Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1

Libération Mardi 7 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3


mie aggraverait les problèmes de
prises en charge.» Les troupes hos-
pitalières pourraient alors avoir du
mal à suivre. «Les soignants ne sont
pas des machines! prévient le Pr An-
toine Pelissolo, chef de service de
psychiatrie aux CHU Henri-Mondor
de Créteil (Val-de-Marne). Ils peu-
vent tenir un ou deux mois au for-
ceps, endurer des journées sans fin
par motivation. Mais pour eux, cette
crise est émotionnellement très
éprouvante. Beaucoup de soignants,
médecins et infirmiers, ont rejoint
les services de réanimations pour ai-
der, mais sans en avoir l’habitude.
Pour des jeunes sans grosse expé-
rience, être en contact direct avec
des décès multiples et répétés, et le
désespoir des familles, est une
épreuve majeure. J’ai dû en arrêter
certains en stress dépassé, dans un
tel état de sidération que leurs com-
pétences professionnelles en étaient
altérées.» Pour éviter le pire, une
seule consigne : tenir.•

Lire aussi page 15.

(XVIe arrondissement de Paris), dimanche.


D


epuis quelques jours, les principaux
indicateurs permettant d’évaluer l’état
de l’épidémie de Covid-19 en France
sont encourageants. Le virus qui en est à l’ori-
gine, le Sars-CoV-2, a cessé son ascension ex-
ponentielle pour entamer une décroissance,
laissant penser que le pic est derrière nous.
Du moins provisoirement. Car rien n’est ré-

glé : un déconfinement brutal risque d’être
aussi catastrophique que le confinement a été
efficace.

Qu’est-ce qu’un pic
épidémique?
Un pic épidémique correspond au moment où
le nombre de personnes contaminées quoti-
diennement commence à décroître par rapport
à la veille. Quand celui-ci advient-il? Tout dé-
pend du virus et des mesures prises pour
­contraindre (ou pas) sa circulation. Si on laisse
le virus circuler librement, le pic ­arrive lors-
qu’un certain pourcentage de la population a
été ­contaminée, et donc immunisée, au point

que le virus ne trouve plus assez de porteurs
pour circuler. Or ce pourcentage va dépendre
de ce que l’on appelle le «nombre de reproduc-
tion du virus». Autrement dit, le nombre de
gens qu’une personne infectée va contaminer.
Pour la rougeole, par exemple, une personne
infectée va en contaminer 15 à 20 autres, ce qui
est énorme. Pour la grippe, c’est 1,5. Et pour ce
nouveau coronavirus, c’est 2 à 3, ce qui est
beaucoup. Avec un tel taux, la part de la popu-
lation devant être touchée pour atteindre le pic


  • dans cinq mois environ – est de 50 % à 66 %.
    A partir de là, une personne infectée en conta-
    mine moins d’une, et l’épidémie ne peut que
    régresser. Avant de s’éteindre, quand 85 % à
    90 % de la population a été contaminée.


La France a-t-elle
atteint le pic?
Pour éviter l’hécatombe consubstantielle au pic
naturel, la France, comme la plupart des pays
européens, a choisi de confiner sa population.
Et donc de bloquer la circulation du virus. Avec
un certain succès, comme en témoignent plu-
sieurs indicateurs. La baisse, tout d’abord, de-
puis fin mars, du nombre de nouveaux cas
­confirmés chaque jour. Problème : cette donnée
dépend du nombre de tests réalisés, qui a beau-
coup varié depuis le début de l’épidémie.
Mais deux autres thermomètres, plus fiables,
vont dans le même sens : celui des nouvelles
hospitalisations quotidiennes, passées d’un
peu moins de 4 000 par jour mercredi à moins
de 2 000 dimanche, et celui des nouvelles en-
trées, chaque jour, en réanimation, qui a chuté
de 771 mercredi, à 390 dimanche.
Quatrième et dernier indicateur, plus incertain
car en baisse seulement pendant deux jours,
avant de se redresser : celui des morts, dont le
nombre quotidien s’élevait à 588 vendredi,
à 367 dimanche. Avant de remonter à 605 lundi.
«L’épidémie décroît, avec un nombre de repro-
duction du ­virus passé en dessous de 1, confirme
Samuel Alizon, chercheur en biologie au CNRS
à Montpellier. Cette décrue date même d’il y a
environ quinze jours, puisque les hospitalisa-
tions ­d’aujourd’hui correspondent aux contami-
nations intervenues il y a deux semaines.» At-
tention, ­cependant, «il s’agit d’une moyenne sur
la France, tirée vers le bas par les régions qui
­aujourd’hui voient leur situation s’améliorer,
comme le Grand Est ou l’Ile-de-France. Dans
d’autres régions, l’épidémie est peut-être encore
en extension».

Cette amélioration
est-elle durable?
Le problème avec ce pic, c’est qu’il est artificiel.
Il n’a pas été obtenu par l’immunité de groupe
(quand 50 % à 66 % ont contracté le virus), mais
parce qu’on a bloqué les gens chez eux. Selon
l’Imperial College de Londres, entre 1 % à 7 %
de la population française, fin mars, aurait été
en contact avec le virus. En cas de levée brutale
du confinement, tout porte à croire que l’épidé-
mie repartirait en flèche.
Comment sortir du confinement – socialement
et économiquement intenable sur plusieurs
mois – sans provoquer une nouvelle catastro-
phe sanitaire? En choisissant le modèle sud-
coréen, avec tests massifs et mise en quaran-
taine des cas confirmés et des cas contacts,
accompagnés d’une surveillance numérique
très intrusive? En ne confinant que les plus
de 50 ans, tout en essayant d’atteindre l’immu-
nité grégaire dans le reste de la population?
Mais de nombreux décès (certes moindres)
chez les plus jeunes? En alternant période de
confinement et périodes plus libres, comme le
suggère l’Imperial College de Londres, avec le
risque de nouveaux morts parmi les seniors?
«Ce sera une décision éminemment politique»,
estime Samuel Alizon. Un arbitrage terrible,
entre différentes tranches d’âge, entre liberté
ou surveillance. Et sans garantie de réussite.
Luc Peillon

Pourquoi il faudra


encore se tenir


à carreau après le pic


Même si le Sars-CoV-
a cessé de croître en France,
un déconfinement brutal
serait risqué. Car la population
n’est pas encore immunisée.
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