Libération Lundi 23 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9
P
rofesseur à l’université
de Padoue et ancien pré-
sident de la société euro-
péenne de virologie, Giorgio
Palù reconnaît qu’il y a une
spécificité lombarde dans
l’épidémie de coronavirus et
avance des explications.
Le nombre de victimes et
de morts en Lombardie
fait-il craindre une muta-
tion du virus?
Non, par rapport aux données
dont nous disposons, le Sars-
Covid-2 [le nom du virus qui en-
traîne la maladie Covid-19,
ndlr] est assez stable. Un collè-
gue allemand a comparé la sé-
quence du génome à partir d’un
de ses compatriotes qui avait
attrapé le coronavirus depuis la
Chine et celle d’un autre patient
allemand qui l’avait rapporté
depuis l’Italie : il n’y a pratique-
ment pas de différences. Le
Sars-Cov-2 mute beaucoup
moins que d’autres virus.
Les causes de cette explo-
sion lombarde sont-elles
liées à des facteurs environ-
nementaux, sociologiques
ou de prédispositions de la
population?
Non, je ne crois pas que ce
soit l’élément essentiel. Sinon
comment comprendre les dif-
férences de taux de mortalité
entre la Lombardie, la Vénétie
ou le Piémont? Par ailleurs, on
n’a jamais constaté que les ha-
bitants de Lombardie dévelop-
paient des pathologies diffé-
rentes du reste de l’Italie. Il faut
sans doute chercher du côté du
système sanitaire lombard.
Y a-t-il des défaillances?
Paradoxalement, le système
lombard est victime de son ex-
cellence. Il est très avancé dans
sa préparation, avec un nom-
bre de lits en réanimation
supérieur à celui des autres
régions. Résultat : ils ont eu
tendance à hospitaliser trop
rapidement et de manière ex-
cessive. Or le coronavirus est
une maladie à très grande dif-
fusion nosocomiale. Il suffit
de comparer les chiffres entre
la Lombardie et la Vénétie [qui
ont enregistré respectivement
3 095 et 146 morts au 21 mars].
Dans le premier cas, 60 % des
malades ont été hospitalisés,
d a n s l e s e c o n d s e u l e -
ment 20 %. Le taux de mor-
talité lombard qui avoisine
les 16 % ne veut pas dire grand-
chose car le nombre de per-
sonnes contaminées est sans
doute beaucoup plus élevé.
Pourquoi la Lombardie re-
court-elle autant à l’hospi-
talisation?
Elle a un système de santé, à la
fois public et privé, très effi-
cace. Quand on arrive aux ur-
gences, on n’hésite pas à vous
hospitaliser. C’est
très différent, par
exemple, dans le
sud du pays, où
de toute manière
il n’y a pas suffi-
samment de lits
pour vous ac-
cueillir. Or c’est
dans les structu-
res sanitaires que
le Sars-Cov-2 se
diffuse le plus. Y compris parmi
le personnel médical. Les hô-
pitaux sont des superdiffuseurs
du virus. A Trévise, là où, en
Vénétie, on a assisté à de nom-
breux cas d’hospitalisation, en-
viron 100 médecins et person-
nels soignants sont infectés. Il
suffit aussi d’observer le cas de
Codogno [le premier foyer épi-
démique italien, en Lombar-
die]. Quand les capacités de
l’hôpital local ont été saturées,
on a transféré des patients vers
l’hôpital de Bergame et on a
ainsi favorisé la diffusion du
Covid-19 sur place. On avait
déjà observé cette diffusion ra-
pide des virus à travers les sys-
tèmes hospitaliers à l’occasion
de l’épidémie de Sras.
Que faudrait-il faire?
Eviter au maximum d’hospita-
liser les malades, tant que c’est
possible. C’est-à-dire laisser
chez eux, à l’isolement, les pa-
tients qui ont des
symptômes rela-
tivement légers,
une fièvre et une
insuffisance res-
piratoire légères.
Pour le reste, il
faut étendre le
confinement.
Au bout de com-
bien de temps
le confinement
produira-t-il ses effets?
Nous savons qu’en Chine,
les mesures de confinement
drastiques ont été prises une
semaine après le début de l’épi-
démie et qu’il a fallu cent jours
pour quasiment éteindre la ma-
ladie. En Italie, nous n’avons
pas pris des mesures aussi ra-
dicales dès le début, le confine-
ment pourrait par conséquent
durer plus longtemps.
Recueilli par É.J. (à Rome)
Interview
DR
«
«Le système de santé
lombard est victime
de son excellence»
Pour le professeur
italien Giorgio Palù,
il faut laisser le plus
possible les malades
chez eux, car c’est
à l’hôpital que le virus
se diffuse le plus.
temporaire, dédié à la lutte contre le Covid-19, le 16 mars. Photo Andreas Solaro. Afp
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presente par elisabeth quin
du lundi au jeudi a 20h05 sur