Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1

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CORONAVIRUS


SAMEDI 28 MARS 2020

0123


Réserve sanitaire, 


des renforts 


sous­employés


Depuis le début de la crise, le vivier


de ces réservistes a doublé, pour atteindre un


effectif de 40 000 inscrits. Mais seuls quelque


130 infirmiers, aides­soignants, médecins


ou agents hospitaliers sont actuellement


déployés dans les régions les plus touchées


par l’épidémie de Covid­


P

erpignan. C’est la destination
à traiter en urgence : trouver et
y envoyer des personnels
soignants, les acheminer, fina­
liser leur hébergement... La
priorité du jour, ce mercredi
25 mars, et un casse­tête pour Catherine
Lemorton, la responsable de la réserve sani­
taire depuis le 1er mars, qui intervient sous
l’autorité du ministère de la santé, « en ren­
fort, en France ou à l’étranger, en cas de situa­
tion sanitaire exceptionnelle (catastrophe na­
turelle, attentat, épidémie, etc.) ».
La « situation sanitaire exceptionnelle » est
bien là et, depuis le début de l’épidémie
en France, fin janvier, cette réserve de pro­
fessionnels de santé, dont la majorité sont
en activité – infirmiers, aides­soignants, mé­
decins, agents hospitaliers, secrétaires médi­
caux, épidémiologistes, psychologues... –, est
mise à contribution. « On travaille jusqu’à
cent vingt heures par semaine, c’est de la folie.
Je ne sais pas jusqu’à quand on pourra tenir » ,
confie Catherine Lemorton, pharmacienne
de profession, qui fut, jusqu’en 2017, députée
(PS) de Haute­Garonne.

EXPLOSION DE LA DEMANDE
Dans leurs uniformes bleu et blanc, souli­
gnés de discrets liserés rouges, avec leur sac à
dos siglé du drapeau national accompagné
du logo « Réserve sanitaire » sur fond violet,
ils ont l’habitude des théâtres d’opérations
d’urgence, comme en Afrique de l’Ouest lors
de la fièvre épidémique Ebola ou après le
passage de l’ouragan Irma sur l’île de Saint­
Martin. Aujourd’hui, ces hommes et ces
femmes sont là pour épauler les soignants
de métropole.
Pour gérer les quelque 40 000 inscrits, huit
permanents seulement. Les infirmiers et
aides­soignants représentent 62 % de l’effec­
tif, contre près de 30 % de professionnels mé­
dicaux, pharmaceutiques et scientifiques, le
reste étant composé de professionnels admi­

nistratifs et techniques. Avant le début de la
crise, le vivier était de 21 000 personnes, soit
un doublement des effectifs en deux mois.
A tel point que le site de la réserve a buggé
face à l’affluence de connections. Mais
seuls 3 800 de ces inscrits sont effective­
ment des réservistes sanitaires, avec un
dossier complet et un contrat d’engagement
signé pour trois ans.
« Avant de signer un contrat avec chacun
d’entre eux, il faut vérifier leur parcours pro­
fessionnel, envoyer de nombreux documents
à remplir. On ne peut pas prendre le risque
de missionner des gens dont on ne sait rien.
Des petits malins se font passer pour des pro­
fessionnels, on a aussi des médecins qui ne
sont plus autorisés à exercer » , explique Ca­
therine Lemorton, tout en se félicitant de ce
formidable « élan de solidarité ».
Le résultat final est assez déconcertant.
Car, si les inscrits sont nombreux et la de­
mande en personnels explose, la Réserve sa­
nitaire ne comptait que 130 actifs sur le ter­
rain mercredi 25 mars. Depuis le déclenche­
ment de l’épidémie de Covid­19, 630 réser­
vistes ont été déployés dans les régions
françaises, dont le Grand­Est, la plus touchée
après l’Ile­de­France. « Mais, quand la de­
mande de cette ARS [agence régionale de
santé] est de 200 aides­soignants, 270 infir­
mières et 30 médecins anesthésistes­réani­
mateurs, nous n’avons pu envoyer que 34 per­
sonnes. Entre le vivier réel et l’opérationnel, il
y a un fossé difficile à expliquer. Entre le
moment où les personnes s’inscrivent et celui
où on fait appel à elles, il arrive que certains
ne soient plus libres » , avance Mme Lemorton.

UNE DÉPUTÉE EN MISSION
Ces professionnels, même en nombre limité,
n’en sont pas moins des renforts appréciés.
« La réserve a été d’un grand secours au centre
hospitalier universitaire [CHU] de Besançon,
l’un des deux établissements régionaux en
première ligne, qui est entré dans le vif du su­

jet de manière brutale. La réserve lui a permis
d’encaisser, de ne pas être déstabilisé. Elle a
été une force décisive et a constitué une
bouffée d’oxygène psychologique » , témoigne
Pierre Pribile, directeur général de l’ARS
Bourgogne­Franche­Comté.
C’est dans cet établissement que la députée
(LRM) des Alpes­de­Haute­Provence Emma­
nuelle Fontaine­Domeizel a effectué sa
première mission pour la réserve à laquelle
elle est inscrite depuis 2014. « Je travaillais
au service des maladies infectieuses et tropi­
cales, au cœur du réacteur de l’épidémie de
Covid­19. Quand on arrive, on doit s’adapter
à des services, à leur organisation. On sou­
lage, on soutient. Les soignants ont besoin
de parler, ils ont vu des décès, ont été cho­
qués. Quand je leur ai dit que je ne serais pas
là la semaine prochaine, ils m’ont demandé :
“comment va­t­on faire ?” » , témoigne cette
infirmière de 46 ans.
Mme Fontaine­Domeizel raconte aussi l’hô­
tel quasi désert dans lequel elle logeait avec
les autres réservistes, 30 la semaine précé­

dant son arrivée et une douzaine avec elle du
16 au 22 mars – les missions étant de deux se­
maines maximum –, les sardines et les repas
froids vite avalés. « Je serai disponible pour
une autre mission tant qu’il y aura besoin. J’ai
écrit à Richard Ferrand [le président LRM de
l’Assemblée nationale] en disant que j’étais
volontaire pendant la crise sanitaire. L’Assem­
blée tourne à faible régime. Plutôt que confi­
née, je suis largement plus utile en tant qu’in­
firmière » , explique­t­elle. Depuis la fin de
sa mission, la députée, qui est retournée à
Manosque, s’étonne du manque de sollicita­
tion de la part de l’ARS de Bourgogne­Fran­
che­Comté. En réalité, si le circuit d’appel est
simple, la réponse peut parfois être un peu
longue à arriver.
« On a parfois des demandes précises,
comme cet exemple de deux sages­femmes
que l’on a eu du mal à trouver. Il y a aussi par­
fois, sur le terrain, des problèmes de calage,
mais, en général, cela se passe bien » , assure
Catherine Lemorton.

VIVIER DE JEUNES RETRAITÉS
Les ARS font remonter leurs besoins au mi­
nistère, à l’agence Santé publique France
(SPF) plus précisément, qui centralise et
contacte alors la réserve sanitaire. « Les ré­
servistes peuvent aussi intervenir au profit di­
rect d’un établissement de santé », précise­
t­on au ministère. Ce qui fait dire à Catherine
Lemorton, qui fut elle­même réserviste à
Mayotte en 2018, que les circuits se révèlent
plus rapides quand les hôpitaux font appel
directement à leur vivier de jeunes retraités.
« La réserve est arrivée tôt, dès le déclenche­
ment du plan blanc. On n’en avait alors pas
vraiment besoin. Les réservistes se deman­
dent parfois s’ils sont de trop. Ils se sentent un
peu dépassés par les événements et ont par­
fois du mal à trouver leur place » , témoigne
Marc Paulin, infirmier en réanimation au
CHU de Besançon.
Et il arrive que leur présence inquiète. « Si
on parle d’anciens de 65­70 ans, plus fragiles
et qui doivent se remettre à jour sur le plan
technologique, c’est une faute grave et une er­
reur stratégique du ministère de les envoyer
en première ligne. Il faut mettre ces réservis­
tes en dernier rideau » , juge ainsi Laurent
Thines, neurochirurgien dans le même éta­
blissement. Même si, en réalité, la réserve
sanitaire, qui a succédé à l’Etablissement de
préparation et de réponse aux urgences sa­
nitaires (Eprus, de 2007 à 2016), est compo­

« AVANT DE SIGNER


UN CONTRAT 


AVEC UN RÉSERVISTE, 


IL FAUT VÉRIFIER 


SON PARCOURS 


PROFESSIONNEL. 


ON NE PEUT PAS 


MISSIONNER


DES GENS DONT


ON NE SAIT RIEN »
CATHERINE LEMORTON
responsable de la réserve
sanitaire

jusqu’à présent, les estimations du
nombre de patients atteints de Co­
vid­19 en France, et du nombre de dé­
cès, provenaient principalement des
hôpitaux. Pour la première fois,
Santé publique France (SPF) annonce
des chiffres correspondant aux re­
montées de médecins de ville, don­
nant un visage un peu plus réaliste à
la situation sur le territoire. Jeudi
26 mars, le directeur général de la
santé, Jérôme Salomon, a indiqué
que le nombre de décès atteint 1 696
pour le seul milieu hospitalier, dont
365 sur les dernières 24 heures.
Parmi les victimes, une adolescente
de 16 ans en Ile­de­France, pour la­
quelle Jérôme Salomon n’a pas
donné plus de précisions.
En se fondant sur le réseau de sur­
veillance Sentinelles, qui recense les
consultations (ou téléconsultations)
pour infection respiratoire aiguë, l’es­
timation de SPF est de 41 836 nou­
veaux cas de personnes atteintes de
Covid­19 pour la semaine du 16 au
22 mars, précise l’agence sanitaire

dans son communiqué du 26 mars. Le
diagnostic fait par ces médecins libé­
raux est essentiellement clinique, les
tests de recherche du virus SARS­
CoV­2 étant réalisés principalement
chez les patients hospitalisés et les
soignants (au total, 101 046 tests ont
été réalisés à la date du 24 mars, dont
20 068 sont positifs). Les chiffres issus
de l’activité des médecins du réseau
Sentinelles ne peuvent être comparés
à la semaine précédente car la sur­
veillance spécifique du Covid­19 n’a
été mise en place que le 17 mars,
ajoute Santé publique France.

La région Grand-Est très touchée
Toutes les régions sont touchées, les
taux d’incidence (taux de nouveaux
cas) les plus élevés étant relevés en Ile­
de­France, dans le Grand­Est et les
Pays de la Loire. De plus, « les associa­
tions SOS Médecins ont rapporté 9 136
actes pour suspicion de Covid­19 » , la
semaine du 16 au 22 mars, représen­
tant près de 15 % de l’activité totale de
ces professionnels. Quant au nombre

de passages aux urgences pour suspi­
cion de coronavirus, il a été de 15 956
pour cette même période du 16 au
22 mars, en augmentation par rap­
port à la semaine précédente. Les pa­
tients atteints du Covid­19 représen­
tent 10 % de l’activité totale des urgen­
ces. Une hospitalisation s’ensuit en
moyenne dans 36 % des cas, davan­
tage dans les tranches d’âge plus
âgées : chez les 65 ans ou plus, plus de
deux personnes sur trois sont hospi­
talisées après un passage aux urgen­
ces, et la proportion s’élève à 80 %
chez les 75 ans ou plus.
L’agence sanitaire livre également
des données sur les patients admis en
réanimation pour le Covid­19, à partir
d’un réseau de services volontaires de
réanimation (dont l’objectif est de do­
cumenter les caractéristiques des cas
graves mais pas d’en faire un recense­
ment exhaustif). Sur l’échantillon
analysé, l’âge moyen des cas en réani­
mation est de 65 ans. La majorité
(67 %) présente au moins un facteur
de risque potentiel de complication

de Covid­19, les deux plus fréquents
étant le diabète (23 %) et les patholo­
gies cardiaques (22 %).
Enfin, sur les 1 100 patients atteints
de Covid­19 décédés au cours de leur
hospitalisation entre le 1er et le
24 mars, 37 % ont été signalés dans la
région Grand­Est, 24 % dans la région
Ile­de­France et 10 % dans les Hauts­
de­France. Pour tenir compte des
morts survenus hors hôpital – dans
les EHPAD, à domicile... – SPF s’appuie
aussi sur les certificats électroniques
de décès, mais ceux­ci ne couvrent
qu’une partie de la mortalité natio­
nale (20 % début 2019), avec une hété­
rogénéité selon les régions. A partir
des données d’état civil, Santé Publi­
que France constate une hausse de la
mortalité toutes causes, rapportée
dans le Haut­Rhin (+75 %), dans l’Oise
(+40 %), dans les Vosges (+35 %) et dans
les Alpes­de­Haute­Provence (+65 %),
et qui concerne essentiellement les
personnes de 65 ans et plus.
sandrine cabut
et pascale santi

Près de 42 000 nouveaux cas sur une semaine, selon la médecine générale

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