Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

Les Echos Mercredi 25 mars 2020 EVENEMENT// 07


La Thaïlande va déclarer à
son tour l’état d’urgence ce
jeudi afin de tenter de ralentir
la propagation du coronavi-
rus, a affirmé mardi le Pre-
mier ministre, Prayut Chan-
o-cha. Jusqu’à p résent, écoles,
centres commerciaux, lieux
de divertissement étaient fer-
més au moins jusqu’au
12 avril.
Face à l’augmentation
rapide du nombre de cas – le
Royaume recensait mardi un
total de 827 patients infectés,
contre 40 une semaine plus
tôt –, toutes les lois seront
« sous l’autorité du Premier
ministre » , a déclaré Prayut
Chan-o-cha dans une allocu-
tion télévisée. L’état d’urgence
sera maintenu pendant au
moins un mois.

Propager le virus
Cet ancien g énéral a pris l e pou-
voir g râce à un coup d ’Etat mili-
taire en 2014 et l’a conservé à la
suite d’élections législatives
controversées en 2019. S ous cet
état d’urgence, le gouverne-
ment se réserve aussi la possi-
bilité de censurer des médias
ou des commentaires sur les
réseaux sociaux en c as d e diffu-
sion de fausses informations.
« Ceux qui utilisent les médias
sociaux doivent faire attention à
ce qu’ils disent » , a averti Prayut
Chan-o-cha.
Pour le moment, le chef du
gouvernement n’a pas annoncé
les mesures spécifiques qu’il
comptait mettre en place. Ne
précisant pas non plus si l’état
d’urgence concernait unique-
ment Bangkok, qui concentre
une majorité des patients infec-
tés, ou l’ensemble du pays.
Des dizaines de milliers de
travailleurs migrants fuient à
présent la Thaïlande pour ren-
trer chez eux, au Myanmar, au
Cambodge et au Laos, prenant
en même temps le risque de
propager le virus. Le Laos, dont
les infrastructures de santé
sont très précaires, a de son
côté enregistré officiellement
mardi 2 premiers cas de
Covid-19, t out comme l a Birma-
nie, qui a annoncé lundi deux
patients infectés. Mais très peu
de personnes ont été testées
dans ces pays.
Plus de 80.000 voyageurs,
dont un grand nombre de Lao-
tiens, se sont rués ces derniers
jours dans les gares routières de
Bangkok. Dans l e nord du
Royaume, des milliers de Bir-
mans étaient rassemblés à un
poste-frontière dans l’attente de
pouvoir traverser.

Systèmes de santé
fragiles
Les autorités birmanes, déjà en
première ligne avec les Rohin-
gyas, ont exhorté les travailleurs
de retour dans le pays à se placer
en quarantaine à leur domicile.
Les systèmes de santé laotien ou
birman ne peuvent absorber un
afflux de personnes contami-
nées. Nous n’avons « aucun
moyen » pour lutter alertent les
médecins situés dans des villes
éloignées de Rangoon. « Notre
service d’isolement ne dispose
que de sept lits et d’un ventilateur
[...] , si nous avons plus de sept
patients, où les placerons-nous? ,
ont-ils averti. — M. G.

Les cas de
contamination recensés
sont passés en une
semaine de 40 à 827.

L’ état


d’urgence


en Thaïlande


provoque


un exode


des migrants


« La France aujourd’hui, c’est Wuhan début février »


Propos recueillis par F. S.


P


hilip pe Klein est directeur
d’une clinique internatio-
nale située dans un hôpital
de Wuhan. Présent dans la ville
depuis le début de l’épidémie en
Chine, il a vu les mesures prises par
les autorités chinoises et les recom-
mande pour l’Hexagone.


Êtes-vous surpris
par l’annonce de la levée
prochaine du confinement
de Wuhan?

Un certain nombre d’usines et
d’entreprises ont redémarré depuis
lundi à Wuhan, avec un contrôle
strict des employés : prise de tempé-
rature, changement régulier de
masque etc. Après deux mois de
confinement, des salariés ont reçu
l’autorisation de leur résidence de


autorités sanitaires ont renforcé les
mesures en mettant en place une
interdiction totale des sorties. Jus-
que-là, la population – sous strictes
conditions – pouvait sortir des rési-
dences, aller au supermarché. Non
seulement, les r elations interhumai-
nes ont été coupées mais les méde-
cins ont eu pour obligation de carac-
tériser chaque patient : les patients
positifs avec formes sévères ont été
envoyés dans les hôpitaux ; les
patients p ositifs avec peu de symptô-
mes (soit 85 % des cas) ont été placés
dans des centres (palais d’exposi-
tions) ou des gymnases, etc. Enfin,
les personnes en contact ont été
mises sous observation dans des
hôtels réquisitionnés. C’est à la fois
ce strict confinement et l’isolement
des cas positifs ou à risque qui a per-
mis à la courbe des nouveaux cas de
s’infléchir au bout de dix jours.

Vous vous êtes entretenu avec
le président de la République
Emmanuel Macron,
que lui avez-vous dit?
Je suis un médecin appelé au chevet
d’un patient extrêmement malade.
La France aujourd’hui, c’est Wuhan
au début du mois de février. Les
symptômes sont les mêmes. A
Wuhan, le traitement a marché.
Alors, appliquons-le à la France!
C’est tout à fait possible d’imaginer
un placement des cas mineurs dans
des centres de vacances, par exem-
ple, et de placer les personnes en
contact dans les hôtels. Tant qu’on
n’aura pas arrêté le brassage de
population, tant qu’on n’aura pas
empêché tout le monde de bouger,
d’échanger, de poser ses mains par-
tout, l’épidémie ne s’arrêtera pas.
Plus on attend, plus le virus va conti-
nuer de circuler sur le territoire et

sortir pour aller travailler. Certaines
personnes commencent à avoir le
droit de sortir avec des laissez-pas-
ser. L’ouverture des commerces ira
sans doute de pair avec la fin du con-
finement pour le reste de la popula-
tion. J’ai vécu dans une ville fantôme
pendant des semaines et mainte-
nant la vie reprend.

Quel bilan tirez-vous
de la gestion de l’épidémie
à Wuhan?
La Chine a décrété le confinement d e
Wuhan le 23 janvier mais le point de
bascule a été le 17 février quand les

PHILIPPE KLEIN
Médecin français
basé à Wuhan, Chine

plus les dégâts économiques seront
terribles. Si on arrête tout peu de
temps, l’économie repartira vite ; si
on continue comme aujourd’hui, la
France ne reprendra le travail que
dans six mois.

« Tant qu’on n’aura
pas arrêté le
brassage de
population, tant
qu’on n’aura pas
empêché tout
le monde de bouger,
de poser ses mains
partout, l’épidémie
ne s’arrêtera pas. »

En Chine, l’épicentre de l’épidémie


se prépare à sortir du confinement


56 millions d’habitants à partir de
ce mercredi minuit et la reprise du
trafic terrestre, la mesure excluant
pour le moment la ville de Wuhan.
Les contrôles vont demeurer extrê-
mement importants : les voyageurs
souhaitant quitter Wuhan ou le
Hubei seront autorisés à le faire
uniquement s’ils disposent d’une
attestation médicale ou s’ils présen-
tent sur leur téléphone portable un
code QR « vert » attestant de leur
non-infection. De même, les écoles
resteront pour l’instant fermées
dans la province.

Lente reprise de l’activité
Le Hubei a été la dernière à être
autorisée à redémarrer son activité.
« Nous a vons seulement depuis lundi
l’autorisation de redémarrer à
100 % , poursuit Frédéric, à la tête
d’une usine de sous-traitance auto-
mobile à Wuhan. Depuis le 6 mars,
seule une petite équipe d’employés
volontaires entretenait une mini-ac-
tivité, avec l’obligation de dormir sur
place. » Depuis lundi, certains
employés ont reçu un laissez-pas-
ser pour rejoindre leur usine (à
pied, à vélo ou en bus spéciaux) et
pouvoir r etourner dormir chez e ux.
Si la Chine se plaît à montrer que
l’activité revient à la normale,
même dans le Hubei, le redémar-
rage est encore laborieux. L’écono-
mie chinoise fonctionnerait
aujourd’hui à 73,6 % de ses capaci-
tés normales, estime le cabinet
d’études Trivium à Pékin.
Les autorités craignent par-des-
sus tout une seconde vague de con-
tamination. Si les restrictions de
déplacement dans le Hubei vont
être levées pour les départs, elles se
durcissent dans d’autres régions où
les cas importés se multiplient. A
Pékin, tous les voyageurs arrivés de
l’étranger sont désormais soumis à
une quarantaine centralisée et à des
examens médicaux. Des tests leur
sont également imposés à
Shenzhen, dans le Sud et les visi-
teurs en provenance de Hong Kong
et de Taïwan sont indésirables à
Macao. Les autorités sanitaires ont
dénombré lundi 78 nouveaux cas
à l’échelle nationale, soit le double
de la veille. Sur ce total, 74 sont des
cas importés.n

lLa mise en quarantaine de Wuhan


sera levée le 8 avril, ont annoncé


les autorités chinoises.


lSi les restrictions de déplacement


dans le Hubei vont être levées, elles


se durcissent dans d’autres régions


où les cas importés se multiplient.


Frédéric Schaeffer
_@frschaeffer
—Correspondant à Pékin


« Nous voyons enfin le bout du tun-
nel. Cela fait du bien.
» Confiné
depuis deux mois dans sa résidence
de Wuhan, Frédéric a appris avec
soulagement, mardi, la perspective
d’une levée du confinement de la
ville à l’épicentre de l’épidémie de
coronavirus en Chine. La mégapole
de 11 millions d’habitants avait été
mise sous cloche le 23 janvier à
10 heures précise. Des policiers se
postaient alors à l’entrée de la gare
pour empêcher les habitants de
prendre les trains d’assaut, tandis
que les derniers avions quittaient le
tarmac de l’aéroport. Très vite, des
contrôles se mettaient en place sur
les axes routiers pour empêcher
toute sortie de la ville.


La mise e n quarantaine de
Wuhan sera levée le 8 avril, date à
laquelle les habitants pourront
quitter la ville, ont fait savoir les
autorités locales. L’annonce inter-
vient deux semaines après la visite
surprise du président Xi Jinping
dans la ville, un signal permettant
aux autorités chinoises de démon-
trer que la situation sanitaire est
enfin sous contrôle.


Contrôles importants
Le nombre de nouveaux cas était
extrêmement faible ces dernières
semaines dans le Hubei, province
dont Wuhan est la capitale. Lundi,
un seul nouveau cas de personne
atteinte du Covid-19 a été officielle-
ment annoncé, soit le premier en
six jours. Le gouvernement de la
province a annoncé la fin du confi-
nement de cette région peuplée de


A Pékin, tous


les voyageurs arrivés


de l’étranger


sont désormais


soumis à une


quarantaine


centralisée


et à des examens


médicaux.


Wuhan, épicentre de la pandémie, et la région du Hubei sont en quarantaine depuis fin janvier.

STR/AFP
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