Libération - 08.04.2020

(WallPaper) #1

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C’


était le 27 juillet 2012. Il faisait très
beau. Les yeux du monde étaient
fixés sur Londres. Elizabeth II (enfin
une doublure) sautait en parachute et en robe
rose à sequins au-dessus du stade olympique
sous les hourras d’une foule déchaînée. La cé-
rémonie d’ouverture des Jeux olympiques le
prouvait une fois de plus : le Royaume-Uni
était décidément très cool. A l’époque, le
Brexit n’existait pas, le mot n’avait même pas
été inventé. A la nuit tombée, au centre du
stade, c’est un sigle qui s’était affiché : NHS
pour le National Health Service. Son appari-
tion avait provoqué une ovation. Pendant
­plusieurs minutes, un ballet de lits d’hôpital,
d’infirmières et de médecins en costumes des
années 40 avait célébré le Service national de
santé publique. Au risque de troubler les au-
diences internationales pas forcément au fait
de l’amour immodéré des Britanniques pour
leur NHS, le pays communiait autour de ce
dernier.
Avec la reine Elizabeth II et dans une moindre
mesure la BBC, le NHS est sans doute la seule

en bas des classements européens. Mais,
comme partout, c’est son financement trop
serré qui est remis en question.

Privatisation. Après une manne financière
versée durant les années du travailliste Tony
Blair, le NHS n’a pas été épargné par les
­coupes drastiques imposées pendant dix ans
d’austérité par les gouvernements conserva-
teurs de David Cameron puis Theresa May.
Pendant les débats sur le Brexit, la privatisa-
tion partielle du NHS avait été soulevée par
certains brexiters, sous la pression notam-
ment de sociétés pharmaceutiques améri­-
caines alléchées par un marché juteux. Ces
suggestions avaient provoqué une levée de
boucliers. Pendant la campagne électorale de
décembre, Boris Johnson avait dû se défendre
d’envisager un tel projet. Le travailliste
­Jeremy Corbyn avait assené à chaque occa-
sion que «le NHS n’est pas à vendre» et promis
d’ouvrir les vannes des finances de l’Etat
au NHS. C’est finalement le conservateur Bo-
ris Johnson, poussé par le vote de confiance
de milliers d’électeurs précédemment tra-
vaillistes, et par le déclenchement de l’épidé-
mie de Covid-19, qui a débloqué les budgets.
Mais ces fonds arriveront sans doute trop tard
pour compenser le manque criant de moyens.
S.D.-S. (à Londres)

du congrès annuel du Labour en 1934, émise
par le docteur Somerville Hastings. La Seconde
Guerre mondiale, ses morts et ses blessures fi-
rent le reste. Le principe en est simple : l’accès
à tous à des soins gratuits, sans discrimination,
sans frais. «Tous – riche ou pauvre, homme,
femme ou enfant – peuvent l’utiliser. Il n’y a rien
à payer, sauf quelques petites exceptions. Il n’est
pas nécessaire d’avoir une assurance. Mais il ne
s’agit pas d’une œuvre caritative. Tous, vous
payez pour, à travers vos impôts sur le revenu,
ce qui, en cas de maladie, éliminera pour vous
tout souci financier», expliquait un prospectus
distribué aux Britanniques. Le principe con-
cerne toutes les spécialités, des généralistes
aux gynécologues, en passant par les dentistes
ou les ophtalmo­logues. Les médecins et infir-
miers touchent un salaire mensuel du NHS.
Seuls certains médicaments prescrits sont
payants.
L’idée de base n’a pas vraiment bougé depuis.
Le NHS, divisé en quatre entités régionales,
est devenu une énorme machine. Il emploie
environ 1,6 million de personnes. Son fonc-
tionnement subit parfois des ratés. La hiérar-
chie très rigide, les protocoles trop précis ou
la débauche d’administration sont souvent
critiqués par les personnels de santé. Avec
6,6 lits en soins intensifs pour 100 000 per-
sonnes, le NHS se situait avant la pandémie

institution britannique à faire l’objet d’un véri-
table culte. Mardi, Journée internationale de
la santé, la reine s’est fendue d’un message à
tous ces soignants qui «se dévouent pendant
des circonstances particulièrement difficiles».
Dimanche soir déjà, lors de son adresse ex-
ceptionnelle à la nation, ses premiers mots de
gratitude étaient allés au NHS.

«Armée de volontaires». Mardi aussi,
alors que le pays restait suspendu à l’évolu-
tion de l’état de santé du Premier ministre,
Boris Johnson, une «armée des volontaires»
s’est mise en branle. Appelée de ses vœux par
le gouvernement au début de l’épidémie du
Covid-19, cette troupe de Britanniques ordi-
naires est venue aider le NHS. L’objectif
était de rassembler 250 000 volontaires, ils
sont 750 000 à s’être inscrits. Ils rempliront
des tâches simples : livrer des médicaments
ou de la nourriture à 2,5 millions de per­-
sonnes vulnérables, passer un coup de fil à
des individus isolés ou les emmener à des
rendez-vous médicaux. Et plus de 20 000 mé-
decins, infirmières et infirmiers récemment
à la retraite se sont dit prêts à reprendre du
service pour aider «leur» NHS.
Le National Health Service est né le 5 juillet
1948, sous un gouvernement travailliste. L’idée
de sa création avait émergé avant la guerre, lors

Le NHS vénéré mais malade de l’austérité


Les Britanniques sont
très attachés à un système
de santé public mis à mal par
les conservateurs depuis 2010.

Les Faits du jour
nLa France a franchi, mardi la barre
des 10 000 morts depuis le début de
l’épidémie : 7091 à l’hôpital et 3237
en Ehpad). Dans les dernières 24 heures,
on y a respectivement enregistré 607
et 820 décès.
nEn Espagne, le gouvernement de
gauche veut accélérer la mise en place
d’un revenu universel, alors que le pays a
enregistré un record de 300 000
chômeurs supplémentaires en mars. Ce
dispositif devrait rester en place après
l’épidémie. Il pourrait avoisiner
440 euros mensuels.
nEn Grèce, des centaines de soignants
ont manifesté devant les hôpitaux pour
réclamer plus de moyens et
d’embauches. Ils estiment que le
système hospitalier manque de
30 000 médecins. Le pays décompte
81 morts et 1 755 cas avérés.
nLa Norvège a annoncé la levée
prochaine de certaines mesures de
confinement. A partir du 20 avril, les
crèches pourront rouvrir et les
déplacements vers les résidences
secondaires seront autorisés.
nLe bateau humanitaire Alan Kurdi erre
en mer Méditerranée à la recherche
d’un port d’accueil, après avoir porté
secours à 150 migrants qui tentaient la
traversée depuis la Libye. Malte et l’Italie
ont refusé d’ouvrir leurs ports en raison
de l’épidémie.
nEn Iran, les députés ont rejeté un texte
proposant un confinement d’un mois.
Alors que les chiffres du gouvernement
laissent croire à un ralentissement de
l’épidémie, les activités économiques à
«faible risque» de propagation du virus
pourront reprendre samedi.
nLa Chine n’a officiellement dénombré
aucun mort du coronavirus pour la
première fois depuis des mois. Wuhan,
ville d’où est partie la maladie, devrait
lever ce mercredi sa quarantaine
mardi sur l’admission en soins intensifs du Premier ministre britannique. Photo Kirsty Wigglesworth). AP entamée le 23 janvier.

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