20 |culture SAMEDI 28 MARS 2020
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Le spectre de l’annulation pèse sur les festivals d’été
Le report pose aux organisateurs le problème de la disponibilité des artistes et des lieux
ENQUÊTE
L
e 18 mars, l’annonce de
l’annulation de Glaston
bury a donné le vertige à
nombre de festivals d’été.
Renonçant face à l’épidémie
de Covid19, ce rassemblement
géant du rock britannique et
européen, qui, du 24 au 28 juin,
devait fêter son 50e anniversaire,
allaitil être la première carte d’un
château estival prêt à s’écrouler?
En France, terre de festivals de
musiques actuelles (on en dé
nombrerait près de 1 800), c’est un
secteur essentiel du spectacle vi
vant qui tremble face à la menace.
Un bilan réalisé par le site Tousles
festivals.com avait calculé que les
100 plus gros événements du
genre, dont plus de 80 % ont lieu
en été, avaient réuni, en 2018, plus
de 7 millions de spectateurs. Un
engouement ayant permis le dé
veloppement local d’écosystèmes
irriguant le tissu culturel, social et
économique, tout en fournissant
d’indispensables heures de travail
à des milliers d’intermittents.
Confirmer l’événement? Le dé
caler? L’annuler? Les promoteurs
de ces communions festives vi
vent dans l’incertitude, à l’heure
du confinement. « On navigue à
vue », reconnaît Dominique Re
vert, l’un des directeurs d’Alias,
participant à l’organisation de
Beauregard (du 2 au 5 juillet, à
HérouvilleSaintClair, dans le Cal
vados) et de Musilac (du 11 au
14 juillet, à AixlesBains, en Sa
voie). « Nous sommes suspendus à
l’évolution des mesures gouverne
mentales. Nous verrons, le 15 avril,
si nous nous engageons ou pas »,
affirme, de son côté, Jérôme Tré
horel, directeur des Vieilles Char
rues, qui, du 16 au 19 juillet, doi
vent réunir près de 280 000 per
sonnes à Carhaix (Finistère).
Malgré sa force symbolique, cer
tains veulent minorer l’impor
tance du cas Glastonbury. « Avec
ses dizaines de scènes et son
énorme programmation, ce festi
val est un ovni qui met trois mois à
se monter, insiste Jérôme Tréhorel.
Nous n’avons pas d’équivalent en
France. » Les raisons de s’inquiéter,
ici, ne manquent pas, pourtant.
D’autant que la saison festivalière
commence à la fin du printemps.
Quelques semaines après l’annu
lation du Printemps de Bourges,
qui devait se tenir du 21 au 26 avril,
les festivals du mois de mai auront
du mal à faire ce qui leur plaît.
Etre « agile pour s’adapter »
A quelques jours de distance, les
Lyonnais de Nuits sonores et les
Normands de Papillons de nuit
viennent ainsi d’annoncer que
leur édition 2020 serait décalée.
Attirant jusqu’à 145 000 fans de
culture électronique dans diffé
rents lieux de Lyon, les premiers
ont déplacé du 22 au 26 juillet ce
qui était prévu du 19 au 24 mai.
« L’incertitude était trop élevée,
justifie Vincent Carry, directeur
d’Arty Farty, l’association organi
satrice du festival. Dans l’urgence,
nous avons évalué de nouvelles
dates en fonction de la disponibilité
des artistes, des lieux de spectacle
et d’un timing qu’on imagine en
phase avec la reprise des activités. »
Atouts de Nuits sonores : « Nous ne
dépendons pas de vedettes interna
tionales, et le milieu électro est suf
fisamment agile pour s’adapter. »
Le 12 mars, Papillons de nuit
présentait sa 20e édition, prévue
du 29 au 31 mai, quatre jours avant
qu’Emmanuel Macron annonce
le confinement. Ce festival réunis
sant 75 000 spectateurs à Saint
LaurentdeCuves (Manche) doit
finalement se tenir du 21 au
23 août. « On a étudié un plan B en
faisant le tour des sociétés de pro
duction pour voir si leurs artistes
demeuraient disponibles », raconte
PierreOlivier Madelaine, chargé
de production des Papillons.
Deux têtes d’affiche américaines
- Macklemore et Rag’n’Bone
Man – risquent de poser pro
blème, mais la préservation du
programme originel est favorisée
par sa dominante francophone.
Une francophonie qui devrait
aussi favoriser Les Francofolies de
La Rochelle, prévues du 10 au
14 juillet. Marqué par l’annulation
du Printemps de Bourges, dont sa
société, Morgane, est également
propriétaire, le patron des « Fran
cos », Gérard Pont, se veut opti
miste. « Nous ne dépendons pas
d’une programmation internatio
nale et, comme beaucoup de nos
salles existent à l’année, le site peut
être prêt en quinze jours. »
Tous n’ont pas cette chance. Si la
direction de We Love Green a es
timé prématuré de répondre à
nos questions, le festival écores
ponsable, prévu dans le bois de
Vincennes, à Paris, les 6 et 7 juin,
chercherait à reporter ses dates en
septembre. Une option qui pour
rait se heurter à la disponibilité de
son site habituel, mais aussi à
celle d’une affiche dont l’excel
lence tient en partie à des artistes
venus d’outreAtlantique comme
Lana Del Rey ou Young Thug.
Comme pour d’autres festivals
européens, tel le Primavera Sound,
géant barcelonais (prévu du 3 au
7 juin et sans doute déplacé fin
août), avec lequel We Love Green
coordonne une partie de sa pro
grammation, les Parisiens ris
quent de voir s’évaporer leurs mu
siciens anglosaxons. « Il y a peu de
chances que les artistes américains
se déplacent quelques jours en Eu
rope à la fin de l’été, alors que la sai
son des festivals américains – où ils
sont mieux payés – recommencera
en septembreoctobre, période à
laquelle ont été reportés beaucoup
d’entre eux, comme Coachella ou
Bonnaroo », analyse Arnaud
Meersseman, directeur du bureau
français des producteurs améri
cains d’AEG, organisateur du festi
val parisien Rock en Seine, du
29 août au 1er septembre. En espé
rant que les Californiens de Rage
Against the Machine confirme
ront leur venue, 35 000 billets
ayant été déjà vendus.
Impact financier
Pearl Jam, Billie Eilish ou Taylor
Swift ont déjà reporté à 2021 leur
tournée européenne. « Nous som
mes en discussion permanente
avec les agents anglais et améri
cains, explique Dominique Re
vert, coproducteur des festivals
Beauregard et Musilac. Aucune
annulation d’artiste n’est, pour
l’instant, effective, mais elles pour
raient s’enchaîner », et pénaliser
nombre de festivals comme le
Lollapalooza (Paris), les Euroc
kéennes (Belfort), Garorock (Mar
mande), Les Vieilles Charrues
(Carhaix), le Main Square (Arras)
ou la première du Felyn Stadium
Festival, prévue, en banlieue lyon
naise, les 19 et 20 juin, dont on voit
mal la tête d’affiche, les Red Hot
Chili Peppers, jouer comme prévu.
Evénement pour les métalleux,
qui ont acheté, en quelques heu
res, les quelque 180 000 billets mis
en vente, le Hellfest risque de pren
dre cette réalité de plein fouet. A
cause de la précocité de ses dates
(du 19 au 21 juin, à Clisson, en Loi
reAtlantique) – « Le gouvernement
prendratil le risque de voir pogo
ter 50 000 torses nus en sueur? », se
demande son fondateur, Ben Bar
baud –, et parce que sa program
mation est essentiellement com
posée de groupes internationaux.
Là aussi, aucun retrait officiel pour
l’instant. Le boss veut encore y
croire. « Nous commençons habi
tuellement le montage du site à
partir du 15 avril. On peut tempori
ser, mais impossible de commencer
après le 15 mai », déclare celui qui,
comme ses confrères, tous cons
cients des priorités sanitaires, at
tend fébrilement les nouvelles di
rectives gouvernementales. Autre
inconnue : l’impact psychologique
et financier qu’auront eu sur le pu
blic ces semaines d’isolement.
Pessimiste, Arnaud Meersseman
imagine mal qu’un festival puisse
se tenir avant la mijuillet. Cela
laisserait une chance aux Vieilles
Charrues. Jérôme Tréhorel assure :
« Nous continuons les préparatifs,
même si nous avançons plus lente
ment. » Nombre des contrats avec
les habituels prestataires n’ont pas
encore été finalisés. « C’est un ti
ming normal », rassuretil. Une
ombre plane tout de même sur la
soirée d’ouverture, centrée sur le
concert de Céline Dion.
Comme Barbaud au Hellfest, le
directeur des Vieilles Charrues
estime que l’événement aux
7 000 bénévoles est une trop
grosse machine pour être reporté.
Contrairement à beaucoup, qui
ont vu la billetterie stoppée net
après l’annonce de confinement,
le géant breton a la chance,
comme le Hellfest, d’avoir écoulé
la quasitotalité de ses places.
Le rendezvous metal mise sur la
fidélité de ses fans pour qu’ils ac
ceptent de garder leur sésame
pour 2021, en cas d’annulation. Si
Les Vieilles Charrues devraient
proposer cette solution aux festi
valiers, pas sûr qu’ils ne soient pas
confrontés à une demande mas
sive de remboursements.
Une situation qui pourrait se ré
véler d’autant plus catastrophique
que les contrats d’assurance – que
beaucoup de festivals n’ont pas en
core signés – n’incluent pas la pan
démie comme cause d’annula
tion. Pour atténuer les consé
quences cataclysmiques d’une
éventuelle saison blanche, les or
ganisateurs – fédérés sous l’ensei
gne du Prodiss, le syndicat des
producteurs de spectacles – disent
espérer la solidarité de leurs parte
naires privés et publics, des mesu
res fortes d’accompagnement de
l’Etat, en particulier en faveur des
intermittents, mais aussi pour
aménager les obligations de rem
boursement de billets.
« En Belgique, en GrandeBreta
gne, en Allemagne, des lois de
vraient être promulguées dans ce
sens, croit savoir un important
producteur. Il faudrait que ce soit
aussi le cas en France, en favorisant
la notion d’avoir plutôt que de rem
boursement. Dans le cas contraire,
les festivals et les producteurs ne
pourront assumer leurs frais fixes.
Et on risque l’hécatombe. »
stéphane davet
Le festival
Hellfest,
à Clisson
(Loire
Atlantique),
a déjà écoulé
la quasi
totalité
de ses
billets. ESTELLE
RUIZ/NURPHOTO
Les contrats
d’assurance
n’incluent pas
la pandémie
comme cause
d’annulation
ils ont été créés au début des années
- Ils sont menés par des structures as
sociatives, ont un public fidèle venant, en
majorité, de la ville où ils ont lieu et du dé
partement, certains sont à rayonnement
régional. Organisés sur plusieurs sites,
dans des petites salles et en plein air, plus
« modestes » que les grands rassemble
ments à programmation internationale et
grandes vedettes, ce sont des festivals dont
les dates oscillent entre mimai et fin mai.
Et pour lesquels le temps des décisions à
prendre est le plus proche.
Pour l’Europajazz du Mans (Sarthe), qui
s’inscrit dans une saison de concerts de
l’association Le Mans Jazz, le final du festi
val, qui devait avoir lieu du 6 au 10 mai, est
remis à plus tard. « Nous avons annulé les
concerts dans les écoles, les Ehpad, les soi
rées de fin mars et avril et la fin de la tournée
en Pays de la Loire de Thomas de Pour
query », explique Armand Meignan, direc
teur du Mans Jazz. Le report en juin n’est,
pour l’heure, pas envisagé. Plus loin, en
septembre, ce sont les dates des 24 Heures
du Mans, initialement prévues en juin.
« Les hôtels sont pris d’assaut à ce mo
mentlà. Pour loger les musiciens, ce sera
impossible. » Et les programmations des
salles qui accueillent le festival sont déjà
établies pour la saison de rentrée.
« Tout l’écosystème est touché »
A Coutances (Manche), le festival Jazz
sous les pommiers, organisé par le Co
mité coutançais d’action culturelle, est
prévu du 15 au 23 mai. Même avec un dé
lai d’une semaine après son confrère
du Mans, son directeur, Denis Lebas, a
déjà « en tête la prolongation du confine
ment. Pour l’ heure, nous étudions une
version resserrée du festival sur ses der
niers jours. Les créations avec des écoliers,
des lycéens, des musiciens amateurs
auront peutêtre lieu en juin. Un minifesti
val en septembre, mais cela dépend des
disponibilités des musiciens, des lieux ». Si
le festival connaît bien son public, qui
multiplie par cinq la population de cette
commune de quelque 8 000 habitants, à
la faveur du pont de l’Ascension, celui de
septembre est une inconnue. En dehors
des locaux, les festivaliers plus éloignés
feraientils le déplacement?
Carol Meyer, directrice du festival Art
Rock, à SaintBrieuc (Côtesd’Armor), orga
nisé par l’association Wild Rose, qui est
prévu du 29 au 31 mai, est encore dans une
réflexion sur la faisabilité de l’événement.
« Même si une amélioration sanitaire avait
lieu d’ici à fin avrildébut mai, la levée des in
terdictions sera progressive. Une édition ré
duite serait une solution, mais c’est la re
cette sur les soirées de la grande scène et ses
12 000 personnes qui nous permet de finan
cer tous les autres spectacles et exposi
tions... » Annulation ou report, c’est dans
un délai de quinze jours qu’il faudra se dé
cider. Et penser, comme au Mans ou à Cou
tances, aux prochaines éditions. « Tout
l’écosystème est touché. Estce que, pour
2021, les cachets des artistes, les tarifs des
prestataires techniques auront beaucoup
augmenté? Estce que nos partenaires pu
blics, privés, pourront apporter des finance
ments? » Tous ayant bien conscience que
des choix prioritaires devront être faits.
sylvain siclier
Les événements prévus en mai se réorganisent déjà
11 mars > 29 juin 2020
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La police
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