6 |coronavirus SAMEDI 28 MARS 2020
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Les Britanniques se mobilisent pour leurs hôpitaux
Le gouvernement demande aux citoyens de rester chez eux pour préserver le National Health Service, en péril
londres correspondante
Y
our NHS needs you! »
(« votre NHS a besoin de
vous! »). Il a fallu une se
maine au gouverne
ment Johnson pour décider d’un
véritable confinement de sa po
pulation, mais, depuis quelques
jours, l’heure est enfin à la mobili
sation derrière le système public
de santé, le National Health Ser
vice (NHS). Et les chiffres sont im
pressionnants, témoignant du
profond attachement des Britan
niques à cette institution, vérita
ble icône nationale, au même ti
tre que la reine ou l’armée.
Mardi 24 mars, Matt Hancock, le
ministre de la santé, a lancé une
vaste campagne de recrutement
de volontaires pour le NHS, disant
espérer 250 000 réponses. Deux
jours plus tard, près de 600 000
personnes avaient répondu à
l’appel et le gouvernement an
nonçait un nouvel objectif de
750 000 volontaires. « Merci au
nom de tout le pays! », ont salué
Boris Johnson et la famille royale.
Ces personnes seront sollicitées
pour aider le 1,5 million de ci
toyens jugés vulnérables par le
NHS et pour lesquels s’applique
une quarantaine stricte, en raison
de leur âge (70 ans et plus) ou de
pathologies préexistantes. Il leur
sera proposé des livraisons de
courses et de médicaments à do
micile, ainsi que du soutien télé
phonique. Cette campagne natio
nale va probablement structurer
les multiples initiatives fleurissant
depuis une semaine sur Whats
App ou les réseaux sociaux de voi
sinage. Quelque 32 500 infirmières
et médecins à la retraite, mais
aussi en fin d’études, ont déjà été
mobilisés pour monter « en pre
mière ligne », souligne le gouver
nement, officiellement « en
guerre » contre le coronavirus.
Véritable ciment
« Stay home, protect the NHS, save
lives » : le slogan martelé par Dow
ning Street n’a rien d’innocent.
Les Britanniques doivent rester
chez eux pour éviter aux hôpi
taux d’être submergés par les cas
graves. Mais ils doivent aussi, au
premier chef, protéger leur NHS.
Ce dernier est bien plus qu’un
simple service public : un vérita
ble ciment du sentiment natio
nal. Pour les 70 ans de l’institu
tion, en 2018, un sondage YouGov
indiquait que plus des deux tiers
des sondés considéraient le NHS,
créé au sortir de la guerre par le
gouvernement travailliste de Cle
ment Attlee, comme la plus
grande réussite du RoyaumeUni.
Dans un pays encore marqué
par les inégalités, notamment
d’accès à l’éducation, ce service,
toujours quasiment gratuit, pro
pose des soins de qualité à tous
les citoyens du pays quels que
soient leurs revenus.
Mais le « formidable » NHS,
comme le qualifie souvent Boris
Johnson, estil mieux armé que
les autres systèmes de santé euro
péens pour affronter la pandé
mie? Les critiques sur l’imprépa
ration du gouvernement britan
nique se sont multipliées ces der
niers jours, à mesure qu’il tentait
dans l’urgence d’augmenter ses
capacités. Le NHS emploie direc
tement ou indirectement près
d’un million de personnes, mais
a souffert des dix années d’austé
rité instaurées par les gouverne
ments conservateurs successifs.
Fin 2019, celui de Boris Johnson
concédait qu’il lui manquait
50 000 infirmières. Des données
inquiétantes du National Center
for Biotechnology Information
(aux EtatsUnis) ont par ailleurs
circulé, estimant que le nombre
de lits en réanimation au Royau
meUni pour 100 000 habitants
(6,6) était deux fois moindre
qu’en France et en Italie.
Conscient de ces faiblesses et
des cris de détresse des person
nels médicaux réclamant des
masques, des gants et des tests −
ces derniers étant réservés aux
malades hospitalisés −, le gouver
nement a enfin commencé à agir.
Mimars, Boris Johnson a pro
mis que le pays allait passer d’en
viron 5 000 tests effectués quoti
diennement depuis le début de
l’épidémie à 10 000 « dans les
jours qui viennent », et même à
25 000 par jour en avril. Mais la
montée en puissance est labo
rieuse (un peu plus de 6 600 tests
réalisés jeudi, alors que le pays en
registrait 115 décès liés au corona
virus en vingtquatre heures). Les
tests manquent car « la demande
internationale est énorme », a con
cédé Chris Whitty, conseiller mé
dical en chef de Downing Street.
Matt Hancock a également an
noncé la construction, « d’ici à la
semaine prochaine », d’un hôpital
de campagne d’une capacité ini
tiale de 500 lits, pouvant être por
tée à 4 000 lits dans un centre de
conférences de l’Ouest londonien.
Absences problématiques
L’hôpital « Florence Nightingale »
(du nom de cette fameuse Bri
tannique, pionnière des soins in
firmiers modernes) est censé pal
lier le déficit redouté de lits dans
le Grand Londres, actuel épicen
tre de la pandémie au Royaume
Uni. D’autres hôpitaux de campa
gne pourraient être aménagés à
Manchester ou à Birmingham, le
gouvernement craignant de
n’être plus qu’à deux semaines
d’un scénario à l’italienne.
Mais quid des nombreux soi
gnants, absents ou en quaran
taine car présentant des symptô
mes du Covid19? Chris Hopson,
le dirigeant de NHS Providers, fon
dation regroupant l’essentiel des
hôpitaux anglais, signalait, jeudi
26 mars sur Twitter, à quel point
ces absences devenaient problé
matiques. « Un nombre significatif
de soignants se sont isolés chez
eux », reconnaissait en soirée
Jenny Harris, la conseillère médi
cale adjointe du gouvernement.
Côté respirateurs, même mon
tée en puissance et même polé
En Inde, l’impossible confinement des plus pauvres
Fuyant des villes où ils n’ont plus de quoi vivre, les travailleurs migrants tentent de rentrer, pour beaucoup à pied, dans leurs régions d’origine
bombay et new delhi
correspondants
D
es grappes de familles,
balluchons sur la tête, en
fants dans le dos ou sur
les épaules, marchent en file in
dienne sur les voies rapides déser
tes de New Delhi. Elles sont en che
min pour rejoindre à pied leurs
villages ou villes natales dans l
’Uttar Pradesh, l’immense Etat à
l’est de la capitale, Moradabad,
Mathura, Agra. Des hommes céli
bataires, la moitié du visage pro
tégé par un foulard, n’ont emporté
qu’un sac à dos. D’autres, accom
pagnés de leurs femmes, poussent
des vélos chargés comme des mu
les avec tous leurs effets.
Les travailleurs migrants conti
nuaient de fuir, jeudi 26 mars, la
capitale indienne, malgré le con
finement total imposé mardi,
pour vingt et un jours, par le pre
mier ministre, Narendra Modi,
pour lutter contre la pandémie de
Covid19, qui progresse désor
mais rapidement dans le pays,
avec 723 cas et 17 morts.
Les marcheurs n’ont pas le
choix. Ils ont perdu leur travail et
n’ont pas eu le temps, ni les
moyens, de monter dans un
avion, un train ou un bus avant
l’arrêt des transports. Le risque est
pourtant grand de croiser les for
ces de l’ordre qui appliquent les
consignes sans compassion. Dans
l’Uttar Pradesh, des policiers ont
obligé des hommes à marcher à
quatre pattes pour les punir
d’avoir désobéi au confinement.
En Inde, selon le dernier recense
ment de 2011, environ 30 % de la
population est constituée de mi
grants de l’intérieur. Des hommes
seuls ou en famille, qui quittent les
campagnes pour tenter de trouver
du travail dans les centres urbains.
Les moins instruits ne peuvent
qu’espérer des travaux de labeur.
A New Delhi, où ils seraient plus
de 6,3 millions, on les croise dans
les parcs publics, chargés de l’en
tretien, sur les chantiers de cons
truction, où des femmes notam
ment, malgré leur allure chétive,
portent sur la tête des kilos de gra
vats ou de matériaux. Ce sont
aussi les vendeurs de rue, les ra
masseurs de poubelles, les con
ducteurs de rickshaws à pédale,
les travailleurs sanitaires...
Ces migrants, qui travaillent
pour quelques centaines de rou
pies par mois, s’entassent dans
des bidonvilles. Les familles les
plus infortunées se retrouvent à
même le trottoir et envoient les
enfants mendier auprès des auto
mobilistes. Ils ne survivent que
grâce aux repas fournis par les as
sociations caritatives, notam
ment devant les hôpitaux. Des co
lonnes de personnes faméliques
se forment chaque jour le long de
la route au moment de la distribu
tion. Le chef du gouvernement de
New Delhi, Arvind Kejriwal, a an
noncé, jeudi 26 mars, qu’il allait
fournir de la nourriture aux sans
abri dans 235 points de la capitale.
Le gouvernement fédéral a dé
voilé, de son côté, un plan d’ur
gence de 20,6 milliards d’euros
pour les plus démunis. « Nous
voulons que personne n’ait faim
ou ne se retrouve sans argent.
Nous nous efforçons de tendre la
main aux femmes, aux tra
vailleurs migrants et aux couches
défavorisées de la société » , a
plaidé la ministre des finances,
Nirmala Sitharaman.
Le dispositif, opérationnel pour
trois mois, vise à garantir l’appro
visionnement en nourriture des
800 millions de personnes les
plus pauvres du souscontinent.
Chacune d’entre elles va avoir
droit, à compter du 1er avril, à « 5 kg
de riz ou de blé et à 1 kg de lentilles
de leur choix par mois » , les ali
ments de base en Inde.
Ces distributions sont destinées
aux habitants des bidonvilles,
mais également aux plus défavo
risés des campagnes, aux mi
grants de l’intérieur, au secteur in
formel qui représente 90 % des
emplois en Inde et environ 20 %
du produit intérieur brut (PIB).
L’autre série de mesures présen
tées par Mme Sitharaman porte sur
des aides financières de toutes
sortes : versement immédiat de
2 000 roupies (24,30 euros) à
87 millions d’agriculteurs, de
1 000 roupies (12,10 euros) à
30 millions de personnes âgées, de
veuves et de handicapés, distribu
tion de bonbonnes de gaz gratui
tes à 80 millions de foyers, prise en
charge par l’Etat des cotisations
sociales employeurs et salariés
dans les entreprises de moins de
100 employés, aide aux ouvriers
du secteur de la construction...
« C’est une blague! » , a réagi le
Parti communiste de l’Inde, à pro
pos des montants dérisoires que
toucheront les bénéficiaires. Ven
dredi matin, la presse soulignait
que l’ensemble représente « moins
de 1 % du produit intérieur brut ».
Catastrophe économique
Surtout, la plupart de ceux qui ont
un besoin d’argent immédiat ris
quent de ne pas en voir la couleur.
Pour toucher les aides publiques, il
faut en effet être enregistré dans
l’Etat où l’on travaille, ce qui n’est
pas le cas de millions d’ouvriers
agricoles, de manœuvres du BTP,
de barbiers ou de livreurs de lunch
boxes, ces boîtes dans lesquelles
les employés de la classe moyenne
se font porter leur déjeuner.
La ministre des finances entend
aussi encourager tous ceux qui in
terviennent dans le domaine de la
santé, soit environ 2 millions de
personnes. Pour elles, l’Etat va
créer une caisse d’assurancema
ladie spécifique, qui leur offrira
une couverture jusqu’à 5 millions
de roupies (60 736 euros) en cas de
besoin médical. Mardi 24 mars,
Mme Sitharaman avait par ailleurs
annoncé une enveloppe de
1,8 milliard d’euros visant à repor
ter les échéances de paiement des
impôts des particuliers et des en
treprises et à limiter les faillites.
Selon les calculs de la banque
Barclays, le confinement complet
va coûter à l’Inde « près de
109 milliards d’euros, soit 4 points
de PIB ». Une catastrophe pour
une économie qui subissait déjà
depuis le début de 2018 un très
fort ralentissement. Le rythme de
croissance annuel, tombé fin
2019 à 4,7 %, montre que, désor
mais, la récession menace.
guillaume delacroix
et sophie landrin
83 000 cas de Covid-19 aux Etats-Unis
Les Etats-Unis sont devenus, jeudi 26 mars, le pays recensant
le plus grand nombre de personnes atteintes du Covid-19, avec
plus de 83 000 cas, davantage que les 81 000 cas de la Chine, ber-
ceau de l’épidémie, et que l’Italie avec ses 80 000 cas. La Pénin-
sule enregistre le plus de décès, plus de 8 000, devant l’Espagne
(plus de 4 000 morts) et la Chine (3 287). Les Etats-Unis, avec 1 201
morts jeudi soir, sont en sixième position, derrière l’Iran et la
France. Tous les scénarios réalistes indiquent que la capacité du
système de santé américain sera submergée, a déclaré
Andrew Cuomo, le gouverneur de l’Etat de New York, évoquant
un déficit « astronomique » de respirateurs. Son Etat est le premier
foyer aux Etats-Unis, avec 23 000 cas confirmés et 365 morts.
mique. Le NHS n’en comptait que
5 000, de l’aveu de M. Hancock,
mimars. Il dispose désormais de
8 000 de ces machines et des « di
zaines de milliers » d’autres de
vraient arriver « dans les prochai
nes semaines », a précisé Downing
Street jeudi, grâce à un appel à
l’aide aux industriels.
La société de l’inventeur James
Dyson s’est engagée à en produire
10 000. En revanche, le gouverne
ment a avoué n’avoir pas parti
cipé aux achats européens grou
pés de ventilateurs lancés cou
rant mars. Pour des raisons idéo
logiques, Brexit oblige? Pas du
tout, a assuré Downing Street, à
cause d’un problème de commu
nication , « la date butoir pour y
participer a été ratée ». Londres
n’exclue pas de participer à la pro
chaine commande européenne.
L’épidémiologiste Neil Ferguson,
de l’Imperial College, s’est montré
« prudemment optimiste », mer
credi 25 mars. Auditionné par la
Commission des sciences du Par
lement britannique, l’auteur des
modélisations qui ont servi au
gouvernement à définir sa ré
ponse à la propagation du corona
virus a estimé que, grâce aux me
sures de confinement mises en
œuvre et à la montée en puissance
de l’hôpital, « il y a des endroits où
[ce dernier] sera extrêmement sous
tension, mais il devrait pouvoir
éviter d’être submergé ».
cécile ducourtieux
Le gouvernement
fédéral
a dévoilé un plan
d’urgence
de 20,6 milliards
d’euros pour
les plus démunis
QUESTION SPOLITIQUES
Dimanche 29 mars à 12 h
AméliedeMontchalin, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes
OlivierFaure, député de Seine-et-Marne,Premier secrétaire duParti socialiste
Ali Baddou,Carine Bécard et Solenn deRoyer
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© photo : Christophe Abramowitz
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