Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

4 u Libération Vendredi 3 Avril 2020


mardi lors d’un point de situation.
On a une première incertitude qui
est le flux de patients qui entre dans
les réanimations. On attend les effets
du confinement et pour l’instant
on ne sait pas quand va survenir
cette diminution du flux de patients
entrants. Mais on est aussi dans
une incertitude sur le flux de pa-
tients sortants [...] et sur la durée
de réanimation de ces patients.»
Sur le pont quasi non-stop depuis
deux semaines, les soignants fran­-
ciliens en première ligne sont au
bord de l’épuisement. Mercredi soir,
lors d’une réunion de la commission
médicale d’établissement de
l’AP-HP, son président, le professeur
Rémi Salomon, a révisé à la hausse
(à 2400) le besoin régional en lits de
réanimation, pour pouvoir faire
face à un «pic attendu lundi». Pour
les hospitaliers, le pire est encore
à venir.•

lui aussi trouvé. Reste la question
des médicaments «de base» en réa­-
nimation (curares, antibiotiques,
morphine) dont les stocks fondent
à vue d’œil (lire page 3) : devant
la difficulté des hôpitaux à se pro-
curer les médicaments nécessaires,
l’Etat, mieux à même de négocier
avec les producteurs étrangers,
pourrait se transformer en centrale
d’achat générale, puis redistribuer
aux hôpitaux en fonction de
leurs besoins.

«On est dans une
Triple incertitude»
Tendu comme un arc, le système sa-
nitaire francilien résiste donc jour
après jour, heure après heure, au Co-
vid. Mais au prix d’un effort dantes-
que. Jusqu’à quand? «Aujour­d’hui,
on est encore dans une triple incerti-
tude, a reconnu Bruno Riou, direc-
teur médical de crise de l’AP-HP,

France ont été fixés dans la nuit de
mardi à mercredi aux directeurs
­généraux des ARS. Les soignants
ainsi réquisitionnés mais volontai-
res «se comptent en plusieurs cen-
taines, se félicite Rousseau. Un dis-
positif ­inédit de récupération de ces
personnels par avion sera mis en
œuvre. Les soignants qui arriveront
seront projetés là où demeurent des
capacités en lits».
Jeudi soir, lors de sa conférence de
presse quotidienne, le directeur gé-
néral de la santé, Jérôme Salomon,
a annoncé les premières arrivées :
«Des renforts humains, plus de
112 professionnels de santé compé-
tents en réanimation, sont arrivés
aujourd’hui. Nous en attendons de-
main plus de 100, médecins anesthé-
sistes, réanimateurs, infirmiers et
aide-soignants.»
Le matériel nécessaire, à commen-
cer par les respirateurs, devrait être

plus loin encore que notre actuelle
capacité de 2 200 lits, mais à condi-
tion d’avoir des renforts de person-
nels que l’on a documentés hôpital
par hôpital, clinique par clinique»,
souligne Rousseau dans sa note. Or
la mobilisation des soignants fran-
ciliens via la plateforme #Renforts-
Covid ne suffit pas. «On dispose de
tout le matériel pour ouvrir encore
des lits de réanimation mais on n’a
pas les trois infirmières présentes
24 heures sur 24 pour s’occuper de
chaque patient», signalait lundi le
directeur général de l’AP-HP, Mar-
tin Hirsch, à Libération.

«Centaines»
de volontaires
C’est donc un appel d’une tout au-
tre ampleur et sur un mode plus di-
rectif qui vient d’être lancé. Des ob-
jectifs de mise à disposition de
soignants au profit de l’Ile-de-

T


out est parti au mois
de juin d’un exercice
grandeur nature du
Samu de Paris. Il s’agissait
alors de tester la possibilité
de mettre sur rails des trains
médicalisés dans le cas où se
produiraient, à nouveau, des
attentats. Dans ces situations
extrêmes, le transport ferro-
viaire présente deux avanta-
ges : il permet d’emporter
plus de patients qu’un avion
et il n’est pas soumis aux vi-
brations ou turbulences.
Equipes médicales et ingé-
nieurs de la SNCF se mettent
donc au boulot et imaginent
un système d’arrimage des
brancards sur le haut des siè-
ges habituellement occupés
par les passagers. «Nous
avons travaillé avec la SNCF
pour adapter les bons équipe-
ments et nous apercevoir qu’il
n’était pas possible d’installer
des patients dans la partie
haute des rames», se souvient
Caroline Telion, médecin de-
puis de longues années au
Samu de Paris.

Désinfecté. Lorsque les hô-
pitaux de l’est de la France
ont commencé à être saturés
avec la crise sanitaire du co-
ronavirus, tout était donc prêt
du côté de la SNCF pour assu-
rer des transferts de patients.

Un train médicalisé se com-
pose de deux rames à double
étage. La première est entiè-
rement vide, la seconde com-
porte quatre patients par voi-
ture. La veille du départ, le
TGV est désinfecté et chargé
en bouteilles d’oxygène et en
instruments médicaux. Les
brancards sont installés dans
la partie basse. La partie
haute est réservée aux circu-
lations des soignants et des
équipes techniques. La voitu-
re-bar est transformée en
poste de commandement. Il
faut du monde pour faire
fonctionner un train ainsi af-
frété. L’équipe médicale com-
prend 50 personnes : méde-
cins et paramédicaux. S’y
ajoutent, côté SNCF, deux
conducteurs, trois agents de
sécurité et deux dépanneurs.
Tous volontaires pour effec-
tuer ce type de voyage. L’une

Dans les coulisses


des TGV médicalisés


Plus pratiques
et confortables
pour les patients
que les avions,
des trains sont
affrétés pour
désaturer
les hôpitaux.

des appréhensions dans ces
transports sanitaires est la
panne ou encore la collision
avec un sanglier ou une voi-
ture bloquée à un passage à
niveau. C’est pour cela que la
première rame du convoi est
entièrement vide. La pré-
s ence d’un deuxième
­conducteur ou encore
d’agents de réparation est
destinée à répondre aux
­dysfonctionnements de toute
nature.

Batteries. Pour les soi-
gnants, toute la problémati-
que est de maintenir la
­permanence des soins pen-
dant le voyage «Il faut que les
patients puissent continuer à
être sédatés [anesthésiés,
ndlr] et ventilés», précise Ca-
roline Talian. Les pousse-se-
ringues électriques et les res-
pirateurs doivent continuer à

fonctionner pendant que le
train file à grande vitesse. Ces
appareils sont branchés sur
les prises qui servent habi-
tuellement à recharger les té-
léphones mobiles et les ordi-
nateurs des voyageurs. En
revanche, des batteries com-
plémentaires ont été prévues
par la SNCF, au cas où la rame
cesserait brutalement d’être
alimentée en énergie. Il s’agit
en fait de la duplication du
dispositif de groupe électro-
gène qui se met en marche à
l’hôpital dès lors qu’une
panne de courant se produit.
La SNCF met à disposition
gratuitement ses trains et ses
cheminots pour la direction
générale de la santé. Deux
­rames TGV pourraient être
programmées ce week-end
pour de nouveaux transports
de patients.
Franck Bouaziz

Mercredi, gare d’Austerlitz, le transfert de patients vers la Bretagne. T. SAMSON. AFP

ont quitté la
gare d’Austerlitz à bord de TGV mé-
dicalisés (lire page 4) pour ­Rennes,
Saint-Brieuc et Brest, villes dont
les services réanimation sont en-
core très loin d’être embouteillés.
Dans la nuit de mercredi à jeudi,
près de 100 autres patients ont été
transférés, en hélicoptère et convois
terrestres, de l’Ile-de-France vers
des hôpitaux de province. Des opé-
rations spectaculaires appelées à se
répéter dans les prochains jours et
semaines, mais qui ne suffiront
pas à elles seules à tenir l’hôpital
hors de l’eau.
Face à l’afflux massif de patients
Covid, dont beaucoup désormais
arrivent dans un état si dégradé
qu’il faut immédiatement les placer
en réanimation, l’ouverture de lits
franciliens supplémentaires reste la
priorité pour le directeur général de
l’ARS. «Nous pourrions aller un peu

Suite de la page 3

Événement Santé


La Bretagne, terre
d’accueil des malades
d’ïle-de-France
et du Grand-Est
Depuis une dizaine de jours, la Bretagne est
devenue l’une des terres d’accueil de patients
en provenance d’Ile-de-France et du Grand-
Est. Et elle pourrait le rester un moment, dans
la mesure où localement le pic de
contamination, repoussé de semaine en
semaine, n’a pas encore mobilisé toutes ses
capacités médicales, aujourd’hui bien en deçà
de la saturation. Au risque de se retrouver en
difficulté face à une vague de nouveaux cas
dans la région?
«Techniquement, tant que nous sommes en
mesure de répondre à la demande, nous le
faisons, relève Stéphane Mulliez, directeur de
l’agence régionale de la santé (ARS) en
Bretagne. Nous regardons au jour le jour
combien de malades sont en réanimation,
combien sont hospitalisés et combien ont
regagné leur domicile.» Mercredi, ce bilan
quotidien s’élevait à 79 patients dans les
services de réanimation des principaux
centres hospitaliers bretons, auxquels se sont
ajoutés 36 malades venus par TGV sanitaires
d’Ile-de-France et pris en charge dans les
hôpitaux de Rennes, Brest et Saint-Brieuc. Des
chiffres encore relativement faibles au regard
des 364 lits en réanimation qui sont
potentiellement mobilisables (contre 164 hors
pandémie), dont la moitié environ – si on
ajoute aux victimes du Covid-19 d’autres
pathologies pour lesquels ces services sont
indispensables – sont occupés.
A Rennes, alors que 27 malades sont actu­-
ellement en réanimation (dont 12 personnes
transférées d’Ile-de-France), le plan de
mobilisation lancé dans les différents services
du CHU et les cliniques privées permettrait si
nécessaire de passer de 48 lits à 100 lits
susceptibles d’accueillir les malades les plus
gravement atteints. Pour l’heure, on n’y
constate aucune pénurie de respirateurs et
autres moyens matériels indispensable. Du
personnel soignant a même été dépêché en
­région parisienne pour y ­soutenir les équipes
médicales. «Nous sommes toujours prêts à
participer à la solidarité nationale si nous
sommes sollicités, souligne Véronique
Anatole-Touzet, directrice générale du CHU.
C’est aussi un enjeu éthique, il serait tout à fait
anormal qu’on n’accueille pas des malades
d’établissements pour qui cela peut être un
enjeu vital.»
Pierre-Henri Allain (à Rennes)
Free download pdf