première fois que le nom-
bre d’arrondissements évolue. Avant
l’annexion, en 1860, de la banlieue
d’alors, Belleville ou Vaugirard, la ville
était divisée en 12 arrondissements. Pour

désigner les couples vivant en concubi-
nage, on disait alors qu’ils s’étaient « ma-
riés à la mairie du 13e arrondissement », le
21 e de l’époque.
Paris passa alors de 12 à 20 arrondisse-
ments, et le 13e aurait pu être attribué aux
quartiers de Passy et Auteuil, les plus
huppés de la ville. Mais les habitants, sou-
cieux d’afficher leurs bonnes mœurs, re-
fusèrent une adresse qui aurait pu laisser
penser qu’ils vivaient en concubinage. La
division administrative de Paris fut alors
modifiée, pour lui donner cette forme
d’escargot qu’on lui connaît aujourd’hui.

« Mariés à la mairie du 13


e
»

ou l’origine de l’escargot


tiers précis, où les Français, parisiens ou non, bourgeois ou bohèmes,
aiment s’installer : le Plateau à Montréal, South Kensington à Londres,
Uccle à côté de Bruxelles.
Mais dans cette chasse au 21e, deux villes font la course en tête.
Tout les oppose, en apparence du moins : Deauville, 3 600 habitants,
station balnéaire de la côte normande, et Montreuil, 106 000 habitants,
banlieue populaire de l’Est parisien. Gérante de la librairie mon­
treuilloise Folies d’encre, Amanda Spiegel relève d’ailleurs « les deux
phrases typiques qui permettent de repérer les Parisiens : “J’ai des amis qui
se sont installés à Montreuil” et “Je préfère Trouville à Deauville” ».
Voyons un peu sur place. Le dimanche matin, le marché policé
qui se tient sous les halles à colombages de la place Morny, à Deauville,
ne présente pas beaucoup de points communs avec le marché couvert
de la Croix­de­Chavaux, à Montreuil. Mais il est vrai que tous deux affi­
chent un petit air de Paris. Pas le même Paris, sans doute.
En revanche, les maires des deux villes, candidats à leur réélec­
tion, Philippe Augier (UDI) en Normandie et Patrice Bessac (PC) en
Seine­Saint­Denis, réfutent avec la même vigueur, et presque dans les
mêmes termes, l’appellation « 21e arrondissement ». « C’est une vieille
histoire, confie le maire de Deauville. Après­guerre, alors que la côte ne
vivait que le week­end, le slogan “Deauville, 21e arrondissement” avait
été lancé pour montrer que nous étions dignes d’un arrondissement de
Paris. » Mais depuis son élection, en 2001, M. Augier cherche par tous
les moyens à effacer cette image. Car, désormais, « les Parisiens vien­
nent sur la côte pour fuir la pression urbaine. La ville est propre, on y
trouve de la culture et des activités, c’est un havre de paix. »
A Montreuil, M. Bessac conteste également la dénomination
« 21e arrondissement ». « Paris est notre banlieue », assure­t­il, et
d’ailleurs « aucun Montreuillois n’utilise cette expression ». L’élu vante
en revanche « le cadre de vie, l’ambiance de village, les lieux culturels »,
qui seraient l’apanage des rues montreuilloises. « Ici, les gens se disent
bonjour, pas comme à Paris », assure l’élu communiste. C’est sympa
comme description, mais ça ressemble un peu trop à Deauville, non?

DANS CETTE
CHASSE AU 21E,
DEUX VILLES, QUE
TOUT OPPOSE
EN APPARENCE,
FONT LA COURSE
EN TÊTE :
DEAUVILLE
ET MONTREUIL
Free download pdf