Les Echos - 07.04.2020

(Axel Boer) #1

Les Echos Mardi 7 avril 2020 IDEES & DEBATS// 11


Le retour aux sources de Star Wars


Le réalisateur Jon Favreau démontre une totale maîtrise de la grammaire
« lucassienne », qu’il saupoudre de western à l’italienne. Photo© Lucasfilm

Anthony Leduc
@aleduc

Au commencement, « Star
Wars », c’était du cinéma.
Un film, puis trois, puis six
et désormais neuf. Il y eut
aussi une série animée :
« The Clone Wars ». Il y aura désormais la
série. Avec « The Mandalorian », Jon
Favreau (déjà vu devant et derrière la
caméra dans « Iron Man » et réalisateur du
remake du « Roi Lion » en prises de vues
réelles) va puiser dans l’univers pléthorique
de la saga pour développer un western
galactique et épuré en 8 épisodes. A la fois
créateur, producteur, réalisateur et scéna-
riste, Favreau livre une vision très person-
nelle du mythe, éloignée des surenchères
visuelles de J. J. Abrams au cinéma.

Chasseur de primes
Dans la chronologie de la saga, l’histoire du
« Mandalorian » s’insère quelques années
après la fin de la trilogie initiale qui avait vu
le Jedi Luke Skywalker et les Rebelles
détruirent l’Etoile de la Mort et vaincre
l’empereur Palpatine et son bras droit Dark
Vador. Aux confins de l’espace, dans une
zone de non-droit, un chasseur de primes
mandalorien (peuple de guerriers en exil)
vit de maigres contrats jusqu’au jour où il
doit, contre une faramineuse récompense,
retrouver et livrer un individu à son com-
manditaire, un suppôt de l’Empire déchu.
La découverte de l’individu et de sa nature


  • The Child, un enfant vert aux grands yeux
    de la race du célèbre maître Yoda – va c ontre


toute attente bouleverser
son univers et l’entraîner
dans une fuite effrénée afin
d’assurer sa survie et celle
de l’Enfant.

Arriva l’Enfant
Dans l’armure d u Mandalo-
rien, Pedro Pascal, déjà vu dans « Game of
Thrones » et « Narcos », prend la tête d’un
casting où se mêlent acteurs familiers du
petit écran (Giancarlo Esposito, l’excellent
Gustavo Frink de « Breaking Bad ») et
vieilles gloires d u cinéma comme Carl Wea-
thers (Appollo Creed dans « Rocky ») mais
aussi l’acteur et réalisateur Werner Herzog
ou encore Nick Nolte, méconnaissable
grimé en mécanicien alien. Toutefois, la
vraie vedette du show est incontestable-
ment le « bébé Yoda », cette marionnette
d’un réalisme saisissant, qui avait failli casser
les Internet lors de la première diffusion de la
série aux Etats-Unis en novembre dernier.
Alternant les plans contemplatifs et les
scènes d’action, « The Mandalorian »
renoue avec l’esprit originel de la Guerre des
Etoiles. Des mondes désertiques aux aliens
aux formes les plus diverses, Favreau
démontre une totale maîtrise de la gram-
maire « lucassienne » qu’il saupoudre de
western à l’italienne. L es décors, grandioses,
ont été créés par ordinateur et projetés en
temps r éel s ur des écrans géants à 270° sur le
plateau de tournage, rendant l’immersion
des acteurs encore plus réaliste et supplan-
tant les fonds verts numériques.
Un dépaysement bienvenu vers une
galaxie lointaine très lointaine...n

SÉRIE
The Mandalorian
par Jon Favreau
Saison 1, 8 épisodes, à partir
du 7 avril sur Disney +
Avec Pedro Pascal
et Nick Nolte

Voyage, voyage en BD


David Barroux
@DavidBarroux

Le pitch de départ est sim-
ple : un bibliothécaire
dépressif soigne son burn-
out en cherchant à remon-
ter la trace d’un chanteur oublié des années
1970 qui a marqué sa jeunesse avant de dis-
paraître. Mais l’histoire du « Chanteur
perdu » se révèle à la fois haletante, surpre-
nante et touchante. D’abord parce que tout
sonne juste dans ce roman graphique q ui se
présente certes comme un récit imaginaire,
mais qui nous laisse deviner, espérer, entre
les bulles, que tout cela est trop beau pour
être faux.
Jean le bibliothécaire n’est-il pas le dou-
ble de Didier Tronchet? Et ce chanteur
mystérieux que personne ne connaît n’a-t-il
pas existé pour de vrai? Tronchet, qui s’est
longtemps amusé en nous faisant rire avec
ses premiers héros (Jean-Claude Tergal ou
Raymond Calbuth) s’amuse cette fois-ci à
nous faire douter et à nous surprendre.
Véritable enquête policière, « Le chanteur
perdu » est une sorte d e road-movie mettant
en scène un looser parti à la recherche d’un
has been. Une pérégrination qui nous fera
passer du « viaduc des suicidés » de Morlaix
à une petite île au large de Madagascar, en
passant par les plages de Berck, la maison d e
Pierre Perret en Seine-et-Marne et l’Indo-

chine coloniale. Jean le
bibliothécaire est sincère
dans sa quête et son périple
est une succession de ren-
contres étonnantes qui
devraient finir par lui per-
mettre de retrouver un
Rémy Bé que tout le monde a oublié mais
dont les airs trottent encore dans sa tête.

Gueules cassées
Didier Tronchet, qui avait déjà ramené une
bande dessinée de ses trois années d’exil
volontaire à Quito, en Equateur, a profité
cette fois d e son long séjour à l’île aux Nattes
avec son fils pour trouver l’inspiration d’un
album qui sonne juste. Et comme toujours,
les coups de crayon de Tronchet dessinent
des gueules cassées et la majorité des bulles
ressemblent à des gros plans, cadrés serrés,
sur des personnages, souvent sans vérita-
bles décors.
De cette quête musicale en forme de
puzzle va naître une amitié entre des anti-
héros et u n grand r écit q ui prouve s’il en é tait
encore besoin que la BD se prête bien à tou-
tes les narrations... et que Tronchet, qui se
décrit à la fois comme un « écriveur », un
« dessineur » e t un « filmeur » un peu acteur,
est décidément un grand auteur. Cadeau
bonus, sur son site, Tronchet permet de télé-
charger « La Chanson fantôme », le roman
que lui a inspiré cette histoire.n

BANDE DESSINÉE
Le Chanteur perdu
de Didier Tronchet,
Editions Dupuis, collection
Aire libre,
168 pages, 23 euros.

LE POINT
DE VUE

de Didier Bréchemier
et Emmanuel Combe

Le transport aérien


à l’heure des choix


P


armi les industries les plus
impactées par la crise du corona-
virus figure le transport aérien
de passagers. Le choc sur la demande est
même inédit dans ce secteur depuis la
Seconde Guerre mondiale : le trafic,
notamment intra-Europe, est quasi-
ment à l’arrêt, avec 98 % des destinations
commerciales limitées. L’enjeu pour les
compagnies est clairement celui de leur
survie : il s’agit de tenir plusieurs mois,
sans aucune source de revenus et en
supportant de forts coûts fixes (loyers
d’avions, personnel, etc.). Le nerf de la
guerre sera donc le cash, la flexibilité et
l’accès à l’endettement. En la matière, il
est frappant de constater qu’en Europe
tous les opérateurs ne sont pas logés à la
même enseigne.
En premier lieu, nous trouvons de
grandes compagnies low cost, solides
financièrement et qui surmonteront la
crise. Tel est le cas en particulier de Rya-
nair et dans une moindre mesure d’easy-
Jet. Ryanair a un taux d’endettement
relativement faible, à hauteur de 60 % de
ses capitaux propres ; la compagnie
irlandaise dispose d’une montagne de
cash, fruit de sa forte rentabilité depuis
trente ans, avec une marge nette com-
prise chaque année entre 12 % et 18 %.
Son modèle social, par ailleurs fort dis-
cutable, lui permet également de flexibi-
liser une partie de ses coûts.
En second lieu, nous trouvons de
grandes compagnies nationales endet-
tées et qui dégagent une faible rentabilité
structurelle, en particulier sur le moyen-
courrier. Tel est le cas notamment d’Air
France, de Lufthansa ou de Norwegian.
Le soutien des Etats pourrait s’avérer
nécessaire en Europe, comme aux Etats-
Unis, pour que ces compagnies puissent
faire face à l’urgence de la situation.

demain autour de 4 à 5 géants, les places
restantes risquent d’être très chères,
Ryanair et easyJet étant assurés d’en
être. De nouvelles consolidations sont
donc à envisager.
Troisième défi : adopter clairement
un modèle « middle cost » sur le moyen-
courrier. Seul le modèle low cost, qui
conjugue haute productivité et flexibi-
lité, est en mesure d’opérer des vols
moyen-courriers de manière durable-
ment rentable, avec des coûts au siège-
kilomètre inférieurs de 30 à 60 % de ceux
des compagnies historiques. Du côté des
recettes, les low cost accordent égale-
ment une place centrale aux options
payantes, qui représentent plus de 20 %
de leurs revenus. Dans cette nécessaire
mutation, seul IAG a pris pour l’instant
de manière offensive le chemin du
modèle middle cost, au travers de sa
filiale Vueling, tout en poursuivant la
montée en gamme de son long-courrier,
avec British Airways. Lufthansa et Air
France ont également fait un pas vers le
low cost, avec leurs filiales Eurowings et
Transavia. Dans le cas d’Air France,
Transavia ne dispose toutefois pas de la
taille critique et de l’agilité nécessaire
pour ouvrir des lignes ou des bases dans
toute l’Europe.
A l’heure où plusieurs compagnies
historiques vont bénéficier d’aides publi-
ques, espérons qu’elles mettent à profit
cette opportunité pour accélérer leur
mutation, au risque sinon d’ê tre margi-
nalisées demain en Europe.

Didier Bréchemier est senior partner
chez Roland Berger.
Emmanuel Combe est professeur
à Skema Business School,
vice-président de l’Autorité
de la concurrence.

En dernier lieu, de nombreuses peti-
tes compagnies ne pourront survivre à
la crise, faute de liquidités ou d’un sou-
tien public.
La sortie de crise va donc se traduire
par un fort mouvement de restructura-
ti on en Europe, au travers de faillites et
de fusions-acquisitions. Elle peut être
aussi l’occasion pour les grandes compa-
gnies historiques d’accélérer leur muta-
tion, en relevant trois défis.

Premier défi : devenir de véritables
acteurs pan-européens. Ryanair et easy-
Jet quadrillent le ciel en Europe, avec de
multiples bases, y compris au départ de
villes régionales. On n’en dénombre pas
moins de 82 pour Ryanair et 30 pour
easyJet. Le groupe IAG, au travers d’Ibe-
ria, de Vueling et d’Air Europa, a déployé
ses ailes dans le sud de l’Europe, avec
notamment des bases importantes à
Barcelone et Madrid. Lufthansa a com-
mencé à prendre le mouvement, en
rachetant des acteurs hors d’Allemagne,
à l’image de Brussels Airlines ou d’Aus-
trian.
Deuxième d éfi : atteindre la taille criti-
que sur le moyen-courrier. A ce jour,
seul Ryanair a atteint cette taille critique,
en transportant 150 millions de passa-
gers et en opérant 434 appareils. Si l’on
retient l’idée que le marché se stabilisera

La sortie de crise va
se traduire par un fort
mouvement
de restructuration
en Europe, au travers
de faillites et de fusions-
acquisitions.

LE POINT
DE VUE

de Patrick Joubert


L’ IA au service


du déconfinement


F


ace à une pandémie inédite,
l’intelligence a rtificielle (IA) peut
nous permettre d’inventer les
scénarios de déconfinement les plus
efficaces. L’initiative Covid-IA, portée
bénévolement par des médecins, des
chercheurs et des experts en IA, pro-
pose de participer à la modélisation des
différentes sorties de crise.
Nous devons inventer de toutes piè-
ces le modèle de déconfinement qui
caractérisera la sortie de crise. L’intelli-
gence artificielle peut nous aider à rele-
ver ce défi. Nous pouvons disposer
actuellement de trois types de données :
les données démographiques, les don-
nées relatives aux personnes malades
ou aux patients porteurs ou suspectés
(comme le propose la solution de télé-
suivi à domicile Covidom développée
par l’AP-HP et Nouveal e-santé) et les
données de localisation qui peuvent
nous être fournies – de manière agré-
gée, donc anonyme – par les opérateurs
de téléphonie mobile. Les données de
localisation nous permettraient de
savoir où les personnes se trouvaient la
semaine avant le confinement et quels
contacts éventuels elles ont pu avoir
avec des sujets vecteurs du virus.
Grâce à ces données, que l’on peut
qualifier d’« historiques », nous pou-
vons alimenter et entraîner des algo-
rithmes de machine learning qui par-
viendront à créer d es modèles stables et
performants. Ces modèles nous expli-
queront comment la pandémie s’est
propagée et comment elle évoluera en
fonction des plans de déconfinement.
Si nous enrichissons les modèles
créés par les algorithmes de machine
learning avec des informations de très
haute qualité, directement fournies par
les citoyens en mode « opt-in », c’est-à-

prises et constituer d es équipes c ompo-
sées uniquement de personnes séropo-
sitives. On pense en effet que les sujets
qui ont rencontré le virus développent
une immunité antivirale qui pourrait
les protéger d’une réinfection. A
l’inverse, les salariés non immunisés
devront respecter des précautions par-
ticulières et bénéficier en priorité de
protections individuelles.
L’idée est d’organiser le retour au tra-
vail des Français de manière différen-
ciée et de remettre la vie en route avec le
Covid-19, qui, quoi qu’il arrive, est pré-
sent et restera présent pendant de nom-
breux mois encore. Tant qu’il n’y a pas
de vaccin ni de traitement. L’objectif est
de déconfiner de manière intelligente,
en protégeant les plus fragiles et en évi-
tant la recirculation du virus, ce qui
réexposerait notre système de soins à
une nouvelle surcharge. Surtout, cela
éviterait de remettre les Français en
confinement.
L’IA permet de raccourcir le temps
nécessaire à l’évaluation du pourcen-
tage de la population qui a été confron-
tée au virus. On estime actuellement
que ce pourcentage est compris entre 5
et 10 %. C’est beaucoup trop imprécis et
la marge d’erreur est trop importante.
Aujourd’hui, n ous nous heurtons à l a
question suivante : peut-on accéder à
toutes ces données? Nous sommes en
état d’urgence sanitaire. Qu’attendons-
nous pour libérer ces données de
manière anonyme pour pouvoir établir
une modélisation de la pandémie et s or-
tir du confinement de manière opti-
male à tous points de vue?

Patrick Joubert est CEO
de Ponicode et membre fondateur
de Covid-IA.

dire de manière volontaire, via une
application mobile, nous pourrons réa-
liser des prédictions encore plus fines.
Les questions consisteraient à savoir
quelles personnes ont été malades, où
elles se trouvent actuellement et quelles
sont les personnes autour d’elles. Les
réponses à ces questions permettraient
de dire quelles personnes peuvent, ou
non, sortir du confinement.

Prenons l’exemple d’un foyer com-
posé d’un couple et de deux enfants. Si
une seule personne du foyer se soumet
à un test sérologique, on peut savoir si
elle a été en contact avec le Covid-19. On
peut supposer que l’ensemble des
membres du foyer a été exposé. La tech-
nologie nous permet de faire des déduc-
tions avec une grande précision. Dans
tous les cas, les hypothèses de transmis-
sion sont indissociables d’une campa-
gne de tests massive (virologiques et/ou
sérologiques selon les situations) qu’il
faudrait cibler au mieux.
Dans un contexte de pénurie de tests
sérologiques, il ne serait donc pas
nécessaire de tester l’ensemble de la
population française. Grâce à cette con-
naissance ultrafine, nous pourrions
bâtir une stratégie de déconfinement
non pas au niveau d’une commune,
mais au niveau d’une personne.
Nous pourrions appliquer la
méthode aux collaborateurs des entre-

L’ IA permet de
raccourcir le temps
nécessaire à l’évaluation
du pourcentage de la
population qui a été
confrontée au virus.

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désormais à distance
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Dessin Mailys Glaize


pour « Les


Echos »

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