Libération Lundi 6 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11
Bruno Le Maire
à Paris, le 15 mars.
Photo Denis Allard
renoncer à verser des dividendes,
sous peine de tout rembourser.
Avant cela, on a entendu Le Maire
exiger des entreprises qu’il n’y ait
«pas de licenciements» dans la pé-
riode, compte tenu des «45 milliards
d’euros» dégainés par le gouverne-
ment pour soutenir la trésorerie des
entreprises et des «300 milliards»
d’euros de garanties bancaires.
On l’a aussi vu faire voler en éclats
ces règles budgétaires européennes
dont il s’était pourtant fait le
gardien en France. «Nous privi-
légions le soutien à nos salariés et
aux entreprises sur les équilibres de
finances publiques», a-t-il assumé
devant l’Assemblée nationale. Un
choix certes «temporaire», «dicté
par des circonstances exception-
nelles», a-t-il prévenu, mais «le seul
responsable face à la crise que nous
traversons».
Pour un homme politique venu de
la droite libérale, dont l’une des ré-
férences au niveau européen est
l’ex-argentier allemand conserva-
teur Wolfgang Schäuble, c’est un sa-
cré changement... D’ailleurs, dans
son entourage, on tempère cette
mue. «Ça ne nous empêche pas de
penser qu’un pays bien tenu permet
de passer les crises, dit l’un de ses
conseillers. Et si ces dernières
années, la France avait été plus
fourmi que cigale, nous aurions plus
de marges de manœuvre dans cette
crise.» A bon entendeur...
Mais il n’y a pas que sur les règles
budgétaires que Bruno Le Maire
étonne ces temps-ci. Voilà que
l’ancien diplomate proeuropéen et
germanophile se met à appeler au
«patriotisme» économique français,
et même à évoquer la relocalisation
de certaines «chaînes de produc-
tion». «Dans beaucoup de secteurs
industriels stratégiques, par exem-
ple le médicament, nous sommes
trop dépendants des approvisionne-
ments en Asie, a-t-il souligné devant
les députés. Nous devons repenser la
mondialisation à l’aune du principe
de souveraineté.» Mot pour mot ce
qu’on entend depuis plus de dix ans
dans la bouche de Jean-Luc Mélen-
chon... Et en cas de coups durs pour
les fleurons français? «Nationalisa-
tion», répond désormais Le Maire
sans hésitation. Colbertiste mais
pas communiste, il précise immé-
diatement qu’elles seront «bien sûr»
temporaires car «l’Etat n’a pas voca-
tion à diriger les entreprises à la
place d’entrepreneurs privés sur le
long terme».
Qu’il paraît loin le Bruno Le Maire
qui défendait au Parlement les pri-
vatisations d’Aéroports de Paris et
de la Française des jeux au cœur de
sa loi Pacte (plan d’action pour la
croissance et la transformation des
entreprises). «Notre doctrine n’a
pas changé», rétorque-t-on pour-
tant à Bercy, où l’on rappelle que la
«première décision du ministre», dès
juillet 2017, avait été de nationaliser
temporairement les chantiers na-
vals STX de Saint-Nazaire pour «dé-
fendre les intérêts stratégiques de
la France». «L’Etat sert à aider les
plus faibles et les malades», souligne
aujourd’hui son entourage, sans
désarmer sur le plan politique : «La
réalité, c’est qu’en empêchant une
privatisation d’ADP, les oppositions
ont fait perdre 10 milliards d’euros
aux Français. Une somme qui serait
bien utile aujourd’hui...»
«C’est Che Guevara !»
Ce positionnement très interven-
tionniste du ministre de l’Economie
et des Finances plaît en tout cas
à une grande partie des partenaires
sociaux, syndicats compris. «Ob-
jectivement, il fait le job, dit de lui
Laurent Berger, interrogé par Libé-
ration. On lui pose un sujet, il y ré-
pond. Il est franc, direct. Sur les di-
videndes, on imagine qu’il a eu des
pressions de l’autre côté. Mais à la
fin, il dit bien qu’il n’y aura pas de
dividendes.» Ce n’est pas la pre-
mière fois que le patron de Bercy
et celui de la CFDT sont raccords.
Au plus fort du bras de fer sur la
question de l’âge pivot – l’une des
principales pierres d’achoppement
de la réforme des retraites –, Bruno
Le Maire plaidait en coulisse pour
un abandon de cette mesure d’âge,
ce qui permettait d’offrir une vic-
toire politique à Laurent Berger.
«La voie du compromis est toujours
la plus difficile. Elle est aussi la
meilleure pour la nation», avait
lancé le ministre depuis Bercy,
énervant passablement Matignon.
Laurent Berger confirme : «Il a une
conception de la place des organisa-
tions syndicales et patronales dans
ce pays et conscience du besoin
de dialogue dans une société ultra
bousculée.»
S’il prend un écho particulier en
pleine bataille économique du co-
ronavirus, le plaidoyer de Le Maire
pour «refonder un nouveau capi-
talisme» date en réalité de plus d’un
an. «Depuis quelques années, nous
voyons bien que la promesse de
la prospérité pour tous n’est pas
tenue», affirmait-il par exemple
le 22 janvier 2019 aux côtés de
Melinda Gates et du Nobel d’écono-
mie 2006, Muhammad Yunus. Cette
nouvelle crise «confirme» juste ses
«intuitions». «Il faut un nouveau ca-
pitalisme qui soit plus respectueux
des personnes, qui soit plus soucieux
de lutter contre les inégalités et qui
soit plus respectueux de l’environne-
ment», a-t-il carrément déclaré cette
semaine.
Dans son agenda d’avant-Covid-19,
le ministre de l’Economie avait
prévu de porter la création d’un
«nouveau pacte productif», censé
déboucher sur le plein-emploi
en 2025. Même s’il a dû énor-
mément en rabattre, Le Maire s’est
aussi battu sur la scène interna-
tionale pour imposer une taxation
des Gafa, avant d’afficher son op-
position catégorique au projet de
monnaie numérique de Facebook.
Et au début de l’année, lors de ses
poste européen (il avait été sondé
par Macron) et même la tentation
de Matignon au cas où ça tournerait
mal pour Edouard Philippe avec la
réforme des retraites.
Avec son positionnement – venu de
la droite, virant plus social-démo-
crate –, son expérience ministérielle
(à l’Agriculture puis aux Finances),
sa connaissance de Matignon (il a
été directeur de cabinet de Domini-
que de Villepin) et son passé d’élu
local, l’énarque de 50 ans s’était
construit un profil qui aurait pu in-
téresser Macron pour sa deuxième
partie de quinquennat. «Le Maire a
un énorme sens politique», sourit un
député LREM influent qui confirme
que ses relations avec Matignon «ne
sont pas optimales» : «Cela le guide
davantage que ses propres convic-
tions. Sur les retraites, c’était plus
facile de dire “abandonnons l’âge
pivot” comme il l’a fait que d’insister
sur le besoin d’équilibre.»
Pour faire taire les rumeurs,
Le Maire avait expliqué en janvier
qu’il se plaçait à Bercy «sous le signe
de la durée et du temps long». «Je
suis heureux là où je suis et je veux y
rester», ajoutait-il, soulignant un
«bonheur qui ne se boude pas», celui
de «l’équilibre entre les sujets na-
tionaux et internationaux» traités
à Bercy. Avec cette crise, Bruno
Le Maire est servi.•
vœux, le ministre a appelé les entre-
prises à «garantir un meilleur par-
tage de la valeur» et faire «aussi leur
part du chemin» en augmentant les
salaires via des «accords d’intéresse-
ment» ou des «négociations». «C’est
Che Guevara !» se moquait alors
l’entourage d’Emmanuel Macron
par presse interposée.
«Bruno est resté sur la même ligne,
défend la vice-présidente du groupe
LREM, Marie Lebec, qui était aussi
la corapporteure de la loi Pacte. Son
discours a été parfois caricaturé et
sa doctrine en matière économique
est la même que celle du Président :
le pragmatisme.» A l’autre bout de la
majorité, on défend un responsable
qui «s’inspire de la deuxième gau-
che». «Dans son programme de la
primaire de 2016, il y avait des volets
sociaux-démocrates. C’était le plus
interventionniste des candidats»,
insiste le député de la Vienne Sacha
Houlié, l’un des animateurs de l’aile
gauche de LREM.
Rumeurs
Des soutiens à droite comme à
gauche de la majorité, de quoi jouer
un autre rôle que simple patron de
Bercy dans les mois qui viennent?
Depuis le début du quinquennat,
on a prêté à Le Maire toutes les am-
bitions : le ministère des Affaires
étrangères (son corps d’origine), un
tous les mardis
accueille
Copyright © 2020 The New York Times
TUESDAY, APRIL 7, 2020
INTERNATIONAL WEEKLY
In collaboration with
This article is by Peter S. Goodman
,
Daniel Politi, Suhasini Raj
, Lynsey Chutel^
and Abdi Latif Dahir.
have dropped by half dilutes the milk she In New Delhi, a fruit vendor whose sales
serves her children. In Turkey, a company that runs hot air balloon rides has furloughed
its 49 employees, cutting their wages by half.In Manila, a bartender for an international
cruise line finds himself marooned at home. In Johannesburg, a mother who makes her
living braiding hair goes home empty-hand
- ed.And in Buenos Aires, a cabdriver prowls
deserted streets for fares, fearful that he will contract the coronavirus, yet more afraid of
losing his taxi to repossession. “This situa
tion is larger than me,” he said.As the pandemic brings the global econo-
my to an astonishing halt, the world’s most vulnerable countries are suffering intensi-
fying harm. International investment is fleeing emerg-
ing markets at a pace not seen since the fi
nancial crisis of 2008, diminishing the value of currencies and forcing people to pay more
for imported goods like food and fuel.“This will be as bad, or potentially even
worse, than the global financial crisis for emerging markets,” said Per Hammarlund,
a strategist at SEB Group, a global invest
ment bank based in Stockholm. “It is grim.”It is also a threat to global fortunes.
Emerging markets account for 60 percent of the world economy on the basis of purchas-
ing power, according to the International Monetary Fund. A slowdown in developing
countries is a slowdown for the planet.From South Asia to Africa to Latin Amer-
ica, the pandemic is confronting developing countries with a public health emergency
combined with an economic crisis, each ex
- acerbating the other. The same forces are playing out in wealthy nations, too. But in
poor countries — where billions of people live near calamity even in the best of times — the
dangers are amplified.It is unfolding just as many governments
are burdened by debt that limits their ability to help those in need. Since 2007, total public
and private debt in emerging markets has multiplied from about 70 percent of annual
economic output to 165 percent, according to Oxford Economics.
The pandemic has trig
- gered a sharp reversal of in
ternational investment away from emerging markets and
toward the safety of United States government bonds.
kets including China, India, Last year, emerging mar-
South Africa and Brazil saw net inflows of $79 billion in
investment, according to the Institute of Internation-
al Finance. In the last two
months, $70 billion in investment has left. Some countries could default, especially Ar-
gentina, Turkey and South Africa.“The speed is quite staggering,” said Sergi
Lanau, the institute’s deputy chief econo
mist. Most economists assume that a worldwide
recession is underway.The disruption of industry worldwide has
drastically cut demand for commodities, walloping copper producers like Chile, Pe-
ru, the Democratic Republic of Congo and Zambia, along with zinc producers like Bra-
zil and India. Oil exporters are susceptible to the downturn as prices remain cheap,
By STEVEN LEE MYERS
erupted in 2002, China had created an Scarred by the SARS epidemic that
infectious disease reporting system that officials said was world-class:
fast, thorough and, just as important, immune from meddling. Hospitals
could input patients’ details into a computer and instantly notify health
authorities in Beijing who were trained to spot outbreaks before they spread.
It didn’t work. After doctors in Wu
- han began treating patients stricken with a mysterious pneumonia in De-
cember, the reporting was supposed to have been automatic. Instead, hos-
pitals deferred to local health officials who, over a political aversion to shar-
ing bad news, withheld information from the system — keeping Beijing in
the dark. The central health authori
ties first learned about the outbreak after whistle-blowers leaked docu-
ments online. Even after Beijing got involved, local officials set narrow
criteria for confirming cases, leaving out information that the virus was
spreading. Doctors had to have their cases confirmed by bureaucrats be-
fore they were reported.As the rest of the world struggles to
contain coronavirus, China has cast it
self as a model, bringing down the out
break to the point where it has begun to lift the onerous restrictions that are
now imposed around the world. This narrative obscures the early failures in
reporting cases, squandered time that could have been used to slow infections
before they exploded into a pandemic.“According to the rules, this of
course should have been reported,” said Yang Gonghuan, a retired health
care official involved in establish
ing the direct reporting system. “Of
Con^ tin^ ued on Page II
Con^ tin^ ued on Page II
Struggles of developing countries intensify the shock to the global economy.
In China,
Fail-Safe
System
Failed
Pandemic Ravages the Poor
VICTOR MORIYAMA FOR THE NEW YORK TIMES
Debt limits the ability of developing countries to help those in need in the outbreak. A sealed-off phone in São Paulo, Brazil.
RONALDO SCHEMIDT/AGENCE FRANCE-PRESSE — GETTY IMAGES
WANG YUGUO/XINHUA, VIA ASSOCIATED PRESS
Doctors in Wuhan began seeing patients with extensive damage
to their lungs in December.
Argentina was in peril before the pandemic. Its
currency lost more than two-thirds of its value in
2018 and 2019. Buenos Aires in March.
Chaque mardi, un supplément de quatre pages par le «New York
Times» : les meilleurs articles du quotidien new-yorkais à retrouver
toutes les semaines dans «Libération» pour suivre, en anglais dans
le texte, l’Amérique de Donald Trump.