Les Echos - 07.04.2020

(Axel Boer) #1

20 // ENTREPRISES Mardi 7 avril 2020 Les Echos


CORONAVIRUS


Avec le confinement, les études
de notaires ont dû fermer leurs portes
et la signature des actes ne peut se faire
qu’à distance, par voie électronique.
Photo Allili Mourad/Sipa

Elsa Dicharry
@dicharry_e


La crise du Covid-19 et la mise en
place, le 17 mars, du confinement
en France, a donné un sérieux coup
de frein aux ventes immobilières.
Il est devenu impossible pour
un vendeur et un acheteur de se
retrouver physiquement auprès
de leurs notaires afin de conclure
une transaction. La signature
d’un acte était néanmoins encore
réalisable dans l’ancien. « Nous
adressions aux personnes, qui
ne pouvaient pas se déplacer, une
procuration, qu’elles nous retour-
naient par courrier », explique Jean-
François Humbert. « Ce système
n’était cependant pas totalement
satisfaisant », reconnaît-il.


Un décret favorise la signature


à distance des actes notariés


avons conscience que tous les actes ne
pourront pas être signés de cette
manière-là », poursuit-elle. Un peu
plus de 40 % des offices notariaux
seulement sont équipés d’installa-
tions de visioconférence. Le CSN
appelle donc à « une mutualisation
des équipements existants », afin de
faciliter ces signatures à distance, ce
que soutient la FPI.
Quoi qu’il en soit, la parution de ce
décret ne va pas débloquer d’un
coup de baguette magique un mar-
ché de l’immobilier mis à mal par la
crise sanitaire. Aujourd’hui, s’agis-
sant des ventes dont le processus
était engagé avant le confinement,
« 80 % des signatures sont reportées
d’un commun accord entre l’acheteur
et le vendeur du fait de l’impossibilité
qu’ils ont d e déménager », note l e pré-
sident du CSN.
Quant aux nouvelles transac-
tions, « il n’y en a pas, les agents
immobiliers ne pouvant pas organi-
ser de visites », poursuit-il. « Du côté
des nouvelles réservations de loge-
ments neufs, c ’est l’encéphalogramme
plat ou pas loin, note Alexandra
François-Cuxac. Nos bureaux de
vente sont fermés. Et nous sommes
incapables de donner à nos clients des
dates de livraison. » Dans ce contexte,
chacun ne peut que reporter son
projet immobilier.n

le biais d’outils sécurisés et cryptés de
visioconférence. La signature électro-
nique des parties se fait au niveau de
certification le plus élevé d éfini par l es
règlements européens ».

« Un peu d’optimisme »
« Cette simplification était fortement
attendue par l’ensemble des acteurs
de l’immobilier et nous avons rapide-
ment apporté une solution pour que
le secteur puisse poursuivre son acti-
vité », s’est félicité le ministre du
Logement, Julien Denormandie,
dans un communiqué commun
publié avec la garde des Sceaux. « Ce
changement permet également de
rassurer les personnes qui étaient
déjà engagées dans un processus de
vente avant la mise e n place d es mesu-
res de confinement », a-t-il ajouté.
« Ce décret constitue une étape
décisive pour le maintien de l’activité
économique dans l’immobilier, un
combat impérieux que la Fnaim
porte depuis le début de cette crise
sans précédent », a réagi son prési-
dent, Jean-Marc Torrollion. Dans
l’immobilier neuf, « aucune signa-
ture d’acte n’était possible » depuis le
17 mars, c onfirme la présidente de la
Fédération des promoteurs immo-
biliers (FPI), Alexandra François-
Cuxac. « Cette nouvelle nous donne
un peu d’optimisme, même si nous

En outre, certains actes étaient
bloqués pour des raisons juridi-
ques. « Les ventes d’appartements en
cours de construction ne peuvent pas
se conclure via une procuration puis-
qu’il faut une comparution devant le
notaire. Pareil pour les prêts avec
constitution d’hypothèque et pour les
donations », souligne le patron du
Conseil supérieur du notariat (CSN).
Un décret daté du 3 avril et paru
samedi au « Journal officiel », vient
faire tomber ces barrières. Il stipule
que « jusqu’à l’expiration d’un délai
d’un mois à compter de la date de
cessation de l’état d’urgence sanitaire
[...], le notaire instrumentaire peut,
par dérogation aux dispositions de
l’article 20 du décret du 26 novembre
1971 susvisé, établir un acte notarié
sur support électronique lorsqu’une
ou toutes les parties ou toute autre
personne concourant à l’acte ne sont
ni présentes ni représentées ». Et pré-
cise : « Chacun des notaires recueille
le consentement et la signature de la
partie ou de la personne concourant à
l’acte puis y appose sa propre signa-
ture. L’acte est parfait lorsque le
notaire instrumentaire y appose sa
signature électronique sécurisée. »
Pour Jean-François Humbert,
« grâce à ce décret, la comparution
n’est plus seulement physique mais
peut se faire par vidéo interposée, par

Le texte, publié samedi au
« Journal officiel », permet
d’établir un acte par voie
électronique et de manière
sécurisée, sans que les
parties concernées ne soient
physiquement présentes
chez le notaire. Il favorise les
transactions immobilières
dans l’ancien et rend possi-
bles les ventes dans le neuf,
jusqu’à présent bloquées par
des verrous juridiques.


que » : tous ceux qui alimentent
en minerai et matières premiè-
res diverses les usines ne pou-
vant pas s’arrêter du jour au
lendemain : les verreries, l’élec-
trolyse dans les vallées alpines,
la coulée continue des sites
sidérurgiques, etc. « Le fret a été
déclaré prioritaire par le gouver-
nement, mais notre plan de mar-
che n’est pas issu d’un quota
de trains édicté par le ministère
des Transports, il vient de la
demande des clients », poursuit
le responsable. Le dispositif de
gestion de crise opérationnelle
de la SNCF ne ressemble ici à
rien de connu : « D’habitude, en
cas de crise, les premiers trains
prioritaires et très suivis sont
ceux transportant des hydrocar-
bures (essence, kérosène, GPL...),
mais aujourd’hui, le besoin s’est
évaporé », témoigne Jérôme
Leborgne.

Situation financière
très tendue
Pour pouvoir faire circuler les
trains de fret, il a fallu prendre
toute une série de mesures
exceptionnelles : désinfection
régulière des cabines de loco-
motives, suppressions des habi-
tuels trains de nuit pour que les
cheminots évitent de dormir
dans des foyers ou hôtels en
bout de ligne... une dimension
psychologique importante. Sur
le plan pratique, Fret SNCF
cumule son propre absen-
téisme (garde d’enfants, salariés
à risque, chômage partiel...)
avec celui de SNCF Réseau, ce
qui complique les opérations
sur les plateformes d’aiguillage,
comme à Saint-Pierre-des-
Corps, près de Tours.
Six trains sur dix, cela peut
sembler beaucoup sur le papier
dans une optique d’intérêt géné-
ral, mais cela reste très insuffi-
sant pour une société structu-
rellement déficitaire e t à
présent menacée de faillite.
Depuis le 1er janvier, l’activité fret
de l’opérateur national a été
transférée dans une nouvelle
filiale au statut de société ano-
nyme (SA), dotée de 170 millions
d’euros de fonds propres en
capital, tandis que sa dette histo-
rique (5,2 milliards) a été trans-
férée à la maison mère.
La commission de Bruxelles
ne s’est pas encore prononcée
sur cette filialisation « au for-
ceps », mais une énième recapi-
talisation est désormais prohi-
bée par principe, Fret SNCF
évoluant dans un univers con-
currentiel en France. Et dans
l’immédiat, le risque que les per-
tes dépassent ses fonds propres
n’est pas à écarter.n

Denis Fainsilber
[email protected]

Du chlore pour les sites produi-
sant l’eau potable, des céréales
pour les usines fabriquant des
pâtes à échelle industrielle, des
caisses mobiles remplies de
produits de grande consomma-
tion, ou encore des amidons
indispensables aux médica-
ments comme le paracétamol :
en ces temps particulièrement
agités pour l’économie fran-
çaise, la SNCF parvient encore à
faire rouler presque 60 % des
trains de fret qui étaient inscrits
à son programme initial.
Soit 400 convois qui circulent
quotidiennement, sur des voies
largement dégagées et libres de
tous travaux nocturnes. A com-
parer avec les 40 TGV alignés
chaque jour dans la France con-
finée, contre 700 habituelle-
ment! Du jamais-vu dans l’his-
toire des cheminots, tant la part
du fret avait tendance à se
réduire à la portion congrue au
profit du roi-TGV. Sinon, une
revanche par rapport aux der-
nières grèves de 2018 puis 2019,
quand la direction de l’entre-
prise devait arbitrer en faveur
de ses trains grandes lignes, au
détriment des marchandises.

La part de l’alimentation
en hausse
« Nous assurons une mission
d’intérêt général, qui revient à
faire en sorte que l’économie con-
tinue à fonctionner, déclare
Jérôme Leborgne, directeur
général exécutif de Fret SNCF.
Actuellement, nous avons un
taux de réalisation de 85 à 90 %
des trains commandés, et si un
train ne peut pas rouler un jour, il
circule le lendemain. » Si des sec-
teurs entiers ont considérable-
ment réduit leur demande de
transport depuis le mois der-
nier, comme l’automobile, le
BTP ou la sidérurgie, d’autres
types de marchandises s ont t rès
demandées et très attendues,
comme les céréales, le sucre, les
produits chimiques, jusqu’au
soufre chaud incorporé aux aci-
des aminés servant à l’alimenta-
tion des poulets.
Autres types de convois fonc-
tionnant en flux tendus, dits
« trains de priorité économi-

La SNCF fait rouler un
peu moins de 60 % de ses
convois de marchandises
prévus, en privilégiant
les trains dits de « conti-
nuité industrielle ». Mais
l’équation économique
de cette activité reste
plus fragile que jamais.

Le trafic de fret


de la SNCF résiste


dans la tempête


du trafic normal, « nous ne pour-
rons pas atteindre nos objectifs de
158 millions de passagers fixés pour
2020 », a-t-il reconnu lors d’une
conférence de presse téléphoni-
que, lundi. Bien malin qui pourrait
« faire des pronostics à six mois, sauf
en lisant dans le marc de café », a-t-il
complété. Pour l’instant, « nous
naviguons à vue », soupire-t-il.

La vente d’Arriva reportée
Les charges restent lourdes, puis-
que les deux tiers des trains passa-
gers sont maintenus pour assurer
un « service vital ». Des discussions
sont en cours avec le gouverne-
ment afin de réfléchir à la manière
de compenser les pertes financiè-
res liées à la crise.
La manœuvre sera d’autant plus
complexe que la Deutsche Bahn
comptait sur l’introduction

en Bourse d’Arriva pour éponger
une partie de ses 25 milliards de
dette. Déjà plombée avant la crise,
la vente de sa filiale de transport
public b asée à Londres ne peut plus
être programmée « de manière réa-
liste » cette année, a reconnu
Richard Lutz.

Espoir pour le fret
Le patron des cheminots alle-
mands veut toutefois voir le verre à
moitié plein. A l’instar de l’entité
fret de la SNCF, DB Cargo, la bran-
che fret de la Deutsche Bahn
« transporte tout ce que les clients
veulent transporter ». DB a notam-
ment affrété un train plein de
masques depuis la Chine et un
autre de pâtes depuis Naples.
Malgré la mise en arrêt de l’indus-
trie automobile, grand client de
DB Cargo, le trafic fret se main-

tient à 70 % de la normale. Et ce
avec d’autant plus de régularité
qu’il y a moins de trains régionaux
sur les rails.
Une partie du trafic routier de
marchandise, bloqué aux frontiè-
res, se déplace vers le rail. « Nous
voyons que nous pouvons gagner
de nouveaux clients », constate
Richard Lutz, en espérant que les
nouvelles « chaînes de livraison qui
se mettent en place en ce moment
seront maintenues » par la suite. Il
voit notamment d’un bon œil les
synergies créées pendant la crise
entre les branches logistique, DB
Schenker, et fret, DB Cargo. Une
revanche, pour le fret, traité il y a
quelque mois d’« enfant malade de
la DB » par le ministre des Trans-
ports, Andreas Scheuer.
L’entreprise poursuit dans la
tempête son plan pour « un rail

solide », financé à hauteur de
58,2 milliards d’euros sur dix ans
par le gouvernement dans le cadre
de son plan climat. Contrairement
à la SNCF, la DB n’a pas totalement
suspendu ses 300 chantiers en
cours. « Nous voulons construire
autant que possible malgré le coro-
navirus », indique Richard Lutz.
Via des « salons de l’emploi »
virtuels et des entretiens d’embau-
ches en ligne, 25.000 personnes
pourraient être embauchées en
2020, soit un tiers des recrute-
ments prévus par le plan « rail
solide ». La crise a donné un coup
de fouet à la numérisation de
l’entreprise, constate Richard Lutz.
Et pas seulement parce que le
patron gère son entreprise en qua-
rantaine depuis qu’il a été profes-
sionnellement en contact avec une
personne infectée.n

La Deutsche Bahn veut voir la crise comme une chance


Nathalie Steiwer
— Correspondante à Berlin


La Deutsche Bahn est mobilisée.
Avec moins de passagers mais de
nouveaux clients pour le fret, le
patron des chemins de fers alle-
mands, Richard Lutz, est bien
décidé à ne pas « appuyer sur le
frein » des réformes en cours.
Bien sûr, avec un volume de pas-
sager représentant entre 10 et 15 %


Malgré des trains qui
roulent avec 10 % de leurs
passagers habituels, le
patron du groupe allemand,
Richard Lutz, voit des
raisons d’espérer, notam-
ment grâce au succès du fret.
En attendant, le report de
la vente d’Arriva manquera
dans les caisses de la DB.


Il a dit


« Nous voyons
que nous pouvons
gagner
de nouveaux
clients. »
RICHARD LUTZ
PDG de la Deutsche Bahn
Photo Tobias Schwarz/AFP
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