Libération - 03.04.2020

(Ann) #1
14 u Libération Vendredi 3 Avril 2020
France

Union européenne : le «club


des radins» contraint de lâcher du lest


Face à l’indignation
suscitée par leur
réaction, les pays
les plus rigoristes
de l’UE ont dû faire
amende honorable
en proposant des
solutions à la crise.

L


e coronavirus décime
une à une les vaches
­sacrées de l’Union
­européenne. Après le Pacte de
stabilité budgétaire et les rè-
gles de concurrence mis entre
parenthèses, les profondes
entorses à la libre circulation
et au libre-échange, le retour
de la politique ­industrielle,
c’est désormais une forte soli-
darité financière, jusque-là

munautaire, c’est-à-dire la so-
lidarité en temps de crise, n’est
pas une option, sinon c’est
tout le projet européen qui
s’effondre». Le club des radins
commence à en prendre
conscience.
Mais les «coronabonds»,
c’est-à-dire un emprunt eu-
ropéen destiné à financer les
dépenses liées à la crise du
coronavirus, restent toujours
aussi inacceptables pour
Berlin ou Amsterdam. Pour-
tant, il ne s’agit pas de mu-
tualiser de la vieille dette,
mais simplement d’apporter
une garantie commune à des
levées d’emprunt, ce qui as-
surerait un taux particulière-
ment bas. C’est seulement en
cas de défaut d’un Etat (très
improbable, vu l’action de la
Banque centrale européenne
qui garantit sans limites les
dettes de la zone euro) que

cela coûterait de l’argent aux
Etats garants...

«Sauvetage». Un blocage
psychologique qui explique
que ces pays sont plutôt favo-
rables à l’activation du Méca-
nisme européen de solidarité
(MES), un organisme inter-
gouvernemental (qui décide
à l’unanimité des gouverne-
ments) pouvant lever jusqu’à
700 milliards d’euros sur les
marchés financiers. L’idée
serait qu’il puisse prêter de
l’argent aux pays qui en ont
besoin, mais sans le plan de
rigueur qui y est normale-
ment associé. Le problème
est que ces prêts sont norma-
lement réservés à des Etats
qui n’ont plus accès au mar-
ché, ce qui n’est le cas de per-
sonne aujourd’hui. Les Pays-
Bas proposent la création
d’un fonds de 10 à 20 mil-

Par
Jean Quatremer
Correspondant à Bruxelles

Edouard Philippe,
la grande explication
Après deux JT de 20 heures et un 13 heures, le
Premier ministre, à qui Emmanuel Macron vient demander de re-
prendre en main la communication gouvernementale, était jeudi
soir pendant près de deux heures sur TF1. Objectif : rassurer les
Français, améliorer leur confiance dans l’action de l’Etat, en abor-
dant notamment les pistes de déconfinement sur lesquelles travaille
le gouvernement. Lire notre analyse sur Libé.fr. Photo AFP

LIBÉ.FR

La présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen (tailleur rose), face au Parlement européen, à Bruxelles, le 26 mars. Photo A. Oikonomou. AFP

liards d’euros, alimenté par
des contributions natio­nales
(Amsterdam se dit prêt à
mettre au pot 1,5 milliard
d’euros) : l’argent serait
donné sans condition. «Ce
n’est pas suffisant, mais c’est
une idée intéressante qui per-
met de discuter», note un di-
plomate français. Une autre
piste qui fait l’unanimité est
l’utilisation de la Banque eu-
ropéenne d’investissement
(BEI), qui peut emprunter et
prêter plusieurs dizaines de
milliards d’euros : «Ça pas-
sera par une augmentation
de son capital, mais la BEI a
montré à quel point elle était
efficace.»
Bruno Le Maire, le ministre
des Finances français, a pré-
senté mercredi la proposition
de la France : un «fonds de
sauvetage européen» géré par
la Commission, d’une durée
de vie de cinq à dix ans et des-
tiné à financer «les program-
mes dédiés pour renforcer les
systèmes de santé et relancer
l’économie». Il serait alimenté
par un impôt de solidarité ou
une contribution des Etats
membres et pourrait émettre
des obligations avec la garan-
tie commune des Vingt-Sept.
Autre «brique», selon le mot
d’un diplomate, le fonds Sure
proposé jeudi par la Commis-
sion, qui vise à offrir, pendant
la durée de la crise, un filet de
sécurité minimal destiné à
­financer les dépenses d’as­-
surance chômage des Etats :
l’Union européenne emprun-
terait 100 milliards d’euros sur
les marchés avec la garantie
commune des Etats membres
avant de les reprêter aux pays
qui en ont le plus besoin.
Enfin, la Commission a an-
noncé qu’elle allait modifier
sa proposition de «cadre fi-
nancier pluriannuel» pour
la période 2021-2027, «ce qui
reste le meilleur instrument
possible à condition qu’il soit
clairement plus ambitieux et
plus conséquent que la propo-
sition Juncker [1,13 % du re-
venu brut communautaire,
ndlr]», dit-on à l’Elysée.
«Le champ des possibles ap-
paraît», commente satisfait
un diplomate européen de
haut rang : «D’autres proposi-
tions vont suivre, Rome et Ma-
drid préparant une initiative
commune.» Il reviendra aux
ministres des Finances qui se
réunissent mardi de lister les
options, et la décision finale
reviendra aux chefs d’Etat et
de gouvernement.•

taire qui touche tout le
monde, ils ne pouvaient pas
faire pire.»
Depuis une semaine, le débat
dans ces pays n’a pas cessé, ce
qui les a conduits à assouplir
leur position et à proposer
une «réponse eu-
ropéenne». Ainsi
le très rigoriste
s o c i a l - d é m o -
crate Olaf Scholz, le ministre
allemand des Finances, se dit
«prêt à la solidarité, mais une
solidarité bien pensée». «Dans
cette période extraordinaire,
nous avons suspendu toutes
nos règles, explique-t-on à
l’Elysée. Si on en reste là, c’est-
à-dire au laisser-faire natio-
nal et on verra qui s’en sortira,
on pourra logiquement nous
rétorquer après la crise : mais
alors pourquoi on nous em-
merde en temps normal ?» Au-
trement dit, «la réponse com-

impensable, qui pourrait voir
le jour. En effet, les lignes
bougent très rapidement : le
«club des ­radins» (Allemagne,
Autriche, Finlande et Pays-
Bas), qui a brutalement re-
fusé, lors du sommet euro-
péen du 26 mars,
la création d’un
«instrument de
dette commun»,
se montre désormais plus
­ouvert à l’idée d’affronter de
conserve la crise économique
qui vient.

«Révolte». «Il y a eu un effet
boomerang que ces quatre
pays n’avaient pas anticipé»,
analyse un diplomate eu­-
ropéen : «Leur brutalité, leur
indifférence à la situation sa-
nitaire de l’Italie ou de l’Es-
pagne, a suscité un vent de
­révolte. Apparaître comme
égoïstes dans une crise sani-

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