Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1

Libération Mardi 7 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15


mier ministre, Stefan Löfven.
Son gouvernement minori-
taire de centre gauche a dé-
gainé une «loi d’urgence».
Elle lui permettrait d’ordon-
ner, sans vote du Parlement,
la fermeture des transports,
restaurants ou salles de sport.
L’Etat pourrait aussi distri-
buer médicaments et équipe-
ments de protection, alors
que l’inquiétude et la colère
du corps médical grandissent
face à la confusion entre les
autorités régionales et natio-
nales sur ce point. Une pre-
mière dans un pays doté d’un
système politique très décen-
tralisé et destiné à empêcher
les abus et limiter le pouvoir
de l’Etat. Cet état d’urgence,

qui n’existe pas dans le droit
suédois, doit certes être validé
par le Parlement. Et ses effets
seraient limités à trois mois,
à compter de sa promulga-
tion, prévue d’ici le 18 avril. Il
fait pourtant l’objet d’âpres
débats. «Si on abandonne une
partie de la démocratie main-
tenant, on ne sait jamais
quand on la récupérera», sou-
tient Jens Holm, député du
Parti de gauche. Après les cri-
tiques de l’opposition de tous
bords, une clause a été ajou-
tée ce week-end. Elle donne
au Parlement un droit de veto
sur les décisions du gouver-
nement. Mais a posteriori.
LOU MARILLIER
(à Stockholm)

Jean-Paul Mari suit au
jour le jour le combat
d’une équipe médicale
dans un hô­-
pital d’Ile-de-
France.
L e t e m p s a
changé. Et cela n’a rien à voir
avec la météo. L’air est moins
électrique. Une éclaircie, c’est
«un trou» dans un ciel lourd
de nuages. Là, c’est un
homme en blanc en pause,
dos au mur, masque au bas du
menton, qui fume len­tement
une cigarette au lieu de la
griller. Des infirmières pren-
nent le temps de se raconter :
«Dimanche, de repos, me suis
réveillée à 6 heures du matin.
Les ­gosses ont dormi jusqu’à
midi. Me suis retrouvée seule
comme une idiote...»
A l’étage, la salle de régu­-
lation, véritable tour de
­contrôle des appels de dé-
tresse, semble revenir à la
­raison. Jusqu’ici, on se se-
rait cru à la Bourse en plein
krach mondial : 46 médecins-
urgentistes, généralistes, étu-
diants formés en urgence,
7 600 coups de téléphone par
jour, 2 300 dossiers médicaux
constitués sur appel, 24 heu-
res sur 24. Covid sévère, Co-


vid urgent, Covid gravissime,
Covid! Là, pour la première
fois, un coin de ciel. Plus que
1 500 appels, le
double tout de
même de l’acti-
vité normale et,
toujours, 500 interventions
en ambulance. Aux ­urgences,
on ne vit plus cerné de ma­-
lades à la dérive, regard
perdu, soufflet de forge dans
la poitrine. Certes, on en voit
encore, comme cette vieille
dame, maghrébine, qui
étouffe sous l’œil paniqué de
sa fille : «Comprends pas. De-
puis quinze jours, elle n’a vu
personne !» «Personne, vrai-
ment ?» «Je vous jure. Sauf la
famille, bien sûr»...
Fait nouveau, les médecins
voient revenir des patients
«classiques» qui redoutaient
le bouillon de culture de
­l’hôpital, «comme si l’épidé-
mie était derrière nous», s’in-
quiète le docteur Anna (1).
Coup d’œil au calendrier. La
première déferlante a balayé
les contaminés d’avant le
confinement. L’accalmie re-
lative est bien le résultat des
mesures d’isolement. De-
puis, il y a eu les beaux jours,
«les gens se promènent en fa-

Vu de
l’hôpital

naire. Air France-KLM se
préparerait, selon l’agence
Reuters, à demander un
prêt garanti par l’Etat pour
un montant de 6 milliards
d’euros. Cette somme cor-
respond en fait à 25 % du
chiffre d’affaires du trans-
porteur, ce qui représente le
maximum prévu pour ce
type d’emprunt. Ces 6 mil-
liards d’euros se répar­-
tiraient entre 4 milliards

mille le long du canal de
l’Ourcq», peste le médecin. Et
ce mot malheureux de «dé-
confinement» prononcé par le
Premier ministre, juste avant
les nouvelles apaisantes sur
le «plateau» du Covid. Signal
trompeur. «Le week-end de
Pâques, on risque de rece-
voir les nouveaux contaminés
à J + 7, en pleine détresse res-
piratoire !» Eclaircie : brève
interruption du mauvais
temps. «Une éclaircie n’est
pas le printemps», grogne le
professeur Michel, qui sup-
plie la population de ne pas
se relâcher.
Le «pic» ne sera derrière nous
que lorsque 60 % des Français
seront immunisés, «ce qui
n’est pas le cas». D’ailleurs, au
service de réanimation, tous
les lits sont encore oc­cupés.
Entre deux intubations, le
Dr Hassan s’assoit, rincé :
«Vous ­aimez le foot? Face au
Covid, on perdait 1-0. On
a égalisé juste avant la mi-
temps. La seconde, cruciale,
va commencer, sans rempla-
çant. Et on est déjà tous bour-
rés de crampes.»
Jean-Paul Mari

(1) Les prénoms ont été modifiés.

«Une éclaircie n’est pas


le printemps»


Air France-KLM est visible-
ment la grande entreprise
qui a le besoin le plus urgent
d’argent frais. Avec seule-
ment 5 % de ses vols encore
assurés, la compagnie aé-
rienne perd environ 1 mil-
liard d’euros par mois, selon
un chiffre non démenti par
la direction.
La question a été abordée
vendredi lors d’un conseil
d’administration extraordi-

­garantis par l’Etat français
et 2 milliards par l’Etat
­néerlandais. Une somme
importante, sachant qu’en
Bourse, la compagnie ne
vaut pas plus de 2,5 mil-
liards. «Il faudra en outre
rembourser cette somme sur
une durée de quatre ans,
voire six maximum, ce qui
signifie 800 millions à 1 mil-
liard à sortir chaque année.
Vu les perspectives de re-
prise, ce ne sera pas chose
­facile», confie à Libération
une source de l’entreprise
proche du ­dossier.
Sans compter que pour les
très grandes entreprises,
l’Etat ne garantit que 70 %
de ces prêts exceptionnels et
non pas 90 %. «Vu la situa-
tion financière d’Air France-
KLM, les prêteurs vont être
hésitants et nous faire payer
le risque que représente un
tel financement», alerte ce
cadre. Il n’est donc pas exclu
que la compagnie demande
une dérogation à Bercy afin
que son prêt soit garanti
à 90 %. D’autant que les per-
spectives n’incitent guère
à l’optimisme. Selon les
­projections établies par la
direction, si le trafic repre-
nait le 1er juillet, il serait
­inférieur de moitié à ce qu’il
était un an plus tôt. Et à
l’été 2022, Air France-KLM
n’aurait retrouvé que 75 %
de son activité de 2019.
Franck Bouaziz

«Si le trafic d’Air


France reprend


[début] juillet,


il sera inférieur


de moitié


à ce qu’il était


un an plus tôt.»


serté les classes, un absenté-
isme condamné par l’Etat. Et
les interdic-
tions, comme
celle des ras-
semblements de plus de
50 personnes, sont rares.
Sauf que les signes d’une dé-
térioration rapide de la situa-
tion se multiplient : dans la
capitale suédoise, au moins
un tiers des maisons de re-
traite sont contaminées et les
services de soins intensifs
sont sur le point d’être sa­-
turés. Dimanche, la Suède
recensait 6 830 malades
et 401 décès. «Nous allons
compter les morts par mil-
liers. Autant s’y préparer»,
a annoncé vendredi le Pre-

Le milliardaire français qui
voulait prescrire de la
chloroquine à ses salariés
René Pich, fondateur et directeur général délégué de SNF, une
entreprise de traitement de l’eau, est soupçonné d’avoir acheté
de la chloroquine pour ses salariés. Une enquête préliminaire
a été ouverte par le parquet de Saint-Etienne pour «exercice
illégal de la profession de médecin» et «de pharmacien».
Photo XXX

A Stockholm ce week-end, les
citadins arpentaient toujours
les rues. Alors
qu’un tiers de
la population
mondiale est confinée, les
Suédois sont encouragés à
­limiter leurs dépla­cements,
mais n’y sont pas obligés.
L’épidémiologiste en chef An-
ders Tegnell, sur les épaules
duquel repose cette stratégie,
compte sur la responsabilité
individuelle et la capacité
de chacun à comprendre les
nuances de ses recommanda-
tions. Les restaurants peuvent
continuer à servir, hormis au
bar. Les écoles primaires sont
ouvertes, mais en moyenne
un quart des élèves ont dé-

Malgré la crise sanitaire, la Suède


à reculons vers une loi d’urgence


Vu de Suède


LIBÉ.FR

Corée du Sud Un examen d’embauche


se joue sur un terrain de football


L’entreprise publique coréenne Ansan Urban Corporation
(AUC) a organisé samedi un examen écrit de quatre-vingt-
dix ­minutes pour 139 candidats sur un terrain de football,
dans le sud de Séoul, de façon à appliquer des mesures de
sécurité sanitaire : 5 mètres d’espacement entre les candi-
dats, tests de température à l’entrée, masques et désinfec-
tion des mains obligatoires. Le président d’AUC a déclaré
que la société ne devait pas reporter le recrutement de nou-
veaux employés dans le contexte de la crise économique
provoquée par la pandémie et que le secteur public devait
donner l’exemple en matière d’emploi. Photo AP


UN membre
de la direction d’AIR
France-KLM
vendredi
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