Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

06 // EVENEMENT Mercredi 25 mars 2020 Les Echos


Le changement de pied de Donald Trump
risque d’ajouter de la confusion.
Photo Jonathan Ernst/Reuters

Véronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York

Le pa ys « n’a pas été construit pour
être fermé ». Lundi soir, lors de son
point presse quotidien sur la lutte
contre le coronavirus, Donald
Trump a affiché sa volonté de relâ-
cher l a pression sur le confinement.
« L’Amérique sera à nouveau, et
bientôt, ouverte aux affaires. Très
bientôt » , a assuré le président amé-
ricain. « Beaucoup plus tôt que dans
trois ou quatre mois. »
Alors que le pays avait enregistré
lundi soir près de 44.000 cas d e con-
tamination (au troisième rang
mondial) et 560 décès, selon le
décompte de l’université Johns
Hopkins, ces déclarations font écho
à des propos dans la même veine
tenus dimanche sur Twitter. « Nous
ne pouvons pas laisser le remède être
pire que le problème lui-même » ,
tempêtait Donald Trump sur le
réseau social, en lettres capitales.
« A la fin de la période de quinze
jours, nous prendrons une décision
sur la voie que nous voulons suivre » ,
a-t-il prévenu. La Maison-Blanche a
lancé il y a une semaine le plan « 15
jours pour ralentir la propagation »
de l’épidémie, déjà jugé trop court

par nombre de spécialistes. Mais le
président et certains de ses con-
seillers voient s’effondrer l’écono-
mie américaine. L’interven-
tion pourtant exceptionnelle de la
Réserve fédérale, lundi, n’a pas
réussi à calmer les marchés finan-
ciers, qui ont davantage retenu de la
journée l’incapacité du Congrès à
s’entendre autour d’un plan de sau-
vetage de l’économie américaine.

« Effondrement »
du système de soins
Les entreprises ont commencé à
licencier leurs salariés ou à les met-
tre en chômage technique, et les
banques américaines publient des
prévisions économiques de plus en
plus catastrophistes. Selon Morgan
Stanley, l’économie américaine
pourrait avoir déjà reculé de 2,4 %
au premier trimestre et plongé de...
30 % a u deuxième t rimestre. A Wall
Street, l e Dow Jones a perdu 3 0 % de
sa valeur en un mois, revenant au
niveau auquel il se trouvait au
moment de l’é lection de Donald
Trump, fin 2016.
« Nous pouvons faire deux choses
à la fois » , a jugé Donald Trump,
signifiant ainsi qu’il pense pouvoir
lutter contre l’épidémie tout en fai-
sant tourner l’économie. « Notre

pays a beaucoup appris. Nous avons
appris sur la distanciation sociale,
nous avons appris sur les mains » ,
a-t-il détaillé.
Les scientifiques s’alarment de
ces premiers signes de relâchement.
Soulignant la croissance « exponen-
tielle » du nombre de cas aux Etats-
Unis et l’alerte de certains hôpitaux
bientôt à court de respirateurs artifi-
ciels, le directeur du Centre Johns-
Hopkins pour la sécurité sanitaire,
Tom Inglesby, prédit un « effondre-
ment » du système de soins et un
taux de mortalité bien s upérieur à ce
qu’il est aujourd’hui si les mesures
de confinement sont levées.
Après des semaines d’hésitations
et de demi-mesures, plus d’une cen-
taine de millions de personnes sont
aujourd’hui concernées par les res-
trictions de circulation et d’activité
aux Etats-Unis, dans la foulée des
décisions prises par les gouver-
neurs de Californie et de New York.
L’Illinois, le New Jersey, le Connecti-
cut ou l’Ohio ont demandé ces der-
niers jours à leurs populations de
rester chez elles pour limiter la con-
tagion. Certains gouverneurs, tou-
tefois, résistent à la mesure pour
préserver au maximum l eur é cono-
mie locale, comme Ron D eSantis en
Floride. Le changement de pied de

lSoucieux de l’impact économique de la lutte contre le Covid-19, le président


américain a assuré sa volonté de relâcher la pression sur le confinement.


lUn message qui inquiète les scientifiques.


Donald Trump pense déjà


à rouvrir les Etats-Unis


l’Etat, qui ne représente que 6 %
de la population totale. Une per-
sonne s ur 1.000 a contracté le virus,
un taux plus de cinq fois supérieur
à d’autres régions touchées. Cette
explosion des cas intrigue. « Claire-
ment, le virus circule [à New York]
depuis plusieurs semaines, pour
avoir ce fort taux de pénétration » , a
expliqué la coordinatrice de la Mai-
son-Blanche, Deborah Birx, lundi.
La forte concentration urbaine et
l’ouverture de la ville sur le monde
pourraient expliquer le phéno-
mène, mais c’est surtout la nouvelle
disponibilité des tests qui a fait
s’envoler les chiffres (et 28 % des
tests s’avèrent positifs à New York).
Face à ces données inquiétantes,
New York s’organise tant bien que
mal, dans l’urgence. Il faudrait
désormais atteindre une capacité
de 140.000 lits (contre une capacité
normale de 53.000) d’ici à deux
semaines, l e pic p révu, qui s era p lus

haut et arrivera plus tôt que prévu.
C’est pour l’instant le sys-
tème D. Mi-avril, le « Comfort », un
bateau militaire, devrait arriver
dans le port de la ville et désengor-
ger un peu les hôpitaux, avec ses
1.000 l its. Mais, d’ici l à, il faut tenir...

Interdire les visites
La plupart d es hôpitaux ont
reporté toutes les opérations qui
n’étaient pas urgentes. Ils viennent
aussi d’interdire toutes les visites, y
compris celles des pères dont la
femme vient d’accoucher. Les
témoignages du personnel hospi-
talier parlent tous du chaos qui y
règne. Des dizaines de malades
attendent parfois plusieurs heures
avant d’ê tre reçus, des salles d’opé-
ration sont aménagées en unités
spéciales Covid-19, d es murs
sont construits en urgence... Le
tout alors que les équipements
basiques de protection commen-

cent à manquer. L’Etat est parvenu
à se procurer, en urgence, près de
600.000 masques et 176.000 paires
de gants. Washington a aussi
envoyé 400 respirateurs à la ville,
qui viennent s’ajouter aux
2.000 disponibles. « Cela va faire
une vraie différence », s’est félicité le
maire Bill De Blasio, dont la gestion
est critiquée. Plus de 3 0.000 profes-
sionnels de la santé à la retraite ont
aussi répondu à l’appel de l’Etat et
ont repris du service.
Le Javits Center, un grand centre
de conventions situé à Manhattan,
est en train de se transformer en
hôpital de fortune. Il devrait être
prêt pour recevoir un millier de
patients d’ici à une semaine. Envi-
ron 350 médecins et infirmiers
seront sur p lace. « A bien des égards,
nous avons épuisé toutes les solu-
tions qui s’offrent à nous » , a lâché
mardi Andrew Cuomo, fataliste...
— N. Ra.

Les hôpitaux new-yorkais sont débordés


Il n’a pas dit comment faire, mais le
gouverneur démocrate de l’Etat de
New York, Andrew Cuomo, a signé
un décret exigeant des hôpitaux
qu’ils augmentent leurs capacités
d’accueil d’au moins 50 %. Les éta-
blissements le savaient déjà. Les
experts annonçaient depuis plu-
sieurs jours un afflux de malades à
New York.
Les chiffres l’ont confirmé : le
bilan a dépassé les 20.000 cas lundi
dans l’Etat, dont plus de 13.
dans la ville de New York. Et ce sont
5.000 malades supplémentaires
qui sont diagnostiqués tous les
jours. La moitié des cas aux Etats-
Unis se situent désormais dans

Le nombre de cas a grimpé
en flèche ces derniers jours
à New York. La ville,
qui compte pourtant
les meilleurs établissements
du pays, est submergée.

L’ampleur du soutien


financier aux plus


modestes fait débat


au Brésil


Fa milia) pour la première fois.
Craignant un impact social
dévastateur, Paulo Guedes a
également proposé le verse-
ment d’une bourse de 200 reals
(35 euros) aux travailleurs
démunis pendant trois mois.
Insuffisant, affirme l’ancien
président de la banque centrale
Arminio Fraga, qui défend la
création d’un programme de
revenu minimum pour 100 mil-
lions de personnes, soit près de
la moitié de la population brési-
lienne. « Les gens doivent savoir
que, durant cette crise, ils auront
de quoi manger » , a-t-il expliqué
à TV Cultura.

Quarantaine
La mesure coûterait l’équivalent
de 4 % du PIB, selon les calculs
d’Arminio Fraga. Mais, depuis
que le Brésil a décrété l’état de
calamité publique vendredi
dernier, il est en mesure de
dépenser plus et de s’endetter
davantage afin de contrer la
crise du coronavirus.
Le ministère de l’Economie
a déjà réduit sa prévision de
croissance de 2,1 % à zéro pour
cette année. La Bourse, elle, a
chuté de plus de 40 % depuis le
record atteint en début d’année.
Quant à l’Etat de São Paulo,
le plus riche du pays, il vit
officiellement à l’heure de la
quarantaine depuis mardi.
Pourtant, c ertains grands inves-
tisseurs invitent à relever la tête
face à l’adversité. « La situation
n’est pas si grave , estime Abilio
Diniz, président du conseil du
fo nds d’investissement Penin-
sula cité par le journal « Valor ».
« On doit penser en termes
de semaines, et non de mois.
On doit savoir que cela va passer.
Et j’aimerais que les autorités
passent un tel message. » n

Thierry Ogier
@thierry-ogier
— Correspondant à São Paulo

Après un certain attentisme,
les responsables brésiliens ont
multiplié les annonces pour
des aides qui se chiffrent, sur le
papier, à plusieurs dizaines de
milliards d’euros. Sur le terrain,
cependant, la réalité est moins
reluisante et la population est
plongée dans le doute. L’inquié-
tude grandit dans un pays
comptant déjà 12 millions de
chômeurs et plus de 30 millions
de personnes travaillant dans
le secteur informel, la plupart
sans aucune couverture sociale.
C’est le ministre de l’Écono-
mie, Paulo Guedes, qui le pre-
mier a sorti son « bazooka » la
se maine dernière. Un premier
train de mesures, estimé à
150 milliards de reals (environ
27 milliards d’euros), vise à allé-
ger les charges sociales afin de
permettre aux entreprises de
poursuivre leurs activités sans
licencier. Le gouvernement
envisage aussi des réductions
de salaire proportionnelles
aux réductions du temps de
travail, voire une suspension
des contrats de travail.

Impact social
dévastateur
Cela n’a toutefois pas été de
nature à rassurer certains entre-
preneurs. « On vient juste de
réduire les effectifs de 20 % à
cause de la chute des ventes » ,
explique un patron d’une entre-
prise de taille intermédiaire de
la banlieue de São Paulo. Quant
aux 10 milliards d’euros de cré-
dits supplémentaires annoncés
par la banque publique de déve-
loppement (BNDES), ils le lais-
sent de marbre. « Je n’ai jamais
obtenu quoi que ce soit auprès
d’eux. Trop de bureaucratie! »
déplore-t-il.
Le gouvernement envisage
d’anticiper le versement du
13 e m ois aux retraités, et plus
de 1 million de familles supplé-
mentaires pourraient toucher
les allocations familiales (Bolsa

Des mesures pour
protéger les entreprises
et les plus vulnérables
ont été annoncées,
mais elles sont jugées
insuffisantes.

L’Autriche passe au dépistage massif


ÉPIDÉMIE L’Autriche (8,8 millions d’habitants) a décidé de pro-
céder à des tests massifs de dépistage du coronavirus et d’isoler
les personnes contaminées pour éviter une saturation de ses
services de santé comparable à ce qui se passe en Italie. Les
autorités ont l’intention de tester jusqu’à 15.000 personnes par
jour au cours des semaines à venir. « Notre but, c’est que le nom-
bre d’infections ne double que tous les 14 jours et non pas tous les
deux, trois ou cinq jours » , a dit le chancelier Sebastian Kurz. A ce
stade de l’épidémie, le pays a testé environ 28.400 personnes,
pour 4.900 cas confirmés et 28 décès liés au SARS-CoV-2.

en bref


Alex Halada /AFP


« Les gens
doivent savoir
que, durant
cette crise,
ils auront de
quoi manger. »
ARMINIO FRAGA
L’ancien président
de la banque centrale

Donald Trump risque de créer de la
confusion, là où les discours
étaient déjà parfois cacophoniques.
A New York, le maire, Bill de Blasio,
a demandé un confinement de tout
le pays, jugeant nécessaire « qu’on
prenne ces mesures extrêmes ». n

Joe Biden peine
à se faire
entendre

#OùEstJoeBiden? Les
réseaux sociaux raillent
les difficultés de Joe Biden
à faire entendre sa voix en
pleine crise. L’ancien vice-
président de Barack Obama,
en tête dans les élections
primaires face à Bernie
Sanders, a aménagé dans sa
maison du Maryland un
studio pour filmer et diffuser
en ligne ses propositions.
Mais les chaînes de télévi-
sion ont boudé sa première
intervention, alors que
Donald Trump occupe
l’espace médiatique avec son
point presse quotidien en
direct de la Maison-Blanche.
Free download pdf