Les Echos - 07.04.2020

(Axel Boer) #1

30 // FINANCE & MARCHES Mardi 7 avril 2020 Les Echos


CORONAVIRUS


Les Etats veulent rendre les fusions


transfrontières plus difficiles


Anne Drif
@ANNDRIF


Nouvelle donne dans le M&A trans-
frontière. Sous l’impact de la crise du
coronavirus et de la chute des cours,
le nombre de transactions dans le
monde s’est effondré à 569 en mars
(pour 46,6 milliards de dollars), son
niveau de la crise financière de 2008,
selon des chiffres publiés lundi par
Refinitiv. Une division de moitié par
rapport au rythme mensuel qui pré-
valait jusqu’en janvier. Sur le sol
européen, 124 acquisitions d’inves-
tisseurs étrangers ont été lancées,
point le plus bas là aussi depuis 2010.
Et les Européens n’ont jamais été
aussi frileux pour lancer des opéra-
tions à l’international (76 deals, plus
bas historique).
A la grande différence du cata-
clysme financier d’il y a douze ans,
les Etats entendent cette fois dicter
leurs règles du jeu pour protéger
leurs entreprises stratégiques d’une
vague d’investisseurs attirée par la
chute des prix. « Celle-ci rend les
sociétés cotées plus vulnérables
notamment sous la pression d’activis-
tes déjà présents au capital d’entrepri-
ses enclins à vouloir compenser les
moins-values par des stratégies plus
agressives », note Kyril Courboin,
directeur général de JP Morgan
France. « Nous devons éviter la situa-
tion post-crise de 2008, où les pays
européens n’ont pas eu d’autres choix
que de s’ouvrir aux capitaux chinois.
Tous les investisseurs qui posent ques-
tion ou jugés hostiles sur des actifs cri-
tiques sont visés », explique un spé-
cialiste européen de ces dossiers.


Souveraineté économique
L’exécutif a sauté le pas le 31 mars :
Bercy a rendu u n avis négatif à l’amé-
ricain Teledyne pour l’achat du fran-
çais Photonis, spécialisée dans la
photodétection. Une décision iné-
dite en France. Et qui vise un allié his-
torique. L’enjeu sanitaire a exacerbé
la tension politique. L’opposition
s’est ainsi émue de la fermeture de


l’usine bretonne de masques de Spe-
rian, dont l’actionnaire américain
Honeywell avait délocalisé fin 2018
la production en Tunisie. En Alle-
magne, la tentative d’achat par les
Etats-Unis du fabricant de vac-
cins CureVac a fait figure d’électro-
choc. L’approche de Donald Trump
sur la société allemande en pointe
sur le Covid-19 avait forcé la Com-
mission européenne à sortir de sa
neutralité sur ces enjeux de sécurité
nationale. « Lorsque les actifs de nos
industries sont mis à rude épreuve, il
nous faut protéger notre sécurité et
souveraineté économique. Le droit de
l’Union et les législations des Etats
membres prévoient les outils dont
nous avons besoin pour faire face à
cette situation, et j’invite instamment
les Etats membres à en faire pleine-
ment usage », a déclaré sa présidente
Ursula von der Leyen.
Luigi de Vecchi, responsable de la
banque d’investissement en Europe
continentale chez Citigroup, craint
un repli national. « Nous devons pas-
ser à une autre étape, dit-il. Nous
devons mutualiser nos efforts et envi-
sager la création d’un fonds européen
à même de protéger nos entreprises
stratégiques pour créer des cham-
pions régionaux. Nous continuerons
sinon de nous faire la guerre entre
petits pays quand en Chine et aux
Etats-Unis, tous les secteurs ont pris
une dimension mondiale. » Pour
Jean-Louis Girodolle, directeur
général de Lazard en France, néan-
moins, « tout ne procède pas seule-
ment des gouvernements pour con-
trer les éventuelles approches
opportunistes ». Les actionnaires
n’entendent pas laisser racheter des
entreprises aussi sous-valorisées.
« Les mesures de défense ne sont plus
nécessairement taboues chez tous les
investisseurs, dit-il. Certains sont
prêts à accepter des restrictions au
libre jeu des offres à condition que ce
soit pour une période donnée. C’est ce
que l’on observe avec le retour de
“right plans” aux Etats-Unis qui sont
comparables aux “bons Breton”
[bons de souscription à faible prix,
NDLR] lesquels pourraient trouver
une nouvelle actualité. »n

lLes fusions-acquisitions transfron-


tières dans le monde sont retombées


au plus bas niveau depuis


la crise financière.


lContrairement à 2008, les Etats


entendent durcir leurs contrôles


sur les entreprises critiques


fragilisées par la chute des cours.


FUSIONS-
ACQUISITIONS


Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud


Le gérant star de Natixis IM est de
nouveau montré du doigt. Bruno
Crastes, le patron charismatique de
H2O Asset Management, se
retrouve une fois de plus sous le feu
des critiques pour son style de ges-
tion personnel, qui laisse peu de
place au contrôle des risques. En
juin dernier, il avait déjà été épinglé
pour avoir amassé dans ses
fonds des actifs illiquides liés
au financier allemand controversé
Lars Windhorst. La note de son
fonds Allegro avait alors été sus-


pendue par Morningstar et 8 mil-
liards d’euros de capitaux avaient
été retirés. Cette fois, l’agence amé-
ricaine spécialisée d ans l’évaluation
des fonds d’investissement a
dégradé la note d’Allegro, le seul
fonds de H2O qu’elle suit, à « néga-
tive », conseillant ainsi à ses clients
de rester à l’écart. « Le rapport de
force chez H2O est trop fortement
biaisé en faveur des gérants de porte-
feuilles », dénonce Morningstar. Et
de poursuivre : le tandem formé
par le patron Bruno Crastes et le
directeur des investissements, Vin-
cent Chailley, impose ses vues f ace à
l’équipe de contrôle des risques, qui
« manque d’autorité et d’expé-
rience ».

En chute libre
Une liberté de gestion revendiquée
par les gérants de H2O, aux résul-
tats impressionnants lorsque tout
va bien, mais aux conséquences
brutales lorsque la machine

s’enraye. Plusieurs fonds de la
gamme H2O (Vivace, Multistrate-
gies, Multiequities) ont ainsi subi
des chutes de près de 80 % depuis le
début de l’année. Allegro s’en est un
peu mieux sorti avec une perte de
70 % tandis que Multibonds, le
fonds phare de H2O, a enregistré
une baisse de 55 %.
De quoi inquiéter les déposants
qui ont confié une partie de leur
patrimoine à H2O. Sur les forums
spécialisés, les messages de parti-
culiers désabusés se sont multipliés
ces dernières semaines. Pour
autant, les flux ne montrent pas de
panique de la part des épargnants.
H2O a subi près de 700 millions
d’euros de sorties en mars sur ses
fonds commercialisés auprès des
particuliers, selon les données de
Morningstar. Mais grâce aux
entrées enregistrées en janvier et
février, la société affichait toujours
début avril une collecte positive. Il
faut dire que les performances de

H2O ont longtemps fait rêver.
Entre 2012 et 2019, Multibonds a
affiché cinq années de gains supé-
rieurs à 30 % et les trois autres avec
des hausses de plus de 10 %. « Jus-
que-là H2O donnait l’impression de
marcher sur l’eau », souligne Phi-
lippe Maupas, fondateur d u cabinet
de conseil Alpha & K. Des perfor-
mances extrêmes, à la hausse
comme à la baisse, qui s’expliquent
par des paris massifs, permis par le
recours à l’endettement, et peu
diversifiés, estime Quantalys dans
une récente note. Et qui a pour
corollaire une volatilité très élevée
de ces fonds, bien supérieure à
l’objectif ciblé dans les documents
réglementaires. Plusieurs fonds ont
connu en une session des chutes de
plus d e 20 %, ou d es rebonds d e plus
de 10 %. Une situation qui reste peu
courante dans le secteur malgré les
conditions de marché très difficiles
enregistrées en mars. Face aux criti-
ques, H2O reste droit dans ses bot-

tes. Dans une lettre envoyée le
25 mars et consultée par « Les
Echos », la société évoque « des arti-
cles plus ou moins à charge sur notre
gestion » et appelle ses clients à la
contacter directement « pour être à
la source de l’information et ne pas
vous laisser polluer par le bruit ».
Dans une lettre précédente, H2O
évoquait la capacité de rebond de
son fonds Multibonds pour rassu-
rer ses clients. Mais cette fois-ci, le
rebond devra être particulièrement
soutenu pour c ompenser les p ertes.
Des hausses de 126 % pour Multi-
bonds, de 150 % pour Allegro et jus-
qu’à 370 % pour Multistratégies,
seront nécessaires pour retrouver
les valorisations d’avant la crise,
selon les calculs de Philippe Mau-
pas. Ce nouvel épisode risque égale-
ment de peser sur la relation avec
Natixis, la maison mère de H2O. La
filiale cotée du groupe BPCE avait
annoncé en fin d’année dernière un
vaste plan de réorganisation de sa

gestion des risques. Or, « la gestion
des risques n’est pas la seule à man-
quer d ’autorité » c hez H2O,
dénonce Morningstar. « La même
chose peut être dite pour Natixis, qui
peine encore à offrir un contrepoids
effectif aux gérants de portefeuille à
la recherche de risques. » U n audit d e
H2O, annoncé depuis la fin d’année
dernière, est ainsi toujours en
cours.
Les liens avec le groupe bancaire
sont mis à rude épreuve alors que
les déboires de H2O, traditionnelle
poule aux œufs d’or, mettent à
mal le cours de Bourse de Natixis.
Les profits r eversés par H 2O, princi-
palement constitués de commis-
sions de surperformance, o nt large-
ment soutenu les résultats de
gestion de la banque : 186 millions
d’euros en 2019. Avec les chutes his-
toriques enregistrées sur ses fonds
depuis le début de l’année, la récolte
2020 de H2O s’annonce déjà parti-
culièrement faible.n

La gestion des risques de nouveau épinglée chez H2O, l’affilié star de Natixis


La note du fonds Allegro
de H2O a été dégradée.
Morningstar critique une
gestion des risques dé-
faillante au sein de la société
et souligne les difficultés
de sa maison mère, Natixis,
à remettre de l’ordre.


ports, ou le traitement des don-
nées. Sont aussi filtrés les
investisseurs sous contrôle direct
ou indirect d’une entité étatique
tierce, même dans l es s ecteurs n on
critiques.

Effets rétroactifs
Le 31 mars, l’Espagne est allée un
cran plus loin : un investisseur
résident européen, détenu à plus
de 25 % par un Etat étranger, sera
contrôlé au-delà de toute acquisi-
tion de plus de... 1 million d’euros.
Dans les pas de l’Etat français, qui
s’est dit prêt à nationaliser des
entreprises critiques ciblées par
« des puissances étrangères », le
ministre italien de l’Industrie a dit
renforcer son système de « golden
share » (action qui donne un droit
de veto sur le capital). De son côté,

moitié de l’Europe dispose de méca-
nismes de seconde génération, les
plus aboutis. L’autre de dispositifs
restreints à un nombre de secteurs
limités tels la défense ou ne sont pas
adossés à une procédure définie »,
explique Joachim Pohl, analyste
de ces politiques à l’OCDE. Au
Pays-Bas, ces contrôles se limitent
au gaz et à l’électricité. La Belgique
a un seul mécanisme de « golden
share ». En Autriche, une seule
transaction a rempli les critères de
contrôle de l’Etat depuis... 2012. Le
Portugal a fixé des délais de con-
trôle très brefs sans y dédier une
autorité. Aucun cas de contrôle n’y
a été recensé. « Nous nous atten-
dons à ce que certains Etats intro-
duisent des mécanismes ou les ren-
forcent suite à la crise », dit ainsi
Joachim Pohl. —A. D.

Course contre la montre en Europe pour filtrer


les acquéreurs étrangers


Les Etats européens n’ont pas
attendu l’appel de la Commis-
sion européenne à renforcer
les contrôles sur les acquéreurs
étrangers face à la débandade
boursière. Depuis mi-mars, l’Espa-
gne par exemple a renforcé à deux
reprises son dispositif. Désormais,
les investisseurs non européens
sont soumis à une autorisation
préalable pour toute acquisition
de plus de 10 % du capital d’une
société dans les secteurs stratégi-
ques, comme l’énergie, les trans-

Certains Etats comme
l’Espagne ont devancé
l’appel de la Commission
européenne à renforcer
leurs contrôles sur le
capital de leurs entreprises
critiques.

l’Allemagne a mis en place fin
mars un Fonds de stabilisation
économique (FSE) qui pourra
« participer à la recapitalisation des
entreprises » pour un volume de
100 milliards d’euros. A ce jour,
seuls quatorze Etats européens

ont un dispositif de contrôle pro-
prement dit. Aussi, la Commission
a-t-elle invité les autres à mettre en
place des filtrages « complets » et,
dans l’intervalle, à envisager « tou-
tes les solutions possibles ». « La

A ce jour,
seuls quatorze Etats
européens ont un
dispositif de contrôle
proprement dit.
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