Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1

8 |coronavirus MERCREDI 8 AVRIL 2020


0123


A Bercy, l’utilité


d’un plan de relance


fait débat


La consommation aura bien plus chuté que les


revenus des Français, estiment les experts réunis


autour du ministre de l’économie, Bruno Le Maire


I


ls sont jusqu’à une vingtaine à se
retrouver virtuellement tous les
lundis après­midi autour de Bruno Le
Maire, le ministre de l’économie et
des finances. Membres d’instituts
académiques – Observatoire français
des conjonctures économiques (OFCE), Cen­
tre d’études prospectives et d’informations
internationales (CEPII)... –, d’organismes
internationaux et nationaux – Insee, Organi­
sation de coopération et de développement
économiques (OCDE) – et de banques (Axa,
Natixis, HSBC...), plusieurs experts ont été
appelés en renfort par Bercy afin de plancher
sur la crise qui ébranle l’économie.
A l’agenda : le plan d’urgence de l’exécutif,
les séquelles que laissera la pandémie de
Covid­19, mais aussi les dispositifs à mettre
en place pour l’après­confinement, alors que
Bruno Le Maire a reconnu, lundi 6 avril, que
la France va sans doute vivre en 2020 sa pire
année de récession depuis la fin de la
seconde guerre mondiale et battre ainsi le
triste record de 2009 – une chute de 2,9 % du
produit intérieur brut (PIB), selon l’Insee.
« Sur les mesures prises aujourd’hui par le
gouvernement, il y a un large consensus. Les
débats portent davantage sur la nécessité
d’un plan de relance en sortie de crise »,
résume Philippe Martin, président délégué
du Conseil d’analyse économique, un think
tank rattaché à Matignon. De fait, alors que,
mi­mars, au début du confinement, le

gouvernement mentionnait régulièrement
le plan à mettre sur pied une fois la crise sa­
nitaire enrayée, aujourd’hui, à Bercy comme
à Matignon, on se fait discret sur le sujet.
« On y travaille, bien sûr. Mais on n’en est pas
là », répond un conseiller gouvernemental.

LA FACTURE A DÉJÀ EXPLOSÉ
C’est que « la situation n’a rien à voir avec les
crises habituelles, financières ou pétrolières »,
pointe Philippe Martin. L’économie est en
récession, mais les Français confinés dépen­
sent majoritairement moins qu’en temps
normal et continuent de télétravailler, ou
sont en partie indemnisés (84 % du salaire
net pour les salariés au chômage partiel,
1 500 euros mensuels pour les indépendants).
« Je n’imagine pas un plan de relance massif,
indique un proche des discussions. Bien sûr,
il ne faut pas se louper sur les dispositifs de
soutien pendant et après la crise. Mais, au ni­
veau macroéconomique, la consommation
aura beaucoup plus baissé que les revenus.
L’enjeu, ce sera que vous vous sentiez suffi­
samment en sécurité pour retourner chez le
coiffeur ou à la terrasse d’un café. »
Cette réflexion fait d’autant plus écho chez
les partisans du contrôle budgétaire qu’en
moins d’un mois, la facture a déjà explosé
pour l’Etat : 11 milliards d’euros de chômage
partiel, 2 milliards pour le fonds de solidarité
pour les indépendants. Chaque mois de
confinement devrait coûter quelque 3 points

de croissance annuelle et quasiment autant
de déficit, soit près de 70 milliards d’euros.
« Ceux qui sont déjà inquiets que l’on
dépense autant se disent qu’il n’y aura pas
besoin d’en remettre une couche en sortie de
crise », glisse un économiste. « Budgétaire­
ment, les mesures de soutien actuelles pèsent
davantage que n’importe quel plan de relance.
La bonne nouvelle, c’est que les règles euro­
péennes [qui limitent la dette et le déficit] de­
vraient être mises entre parenthèses pour un
bon moment », assure un participant.
« Il faudra plutôt accompagner les restruc­
turations d’entreprises pour éviter trop de

casse. Quand les restaurants vont rouvrir, par
exemple, il leur faudra pouvoir faire face à
leurs dépenses, payer leurs fournisseurs... »,
détaille Denis Ferrand, directeur général de
l’institut Rexecode.
Pour d’autres, les choses sont moins évi­
dentes. « Certes, les gens auront besoin de
consommer de nouveau. Mais ne conserve­
ront­ils pas une “ épargne de précaution ” , par
crainte que le virus ne réapparaisse dans trois
mois, ou que la crise économique ne s’éter­
nise? Allez­vous vraiment acheter une nou­
velle voiture ou un frigo quelques jours après le
déconfinement ?, s’interroge Philippe Martin.

« L’ENJEU, CE SERA 


QUE VOUS VOUS 


SENTIEZ 


SUFFISAMMENT


EN SÉCURITÉ 


POUR RETOURNER 


CHEZ LE COIFFEUR 


OU À LA TERRASSE 


D’UN CAFÉ », INDIQUE


UN PROCHE 


DES DISCUSSIONS


Les conséquences par secteur du confinement


Selon une étude dirigée par le député MoDem Jean­Noël Barrot, six semaines de distanciation sociale feraient baisser le PIB de 5,6 %


L


e gouvernement est encore
en train de prendre la
mesure de la crise écono­
mique qui accompagne et suivra
la crise sanitaire du Covid­19. La
France va connaître en 2020 sa
pire année de récession économi­
que depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale, a estimé, lundi
6 avril, le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, lors d’une audi­
tion par la commission des affai­
res économiques du Sénat. « Le
chiffre de croissance le plus
mauvais qui ait été fait par la
France depuis 1945, c’est en 2009,
après la grande crise financière de

2008. Nous serons vraisemblable­
ment très au­delà »
cette année, a
affirmé le ministre. Le produit
intérieur brut (PIB) avait cette an­
née­là chuté de 2,9 %. « C’est dire
l’ampleur du choc économique
auquel nous sommes confrontés »
,
a insisté Bruno Le Maire, alors que
de nombreux secteurs sont à l’ar­
rêt du fait du confinement.
C’est pour mesurer plus précisé­
ment ces conséquences que Jean­
Noël Barrot, député MoDem des
Yvelines et économiste de forma­
tion (il est professeur associé à
HEC), s’est penché sur les effets du
confinement sur l’activité et les
effectifs des différents secteurs de
l’économie tricolore. « Nous vou­
lions comprendre l’impact sur l’ac­
tivité économique des mesures de
distanciation sociale, ainsi que


l’effet d’un déconfinement ciblé
et progressif » , qui est la piste
aujourd’hui privilégiée par l’exé­
cutif, indique­t­il. L’étude, réali­
sée avec Basile Grassi et Julien
Sauvagnat, de l’université Boc­
coni à Milan, et dont Le Monde a
pu prendre connaissance, a été
adressé au gouvernement.
En se basant sur des données
statistiques du recensement de
2016 et sur une étude européenne
de 2019 sur le télétravail, les
économistes tentent d’estimer
les effets du confinement sur
l’emploi et la valeur ajoutée par

secteur. Ainsi, calculent­ils, les
fermetures administratives déci­
dées le 14 mars ont eu pour consé­
quence de faire cesser le travail
à 10,9 % des actifs (commerce,
hébergement et restauration,
transports, culture et loisirs).

Capacité de télétravail
En termes de valeur ajoutée,
« parmi les secteurs les plus affec­
tés, on retrouve ceux directement
affectés par les mesures de distan­
ciation sociale, comme la culture
et les loisirs ( − 7,7 %) et l’hôtellerie­
restauration ( − 6,8 %). Mais sur­

tout les secteurs les plus en amont,
c’est­à­dire les plus éloignés de la
demande finale, mais qui viennent
en support de la production
économique : industries extracti­
ves ( − 8,8 %), activités de spécialité
(publicité, design, ingénierie, ar­
chitecture... ( − 7,6 %), conseil aux
entreprises ( − 6,2 %), eau et déchets
( − 6 %) », relèvent les auteurs. Et
ce, alors même que ce sont
parfois des domaines où le choc
initial lié au confinement aura été
moindre, parce que le télétravail y
est plus facile (design, publicité,
conseil). « Ce sont les secteurs qui

voient se répercuter la chute de la
demande des autres secteurs. Au
moment de la relance, il faudra
donc leur accorder une attention
particulière », estime M. Barrot.
Sur les effets du confinement
sur la croissance, « en l’absence de
soutien à l’économie, on estime
que six semaines de distanciation
sociale ( fermetures administrati­
ves des commerces non alimen­
taires, fermeture des écoles et
application des gestes barrières) fe­
raient baisser le PIB de 5,6 % », note
l’étude. En comparaison, l’Insee
évalue à 3 points de PIB l’impact
de chaque mois de confinement,
mais en tenant compte des mesu­
res mises en place – dispositif de
chômage partiel, fonds de soutien
pour empêcher les faillites, etc.
La France pourrait toutefois s’en
sortir un peu mieux que certains
pays voisins en raison de sa capa­
cité de télétravail. Selon les
données de 2019, un tiers des sala­
riés d’entreprises de plus de dix
personnes ont accès à des appa­
reils portables connectés à Inter­
net (ordinateurs, tablettes, smart­
phones), contre 25 % des Alle­
mands ou des Italiens. Et la
proportion d’actifs travaillant au
quotidien avec un ordinateur
monte à 62 % en France, contre
54 % en moyenne en Europe.
Concernant le déconfinement,
« même s’il ne doit être dicté que
par un impératif sanitaire, il n’est

pas inutile d’en calculer les consé­
quences », défend M. Barrot. Ainsi ,
« déconfiner un actif au bout de
quatre semaines au lieu de six
rapporterait 3 000 euros à l’écono­
mie par personne déconfinée ».
Quant à l’effet d’un déconfine­
ment par région ou par tranche
d’âge sur le PIB par personne, il
serait relativement identique
selon la stratégie choisie – hormis
évidemment un effet masse : le­
ver les mesures en Ile­de­France
au bout de quatre semaines au
lieu de six augmenterait le PIB
annuel de 0,4 %, le faire en région
Auvergne­Rhône­Alpes le rehaus­
serait de 0,2 %, contre 0,1 % pour
la Bretagne ou le Centre.
En revanche, si l’on choisit de
faire travailler de nouveau les sala­
riés de certains secteurs plutôt
que d’autres, « l’effet sur l’écono­
mie sera d’autant plus positif que le
secteur sera plus capitalistique ou
central », précise M. Barrot. Ainsi,
déconfiner un actif travaillant
dans les industries extractives ou
le raffinage permettra d’alimenter
de nombreux secteurs en aval. « Il
faudra donc être attentif à remet­
tre de l’huile dans tous les rouages
de la machine économique, car des
chocs de demande pourront surve­
nir un peu partout » , selon qu’une
entreprise ou un secteur touché
influence le reste de la chaîne de
production, conclut M. Barrot.
a. t.

Estimation de la baisse
de la valeur ajoutée annuelle, en %

... sur les secteurs économiques... sur les secteurs économiques


  • 8 – 4 0 – 90 – 60 – 30 0


Estimation de la baisse
du nombre de personnes en activité, en %

... sur l’emploi par secteur... sur l’emploi par secteur

Industries extractives
Culture et loisirs
Activités spécialisées
(publicité, architecture...)
Denrées alimentaires
Hôtellerie et restauration
Action sociale
Conseil
Plastique
Eau et déchets
Agriculture

Conséquences de six semaines de connement...Conséquences de six semaines de connement...


Infographie : Le Monde Source : « Eets sectoriels de la distanciation sociale », J.-N. Barrot, B. Grassi et J. Sauvagnat
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