Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1
14 u Libération Mardi 7 Avril 2020
Expresso

Les interrogations
autour de
l’hospitalisation
du Premier ministre
et de sa capacité
à gouverner
se multiplient
dans un contexte
où l’absence de
stratégie claire face
à l’épidémie est de
plus en plus criante.

S


ur la rive sud de la
­Tamise, au coin du
pont de Westminster,
St Thomas’Hospital est un
rectangle massif construit
dans les années 70. S’il est
en état de regarder par la fe­-
nêtre de sa chambre, Boris
Johnson peut contempler
le Parlement, juste en face,
de l’autre côté du fleuve.
A moins de 300 mètres se
trouvent Downing Street et
l’appartement, au numéro 11,
où il était reclus ­depuis dix
jours avant son admission à
l’hôpital dimanche soir.

«Nuit confortable». L’état
de santé réel de Boris John­-
son, testé positif au Covid-
il y a onze jours, interroge de
plus en plus alors que le pays
est aux prises avec une crise
historique. Selon les scien­-
tifiques, le pic de l’épidémie
devrait toucher le Royaume-
Uni d’ici sept à dix jours. Aux
inquiétudes autour de la
santé du Premier ministre et
de sa capacité à gouverner
depuis un lit d’hôpital, se
greffe un sentiment global
de confusion concernant la
stratégie du gouvernement,
le tout sur fond d’escar­-
mouches entre les différents

Le gouvernement britanni-
que a été touché au cœur
par l’épidémie de Covid-19.
­Outre Boris Johnson, son
conseiller spécial Dominic
Cummings, trois autres
­conseillers et le conseiller
médical en chef, Chris Whitty,
se sont isolés après avoir
­développé des symptômes
du virus. Le ministre de la
Santé, Matt Hancock, avait
annoncé être positif exacte-
ment en même temps que Bo-
ris Johnson, mais s’est remis
plus vite. Depuis trois jours, il
est de retour en première
­ligne et mène les conférences
de presse quotidiennes sur
l’épidémie. Mais l’impression
de confusion domine. La stra-

tégie gouvernementale a déjà
évolué brutalement, après de
violentes critiques sur un im-
portant retard pris au début
de l’épidémie, notamment
autour de l’idée de laisser
se dé­velopper une immu-
nité collective. Des annonces
­contradictoires se suivent,
ajoutant au sentiment que
personne n’est réellement aux
commandes.

Phare. Il y a deux semaines,
le ministre de la Santé avait
ainsi annoncé en fanfare
que 3,5 millions de tests anti-
corps, permettant d’établir
qui est immunisé contre le
Covid-19 après une infection,
étaient sur le point d’être mis

à disposition des personnels
de santé. John Newton, tout
juste nommé par le gouver-
nement pour superviser la
question des tests, a révélé
lundi dans le Times qu’aucun
des tests en cours d’évalua-
tion n’était fiable et qu’il fau-
drait sans doute plusieurs
mois avant d’en mettre au
point un qui le soit.
Dimanche soir, posée et
calme, la reine Elizabeth II a
emprunté les mots d’une
chanson célèbre de Dame
Vera Lynn, 103 ans et vedette
pendant la Seconde Guerre
mondiale : «Nous nous rever-
rons», a promis la reine, seul
phare rassurant du moment
au Royaume-Uni.•

Par
SONIA DELESALLE-
STOLPER
Correspondante à Londres

Bolsonaro commet un «populicide» au Brésil
«Le 24 mars, Bolsonaro prononce un discours fatidique,
le “discours de la mort”, totalement irresponsable et
criminel», écrit dans une tribune Frédéric Vandenberghe, professeur de
sociologie à l’Institut de philosophie et de sciences sociales à l’Université
fédérale de Rio de Janeiro (IFCS-UFRJ). En appelant, contre l’avis de l’OMS
et de son propre ministre de la Santé, à la levée du confinement parce qu’il
considère que le coronavirus est une «simple grippette», le président brésilien
provoque intentionnellement le chaos et sème la mort. Photo XXX

Boris Johnson, vendredi, alors confiné à Downing Street. Photo Downing Street. AFP

Boris Johnson


hospitalisé,


le Royaume-Uni


en petite forme


exceptionnelle à la nation de
la reine Elizabeth II était dif-
fusée. Il a été conduit en voi-
ture et non en ambulance à
l’hôpital, sur recommanda-
tions de ses médecins, in-
quiets de voir ses symptômes
persister après dix jours
d’isolement.
Il souffrait notamment tou-
jours d’une «forte fièvre et
d’une toux», a indiqué Dow-
ning Street. Selon le Times, il
aurait reçu de l’oxygène à son
arrivée à St Thomas’Hospital,
avant de subir une batterie
d’examens, dont Dow-
ning Street n’a pas précisé la
­teneur.

Silhouette. L’agence de
presse russe RIA Novosti
avait affirmé dimanche soir
que le Premier ministre avait
été intubé et placé sous respi-
rateur artificiel, ce qui a été
catégoriquement démenti
par Downing Street. «Si ses
symptômes ne se sont pas
améliorés, ils ne se sont pas
non plus aggravés», a précisé
le porte-parole.
Boris Johnson, qui jouit en
général plutôt d’une bonne
santé, était apparu en public
la dernière fois jeudi soir à
20 heures. Silhouette soli-
taire, il était sorti dans la
nuit sur le seuil de Downing
Street pour applaudir les
personnels de santé, comme
dans le reste du pays. Ven-
dredi, une courte vidéo sur
Twitter le montrait les traits
tirés et le souffle court. Il y
annonçait qu’il restait en
quarantaine car il souffrait
de symptômes persistants,
«notamment de la fièvre».
Dimanche, le Sunday Times
faisait mention de réunions
par visioconférence avec
des ministres et conseillers
la semaine précédente,
­entrecoupées de violentes
quintes de toux du Premier
ministre.

ministres encore en bonne
santé.
Le Premier ministre est «plus
que jamais aux commandes
du gouvernement», a voulu
rassurer lundi matin sur tous
les médias Robert Jenrick,
ministre au Logement. Mais
quelques minutes plus tard,
Downing Street précisait
que Boris Johnson resterait ­
«hospitalisé le temps qu’il
faudra», avant d’ajouter qu’il
avait passé «une nuit confor-
table». Le porte-parole an-
nonçait aussi l’annulation
pure et simple de la réunion
hebdomadaire du cabinet,
qui rassemble chaque mardi
les 26 principaux ministres
autour du chef du gouverne-
ment. Dans un tweet publié
en début d’après-midi lundi,
Boris Johnson a indiqué qu’il
avait «bon moral» et restait
«en contact avec [s] on équipe
alors que nous luttons ensem-
ble contre ce virus».
Lundi matin, la réunion quo-
tidienne de crise sur la ges-
tion de l’épidémie de Co-
vid-19 a été présidée par le
ministre des Affaires étran-
gères, Dominic Raab. Consti-
tutionnellement, sa position
de First Secretary of State
le désigne pour assurer les
­affaires courantes lorsque
le Premier ministre est dans
l’incapacité de le faire. A ses
côtés opère Mark Sedwill, se-
crétaire général du gouver-
nement et, à ce titre, plus
haut fonctionnaire du pays.
Depuis plusieurs jours, les
rumeurs abondent sur une
mésentente entre ces deux
personnages mais aussi entre
le ministre de la Santé,
Matt Hancock, et le ministre
d’Etat Michael Gove, en
charge de la bonne marche
du gouvernement.
Officiellement, Boris John­-
son a été hospitalisé peu
après 20 heures dimanche,
juste au moment où l’adresse

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