Libération - 25.03.2020

(Steven Felgate) #1

10 u Libération Mercredi^25 Mars 2020


«O


ui, je suis à la mairie.» A l’autre
bout du fil, on devine Emma-
nuel Grégoire, le premier adjoint
d’Anne Hidalgo, en train de grignoter. «Je
mange beaucoup quand je travaille beau-
coup», explique celui qui pilotait la campagne
de la maire sortante de Paris jusqu’au premier
tour des élections municipales. Il y a deux
­semaines, on l’appelait pour parler alliances
électorales. Ce n’est plus un sujet : «On met
ça entre ­parenthèses au titre de l’intérêt
­supérieur du pays.» Qu’ils soient sortants en
bonne voie de réélection – les municipales
sont pour l’instant suspendues jusqu’à fin
juin – ou qu’ils aient eu l’intention de passer
la main, les maires se retrouvent en première
ligne face à la crise sanitaire du coronavirus.
Au plus près du terrain pour relayer les consi-
gnes sanitaires et sécuritaires adoptées par

l’Etat. C’est d’autant plus vrai dans les grandes
villes et les métropoles, où l’on compte de
nombreux cas. «La tâche est immense, on a
une organisation militaire», confirme Emma-
nuel Grégoire.

Couvre-feu


Dans les murs de l’hôtel de ville de Paris, ils
sont une centaine chaque jour, contre mille
en temps normal. La maire, sur place, fait un
point quotidien sur la situation avec la direc-
tion des services, puis une conférence télé-
phonique avec les adjoints et les maires d’ar-
rondissement. L’enjeu, c’est d’assurer les
missions essentielles de la ville, comme
la collecte des déchets, avec le minimum
d’agents. Mais aussi d’apporter des réponses
spécifiques à la crise sanitaire : informer les
Parisiens sur le confinement et l’accompa-
gnement mis en place, distribuer les stocks
de masques de la mairie à ceux qui en ont le
plus besoin, ouvrir des centres de santé pour

décharger l’hôpital, héberger les sans-abri
dans des gymnases de la ville, proposer des
solutions de garde d’enfants au personnel soi-
gnant, trouver des lieux pour accueillir les
premiers malades guéris qui ne peuvent pas
encore rentrer chez eux... «On est sur le pont
non-stop. L’Etat nous répond, mais faiblement
par rapport à ce qu’il devrait. On a parfois des
injonctions contradictoires donc on prend des
décisions tout seuls», raconte Anne Souyris,
adjointe à la santé. Pendant la campagne,
l’élue écolo, candidate sur les listes du chef de
file EE-LV, David Belliard, tapait de temps à
autre sur le camp Hidalgo. Aujourd’hui, tout
ça semble lointain. «Depuis le mois de janvier
[et l’annonce de la candidature de Hidalgo],
on a toujours bien travaillé ensemble, même
si on n’était pas dans la même bande», relati-
vise l’adjointe. Pendant trois mois, elle était
sur deux fronts : les élections d’un côté, son
poste d’élue de l’autre. «C’était l’enfer, j’ai été
soulagée de pouvoir mettre la campagne entre
parenthèses.»
A Grenoble, dès le soir du premier tour, le

maire écologiste, Eric Piolle, candidat à sa
succession, a demandé à ses colistiers de dis-
tribuer aux plus précaires des repas préparés
dans la cuisine centrale de la ville, qui ali-
mente normalement les cantines. L’édile a
également décidé d’ouvrir une garderie pour
les enfants des soignants, des forces de l’ordre
et des pompiers, et de lancer une plateforme
d’entraide entre ­citoyens.
Dans certaines villes, des maires utilisent
aussi le versant coercitif de leurs attributions.
Pour limiter les déplacements et imposer la
«distanciation sociale» à leurs administrés ré-
calcitrants, de nombreux couvre-feux ont été
instaurés. Le maire de Nice, Christian Estrosi,
a été le premier à prendre un arrêté interdi-
sant les sorties à partir de 23 heures. Depuis,
Menton, Béziers, Montpellier, Perpignan ou
encore Charleville-Mézières ont suivi. A Nice,
le maire LR a aussi brandi la menace d’un
texte interdisant les sorties sportives si les
­Niçois ne se disciplinaient pas un peu plus
après avoir fermé la promenade des Anglais
et les marchés alimentaires. «Lorsque je vois

Par
Dominique Albertini,
Charlotte Belaïch
et Rachid Laïreche

Confinés


à leur poste,


les maires en


première ligne


Battus, réélus ou en ballottage... Les édiles


sortants, qui restent finalement tous en


place au moins jusqu’à fin juin, doivent


juguler les effets de l’épidémie sur leur


territoire en oubliant les municipales.


Mais les arrière-pensées politiques


se mêlent parfois à la gestion de crise.


événement Politique


Récit

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