Libération - 06.04.2020

(Axel Boer) #1
18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 6 Avril 2020
Expresso

La police scientifique à Romans-sur-Isère, samedi, après l’attaque qui a fait au moins deux morts.

Après l’agression au
couteau qui a fait
deux morts samedi
à Romans-sur-Isère,
le suspect, un
réfugié soudanais
de 33 ans,
a été interpellé.
Le Parquet national
antiterroriste a
ouvert une enquête.

I


ls sont une trentaine de
femmes et d’hommes, en
groupe serré, certains
masqués, à évoluer sur une
place du centre-ville de
­Romans-sur-Isère (Drôme).
L’image est singulière en
cette période de confine-

enquête pour «assassinats
en relation avec une entre-
prise terroriste» et «associa-
tion de malfaiteurs terroriste
criminelle».
Les premiers éléments «ont
mis en évidence un parcours
meurtrier déterminé de na-
ture à troubler gravement
l’ordre public par l’intimida-
tion ou la terreur», a détaillé
le Pnat samedi, ajoutant que
la perquisition du domicile
d’Abdallah A.-O. avait permis
de trouver «des documents
manuscrits à connotation
­religieuse dans lesquels l’au-
teur des lignes se plaint no-
tamment de vivre dans un
pays de mécréants», écrits «a
priori» par le trentenaire.

Déambulation. La fouille
de son appartement de la
côte Jacquemart, à Romans-
sur-Isère, a également abouti
à l’interpellation de deux au-
tres ressortissants soudanais.
Le secrétaire d’Etat à l’Inté-

ment, les circonstances le
sont plus encore : la petite
foule, composée de techni-
ciens de la brigade scientifi-
que, de pompiers, de poli-
ciers, vient d’accueillir le
ministre de l’Intérieur, Chris-
tophe Castaner. Ensemble, ils
vont refaire l’itinéraire ma­-
cabre qui a endeuillé samedi
cette ville de 33 000 habi-
tants située à une heure et
demie au sud de Lyon.
Dans la matinée, Abdal-
lah A.-O., 33 ans, aurait tué à
l’arme blanche deux person-
nes et blessé cinq autres,
dans des commerces et dans
la rue, avant d’être interpellé
vers 11 heures. Originaire du
Soudan, titulaire depuis 2017
du statut de réfugié et d’une
carte de séjour de dix ans,
l’homme était inconnu des
services de police ou de
­renseignement français ou
européens, a indiqué le
­Parquet national antiterro-
riste (Pnat), qui a ouvert une

Par
Maïté Darnault
Envoyée spéciale
à Romans-sur-Isère (Drôme)
Photo Bruno
Amsellem

rieur, Laurent Nuñez, a ce-
pendant affirmé dimanche
sur France Inter qu’«il aurait
agi seul». Selon une source
citée par l’AFP, le suspect,
très agité après son arresta-
tion, a expliqué aux enquê-
teurs «ne pas se souvenir de ce
qui s’est passé». Une expertise
psychiatrique est en cours.
L’homme n’au-
rait «a priori
pas d’antécé-
dents médi-
caux», a pré-
cisé le Pnat.
Jusqu’en jan-
vier, Abdallah
A .- O., formé
dans la maroqui-
nerie, a vécu deux ans
dans un logement municipal
de Moras-en-Valloire, une
commune du nord de la
Drôme, a indiqué son maire
dans un communiqué. Selon
l’AFP, des témoins auraient
raconté aux enquêteurs que
le jeune Soudanais «ne se sen-

tait pas bien depuis plusieurs
jours» à cause du confine-
ment. Les victimes sont cinq
hommes et deux femmes,
âgés de 44 à 65 ans. Deux per-
sonnes blessées sont encore
en soins intensifs mais dans
un état stable, une troisième
se trouve en salle de réveil et
deux ont quitté l’hôpital.
C’est dans un tabac-
presse qu’aurait
commencé la
déambulation
m e u r t r i è r e
d ’A b d a l l a h
A .- O. Armé
d’un couteau, il
s’en serait pris au
buraliste, Serge,
65 ans, puis à son
épouse, avant de se rendre
dans une boucherie. «Ma
femme était seule, il a sauté
par-dessus le comptoir pour
s’emparer d’un couteau et il a
planté un client, puis il est re-
parti en courant, a expliqué à
l’AFP Ludovic Breyton, le

20 km

DRÔME HAUTESALPES

ISÈRE
ARDÈCHE

VAUCLUSE

GARD

Valence

Romans-sur-Isère

Dans la Drôme, itinéraire meurtrier


en plein confinement


­patron de l’enseigne où un
homme est mort. Ma femme
a essayé de porter assistance
à la victime, en vain.» Der-
nière étape du suspect : le
trottoir se trouvant devant la
boulangerie la Mie câline. Là,
Abdallah A.-O. aurait poi-
gnardé à mort Julien V.,
44 ans, alors qu’il tentait de
protéger son fils de 12 ans.

«Déboussolés». «La veille,
à la même heure, j’y ai envoyé
mon fils de 17 ans pour ache-
ter des croissants en me disant
que ça le ferait sortir, frémit
encore Nadia, 36 ans. Comme
si on n’en avait déjà pas assez
avec le coronavirus, si main-
tenant il faut aller acheter son
pain avec la peur au ventre...»
Musulmane, la mère de fa-
mille estime que cette atta-
que terroriste «ne concerne
pas» sa communauté : «Des
fous, il y en a partout, c’est fa-
cile de sortir en criant “Allah
akbar”, même quelqu’un qui
n’est pas musulman peut le
dire.» Ramazan Adam, lui, se
demande si le confinement
n’expliquerait pas seul ce pas-
sage à l’acte : «Beaucoup com-
mencent à être déboussolés.»
Habitant du quartier, le quin-
quagénaire connaît bien les
buralistes agressés : «Je les
vois chaque jour en allant
acheter le journal ou mes
­cigarettes, ce sont des gens for-
midables, ça fait vraiment
mal au cœur.»
A quelques dizaines de ­mè­-
tres des lieux de l’attaque,
Manon Verlingue, 25 ans,
­tenait seule, samedi, la bou-
cherie-traiteur où elle est
­employée. Premier réflexe,
quand elle a appris ce qu’il
venait de se passer dans des
commerces tout proches :
«J’ai caché tous mes couteaux.
C’était terrifiant de voir pas-
ser les voitures de police et de
pompiers à toute vitesse.» En
fin de journée, «la boule à l’es-
tomac» est toujours là. Mais
pas question de laisser tom-
ber les clients : «On est là pour
les accueillir, il faut qu’ils
­continuent à venir, qu’ils
n’aient pas trop peur», dit
Manon, comme pour se ras-
surer elle-même.•

Le Fil vert «Les habitants se
retrouvent criminalisés par leur
mode de vie traditionnel» : pour
l’anthropologue britannique Jerome
Lewis, certaines politiques actuelles de conservation
de la biodiversité, décidées dans les pays du Nord,
sont néfastes autant pour les écosystèmes que pour les
populations locales. Entretien à lire sur Libération.fr.
Photo Etienne Maury. Hans Lucas
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