Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

2 u Libération Vendredi 3 Avril 2020


Mardi à l’hôpital franco-britannique de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine),

«D


es moments exception-
nellement rudes» pour
l’Ile-de-France. Dans un
mail interne adressé mercredi à la
communauté hospitalière et que
­Libération s’est procuré, le directeur

général de l’Agence régionale de
santé (ARS), Aurélien Rousseau,
le dit sans fard : avec «plus
de 2 120 personnes en réa Covid +» et
une capacité d’accueil relevée
«grâce à la mobilisation incroyable
depuis une semaine à 2 200 lits», les
hôpitaux franciliens sont passés,
après «des dernières heures et une
nuit critique», en zone rouge vif. «Le
coup dur [de mardi] aura été le flux

de malades en réanimation, le
plus important depuis le début de
l’épidémie, alors même que les der-
niers jours pouvaient laisser entre-
voir un ralentissement», précise
­Aurélien Rousseau, ajoutant aussi-
tôt : «Personne ne sait dire si ce res-
saut est conjoncturel ou s’il se repro-
duira.» Dans la nuit de mardi à
mercredi, les admissions en réani-
mation ont fait un bond de 14 %

dans les établissements de l’Assis-
tance publique - Hôpitaux de Paris
(AP-HP). Jeudi après-midi, 2 330 pa-
tients étaient en réanimation en ré-
gion Ile-de-France et il restait 78 lits
disponibles. Autant dire que la
marge de manœuvre des hôpitaux
franciliens ressemble à une peau
de chagrin.

«LA RÉANIMATION
SOUS L’EAU»
En dépit d’ajustements acroba­-
tiques quotidiens, le risque d’une
submersion des établissements de
santé franciliens par la vague Covid
est plus que jamais d’actualité. Tout
comme son corollaire résumé par
le professeur Gilles Pialoux, infec-
tiologue à l’hôpital Tenon : «Lais-
ser, faute de place en réanimation,
un patient “sauvable” se dégrader
dans un service de médecine ou aux
­urgences.» Tous les services de réa-
nimation sont à flux tendu et
s’évertuent à «pousser les murs».
Publics, privés, et même militaires.
Depuis le 26 mars, l’ensemble des
établissements fran­ciliens travaille
main dans la main, par le biais de
la cellule régionale de régulation
«Covid réa», pour coordonner en
temps réel la répartition des nou-
velles admissions dans ces unités

de soins extrêmement lourds. Le
tableau de bord est utilisé 24 heu-
res sur 24 et dresse un constat im-
placable : tout le monde fait au
mieux, sur le fil.
Dans les structures publiques, cha-
que ouverture de lits de réanima-
tion supplémentaires est désormais
vécue comme une grande victoire.
«Il faut comprendre que les hôpi-
taux en sont aujourd’hui à mettre
toutes leurs forces pour faire les
fonds de ­tiroir», résume Laurent
Treluyer, l’un des médecins res-
ponsables du dispositif Covid réa.
Ainsi, l’hôpital Robert-Debré ba-
taille pour créer quatre nouveaux
lits avant la fin de la semaine.
Même chose à Bichat, Saint-An-
toine ou Avicenne (Bobigny) à une
ou deux unités près, ­tandis que le
paquebot de la Pitié-Salpêtrière
cherche des ­solutions pour ajouter
au plus vite 10 lits à ses 110 déjà
existants... «Chaque matin, on
­commence la journée angoissé en se
demandant si elle ne va pas se ter-
miner en désastre», dit Eric
­Magalhaes, médecin réanimateur
au Centre hospitalier sud francilien
(Corbeil-Essonnes). En l’espace de
deux semaines, son service est
passé de 32 lits habituels à 58 lits
­dédiés Covid-19. Insuffisant : «Je

Par
éric Favereau,
Anaïs Moran
et Nathalie Raulin

éditorial


Par
Laurent Joffrin

Dette morale


Dira-t-on jamais assez le cou-
rage et l’abnégation dont font
preuve les soignants des hôpi-
taux, des cliniques et des cabi-
nets de ville dans l’épreuve?
Après le Grand-Est, c’est l’Ile-
de-France qui est frappée au
cœur. Le nombre de malades est
en passe de dépasser le nombre
de lits disponibles, l’afflux en ré-
animation porte la tension à son
comble parmi les équipes médi-
cales, il faut déployer des trésors
insoupçonnés d’énergie et d’as-
tuce du désespoir pour dégager
des places, des centaines de vo-
lontaires qui risquent leur santé
et leur vie rejoignent le front au
mépris du danger. Le système
hospitalier survit au bord de la
rupture, chaque jour gagné est
un exploit. Et l’on annonce le
«pic» pour lundi, ce qui veut
dire qu’il n’est toujours pas at-
teint. La dette morale contractée

par la nation envers son person-
nel médical est considérable. On
ose espérer qu’elle ne sera pas
oubliée une fois la crise surmon-
tée. Personne ne doute que le
gouvernement et son adminis-
tration déploient les plus grands
efforts pour faire face. Réquisi-
tion de la réserve médicale,
transports en TGV ou en avion
pour alléger le poids qui pèse
sur la région parisienne, com-
mandes massives de masques,

de matériel spécialisé et de mé-
dicaments, appel à l’armée dont
l’aide par nature limitée est
­néanmoins précieuse : tout sem-
ble mis en œuvre pour sortir de
cette passe dramatique. Mais on
peut se demander, dans ces cir-
constances, s’il était très heu-
reux de disserter devant les dé-
putés réunis sur un écran des
conditions dans lesquelles on
allait mettre fin au confine-
ment. Certes, c’était en réponse
à une question d’un parlemen-
taire. Mais tout de même : les
médecins qui ont vu le débat ont
failli s’étrangler, tant ils redou-
tent un relâchement des disci-
plines si difficilement imposées
à la population, qui conduirait
immanquablement à un rebond
de l’épidémie. Encore une bizar-
rerie de communication, dont
les soignants se seraient
passés.•

Coronavirus

En Ile-de-France,

«on ne peut pas

faire plus»

Malgré les ajustements quotidiens et la réquisition de


soignants de toute la France, les établissements


franciliens sont sous pression et manquent de lits. Ils


tentent de se préparer au pic de l’épidémie attendu lundi.


Événement Santé

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