Libération - 06.04.2020

(Axel Boer) #1

Libération Lundi 6 Avril 2020 u 17


Jean-Paul Mari suit au jour
le jour le combat d’une
équipe médicale dans un
hôpital d’Ile-de-France.
Jeanne (1) ne se
demande plus si
elle sera conta-
minée par le vi-
rus du Covid-19 mais quand
est-ce que son tour viendra.
Et à quel prix? Dans son ser-
vice des urgences, l’héca-
tombe a frappé 25 soignants
sur 72, plus d’1 sur 3, méde-
cins, infirmières ou aides-
soignantes comme elle.
«En une semaine, mes deux
meilleures amies ont été
­contaminées.» L’une d’elles,
forte, infaillible, protectrice,
est son modèle d’infirmière,
«celle que je voudrais devenir
un jour». Si son idole a été
vaincue, «alors, moi, forcé-
ment...».
A 37 ans, douze ans d’expé-
rience, de grands yeux bleus
qui ne mentent pas, Jeanne
dit qu’elle n’a pas peur. Ce
métier, elle l’a voulu si fort.
Un BTS d’assistante de direc-
tion en maison de retraite, un
bon salaire, et puis un jour, ce
coup de main aux aides-soi-
gnantes à l’étage. L’évidence :
«Voilà ce que je veux faire.»
Elle a tout connu, le bonheur,


en soins palliatifs privés, où
on accompagnait les malades
mourants avec amour et di-
gnité, jusqu’à «éparpiller des
pétales de rose
sur le lit d’une
femme morte».
Et le cauchemar
d’une clinique de chirurgie
esthétique où des bourgeoi-
ses du Trocadéro pinçaient
leurs lèvres refaites en criti-
quant le goût du thé.
Ici, depuis sept ans, elle
a trouvé sa place. On croit
qu’une aide-soignante n’est
là que pour vider les seaux et
changer les couches. Elle le
fait, lave les malades conta-
minés, les soutient quand ils
toussent ou vomissent. Mais
le Covid a tout changé. Elle
qui aimerait les prendre dans
ses bras doit rester à dis-
tance, sur la défensive. La
compassion peut être mor-
telle. Jeanne sait aussi pren-
dre le pouls, la tension, sur-
veiller le «scope», le rythme
cardiaque et la fréquence
respiratoire. Au moment
­crucial de l’intubation, elle
assiste le médecin, sait venti-
ler ou pratiquer un massage
cardiaque.
Surtout, habillage ou désha-
billage, il faut surveiller, soi

et les autres. Vérifier que le
jeune interne, pris dans l’ac-
tion, a bien son masque FFP
ou que ses cheveux ne dépas-
sent pas. Douze heures d’affi-
lée, jour et nuit, un week-end
sur deux à la tâche, bien plus
depuis qu’il faut remplacer
les collègues malades. Le
tout pour 1 600 euros net par
mois. Quand elle rentre chez
elle retrouver mari et en-
fants, tout câlin lui est in­-
terdit. Comment repousser
le garçon de 7 ans en plein
Œdipe qui vient vous em-
brasser au cœur de la nuit?
Ne pas contaminer les autres,
ne pas tomber malade, sur-
tout pour Jeanne, fumeuse,
souffrant de tachycardie
avec un cœur qui grimpe à
250 pulsations minute, aller-
gique aux peluches, aux
poils, aux fleurs. «On me dit :
“tu vas y laisser ta car-
casse...”» Certains collègues
lui avouent même qu’ils
abandonneront le métier
après. Pas elle. «Apporter aux
malades le réconfort. Accom-
pagner leur souffrance. Etre
là. Pour rien au monde je ne
changerais de métier.»
Jean-Paul Mari

(1) Le prénom a été modifié.

La passion de Jeanne,


aide-soignante


Vu de
l’hôpital

Otto
Sonnenholzner
vice-président
de l’Equateur
REUTERS

La reine d’Angleterre demande
«autodiscipline et courage»
«Je vous parle à un moment que je sais être
de plus en plus difficile. Un moment de bouleversement dans la vie
de notre pays»... La diffusion dimanche soir d’un message enregistré
de la reine Elizabeth II marque la gravité du moment : c’est la
cinquième fois en soixante-huit ans de règne qu’elle intervient
solennellement avec un message diffusé à la télévision et à la radio.
Photo Kirsty Wigglesworth. AP

Les conservateurs du Parti
populaire européen (PPE)
n’en finissent
pas de se dé-
chirer sur le
cas de Viktor
Orbán, le Premier ministre
hongrois, qui s’est arrogé le
31 mars les pleins pouvoirs
pour une durée illimitée (avec
suspension du Parlement) en
profitant de la pandémie.
Dès le lendemain, 13 partis de
11 pays (Suède, Finlande, Bel-
gique, Pays-Bas, République
tchèque, Slovaquie, etc.), sur
les 82 que compte le PPE, ont
demandé l’exclusion du Fi-
desz, parti d’Orbán, déjà sus-
pendu depuis mars 2019 pour
ses dérives autocratiques. Le

leader des conservateurs eu-
ropéens, le Polonais Donald
Tusk, est sur
la même li-
gne : il juge les
mesures d’ur-
gence hongroises «morale-
ment inacceptables».
Mais aucun des partis de
droite des grands pays n’a si-
gné cette lettre. Les seules si-
gnatures qui sortent du lot
sont celles de Kyriákos Mitso-
tákis, le Premier ministre
grec, et de son homologue
norvégienne, Erna Solberg,
qui dénonce «une claire viola-
tion de la démocratie libérale
et des valeurs européennes».
La CDU-CSU allemande qui,
de fait, dirige le PPE, le Parti

populaire espagnol ou Les Ré-
publicains français sont aux
abonnés absents. Mais le
nombre de signataires est suf-
fisant pour que l’exclusion du
Fidesz soit soumise au vote de
la prochaine assemblée pré-
vue en juin (normalement...).
La pression sur le PPE devient
d’autant plus forte que
14 gouvernements (l’ensem-
ble des pays d’Europe de
l’Ouest sauf l’Autriche) ont
cosigné la semaine dernière
une déclaration dans laquelle,
sans citer nommément la
Hongrie, ils se déclarent «pro-
fondément préoccupés par le
risque de violation des prin­-
cipes de l’Etat de droit, de la
démocratie et des droits fon-

damentaux découlant de
l’adoption de certaines me­-
sures d’urgence». Le fait que
l’Allemagne, dirigée par une
grande coalition CDU-SPD,
se soit joint à ce texte, montre
que le vent a clairement
tourné.
Mais il est douteux que l’ex-
clusion du Fidesz du PPE soit
menée à son terme, l’intérêt
du groupe politique au Parle-
ment européen étant de gar-
der les 13 élus hongrois : avec
ses 187 députés, il reste le
­premier groupe, loin devant
les socialistes (147) et les cen­-
tristes de Renew Europe (98)...
Orbán le sait et il en joue.
J.Q. (à Bruxelles)
A lire en intégralité sur Libé.fr.

La démocrature hongroise


sur le banc européen des accusés


Coulisses
de Bruxelles

LIBÉ.FR

«Nous avons subi une forte


détérioration de notre image


internationale, nous avons vu


des images qui n’auraient


jamais dû exister.»


«Je vous présente des excuses.» Samedi, le vice-président
équatorien, Otto Sonnenholzner, s’est adressé à la popula-
tion à propos de la crise que traverse le pays, durement
frappé par le Covid-19, en particulier la province côtière de
Guayas, qui concentre les deux tiers des cas et près des trois
quarts des morts. Dimanche, 3 465 cas positifs et 172 décès
étaient confirmés dans le pays, un bilan bien supérieur à ses
voisins. La semaine passée, l’exécutif avait décidé d’envoyer
l’armée à Guayas pour gérer l’afflux de corps abandonnés
dans la rue, notamment dans la capitale régionale, Guaya-
quil. Militaires et policiers doivent encore enlever 150 corps
dans des habitations de la ville la plus peuplée du pays.


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