22 // ENTREPRISES Lundi 23 mars 2020 Les Echos
Paul Molga
— Correspondant à Marseille
« The day after, c’est génial! Ma
vie change. Je réapprends à
vivre en famille. Trois ados,
deux adultes dans un huis clos
pour 30, voire 45 jours? On doit
s’organiser. Donc on a sorti un
grand tableau et détaillé notre
planning quotidien : debout
tous ensemble à 7 heures. Yoga
en famille, petit-déjeuner, puis
travail individuel jusqu’à midi.
Une demi-heure de sport ou
d’activité ludique, une demi-
heure de travaux d’intérêt fami-
lial (ménage, vaisselle, prépara-
tion du repas...). Après le
déjeuner, une demi-heure de
lecture puis de nouveau le tra-
vail individuel jusqu’à 17/18 heu-
res. Sport à nouveau pendant
une heure, dîner et détente. On a
banni Netfix et on se rabat sur
des documentaires et des films
cultes. Notre priorité : ne tom-
ber ni dans l’ennui ni dans le
lavage de cerveau.
J’ai partagé ce planning avec
mes équipes, contraintes
comme moi au télétravail, et
décidé d’une conf call hebdoma-
daire sur Google Meet avec tous
les effectifs de la boîte, y compris
ceux en chômage partiel. On
doit se tenir prêt à redémarrer
au quart de tour après la crise. Et
pour ça, il faut un cadre, du
rythme et une dose de légèreté
pour maintenir le lien. Sponta-
nément, des ateliers sont nés de
cette première réunion virtuelle
mercredi : yoga en ligne pour
ceux qui souhaitent le matin,
cours de cuisine en visio avant
dîner. Les talents se révèlent. On
n’oublie pas nos 10.000 « gojo-
bers », notre force d’intérim : ils
peuvent participer à ces ateliers
via un compte Instagram dédié.
Je mesure à quel point l’humain
est la valeur la plus importante
dans une entreprise.
Business à tout prix
ou éthique solidaire?
Notre board l’a bien compris.
Nous tenions mercredi notre
conseil d’administration men-
suel. L’équipe a présenté nos
mesures d’urgence, la façon
dont nous avons basculé toutes
les fonctions vitales de l’entre-
prise en un seul jour, notre scé-
nario du pire pour tenir, même
si la situation s’aggrave, com-
ment nous préservons notre
capital humain... Les questions
ont ensuite porté sur l’éthique
du business : est-ce q u’on donne
des primes aux intérimaires q ui
acceptent de travailler dans les
entrepôts logistiques? Est-ce
qu’on augmente nos tarifs?
Est-ce qu’on facture nos servi-
ces solidaires, comme trouver
des lots de gel pour nos clients?
On a répondu non à toutes ces
questions et nos investisseurs
l’ont bien compris.
Nos priorités changent, notre
système de valeurs est boule-
versé. Nos motivations à pré-
sent : rester solidaire envers
notre écosystème de collabora-
teurs et de clients, mettre Gojob
en mode survie, rassurer et ne
rien lâcher. »n
Semaine de réorganisa-
tion personnelle et
professionnelle pour
le social entrepreneur
Pascal Lorne, PDG
de Gojob. La priorité :
préserver le capital
humain et maintenir
le moral des troupes.
« On doit se tenir
prêt à redémarrer
au quart de tour
après la crise »
CHRONIQUE
DU VIRUS #4
Pascal Lorne
période végétative », se poursuit.
« Sans ces deux activités il n’y aurait
évidemment aucune perspective de
reprise », souligne l e directeur géné-
ral de l’UMC, David Chatillon.
« La filière champagne mettra en
œuvre les mesures de soutien aux
entreprises décidées par le gouverne-
ment pour traverser la crise. Le sou-
tien des banques devra permettre
d’assurer le paiement de leur raisin
aux vignerons à l’échéance du 5 juin.
Les dispositifs d’accompagne-
ment des salariés seront actionnés »,
précise l’UMC. Un accord a été passé
avec les syndicats afin d’éviter le
chômage et reporter les heures non
travaillées sur d’autres semaines.
L’ impact de la crise sera
pire si elle dépasse juin
Impossible, à ce stade, de mesurer
les effets de la crise sanitaire sur
l’activité de la Champagne. Beau-
coup dépendra de la durée de la
pandémie. « Au-delà de mai-juin, la
situation deviendrait compliquée »,
estime le PDG de Lanson-BCC,
Bruno Paillard. Et ce même si la
moitié des ventes s’opère sur les
trois derniers mois de l’année.
La fermeture des bars, hôtels et
restaurants a un é norme retentisse-
ment sur le secteur. Chez Lanson,
toutes les marques ne sont pas con-
cernées au même titre, mais pour
plusieurs d’entre elles, comme Phi-
lipponnat, Besserat de Bellefon, De
Venoge, c’est 25 % du chiffre d’affai-
res. Bruno Paillard se dit « soulagé
par les mesures annoncées par le
gouvernement, sans lesquelles on
pouvait s’attendre à une cascade de
faillites dans le CHR ».
Lanson-BCC a vu son chiffre
d’affaires décliner de près de 10 % e n
2019, à 250 millions d’euros pour u n
résultat net en très fort retrait de
20,3 % à 10,1 millions. Les « gilets
jaunes » et les diverses protesta-
tions ont joué défavorablement. La
loi Egalim avec l’encadrement des
Un point positif cependant, la
dette senior de l’entreprise ne sera
plus que de 7 millions d’euros (puis
1 million en juin 2021), contre
25 millions jusque-là. Le groupe
s’est constitué par acquisitions suc-
cessives qui l’ont obligé à s’endetter.
Moyens marketing
Avant l’arrivée du coronavirus,
Lanson-BCC a constaté une bonne
activité du groupe au Royaume
Uni, malgré le Brexit et en dépit
d’une hausse des prix de ses cham-
pagnes. « Les ventes se sont bien
tenues au Japon, en Australie et en
Italie. E n revanche, nous avons tou-
jours du mal à nous imposer sur le
marché américain f aute de
moyens marketing à la hauteur »,
constate Bruno Paillard. L’efface-
ment de l a dette senior devrait don-
ner de nouvelles marges de
manœuvre au groupe, qui entend
poursuivre le développement de
ses vins haut de gamme.n
Les maisons de champagne enchaînent les fermetures
Marie-Josée Cougard
@CougardMarie
Les maisons de champagne fer-
ment les caves les unes après les
autres. En fin de semaine dernière,
le lock-out était quasi-général en
raison de l’épidémie de coronavi-
rus, à l’exception des activités de
tirage, qui permettent de vider les
cuves, en prévision des prochaines
vendanges, dit l’Union des maisons
de champagne (UMC). Le travail
dans les vignes, « crucial en cette
L’épidémie de coronavirus
a provoqué la fermeture
en chaîne des caves de
champagne. Le travail
dans les vignes se poursuit,
ainsi que l’activité de tirage,
sans quoi les prochaines
vendanges seraient
impossibles. L’ inquiétude
est liée à la durée de la crise
au-delà du mois de juin.
l’enjeu. Si certains, surtout dans
l’univers de la mode, continuent à
envoyer les courriels commerciaux
habituels, partant du principe que
les ventes se poursuivent sur Inter-
net, d’autres ont adapté leur dis-
cours. « Nous n’avons pas vraiment
le cœur aujourd’hui à vous parler
beauté. Nous espérons simplement
que vous et vos proches vous portez
bien », souligne ainsi la marque de
cosmétiques Nuxe.
Réactivité
Les entreprises cherchent à rassu-
rer. Comme Histoire d’Or sur les
commandes passées en magasin ou
les bijoux confiés qui sont mis en
sécurité. Société Générale s’engage
à proposer des solutions adaptées à
ceux qui rencontrent des difficul-
tés. Tandis que HSBC détaille les
mesures prises, notamment pour
faire face aux demandes à distance.
Certains commerces ne man-
quent pas d’imagination et de réac-
tivité. A Paris, la dynamique librai-
rie La 25e Heure, après avoir
cherché différentes solutions pour
pouvoir continuer à fournir des
ouvrages à ses clients, y a finale-
ment renoncé. Mais elle propose à
ses habitués un concours de nou-
velles qui pourrait, peut-être, un
jour déboucher sur un livre. Le
thème est tout trouvé : « confinés ».
En o utre, elle l eur suggère
d’envoyer chaque j our le nombre de
pages lues pour en faire un tableau
publié sur Instagram. De quoi
entretenir la relation au quotidien.
L’heure est à rendre service hors
de son champ habituel d’action.
Petit Bateau, qui vend bien sûr en
ligne, promet qu’il accompagnera
le temps de confinement en parta-
geant des activités pour les juniors
mais aussi pour les adultes et en
proposant des tutoriels. La maison
familiale d’épices Thiercelin, qui
rappelle que l’arrière grand-père a
succombé à la grippe espagnole,
laissant son jeune fils face à la
nécessité de reprendre l’entreprise,
termine son mail avec un lien pour
télécharger l’attestation de dépla-
cement désormais nécessaire à
chaque sortie.
baissent le seuil de la livraison
gratuite. Comtesse du Barry offre
les frais de port même si la plu-
part des boutiques restent ouver-
tes, commerce alimentaire
oblige. Marionnaud fait d e même.
Tandis que Veepee prolonge les
délais de retour de ses colis en
promettant de les délivrer sans
risque, à une cadence ralentie
mais constante.
Encore du chemin à faire
Si beaucoup se montrent réactifs,
certaines entreprises et marques,
au process automatisé, ne se sont
pas encore adaptées à la nouvelle
situation. A l’instar de Colissimo.
Qui renvoie un mail de rappel à
un client pour qu’il aille chercher
d’urgence un colis au bureau de
poste voisin sous peine de le voir
renvoyé à l’expéditeur alors que
celui-ci est fermé depuis lundi
avec une affichette « crise sani-
taire ». Certains ont donc encore
du chemin à faire. Sans pitié, le
coronavirus mettra leurs lacunes
sous les projecteurs.n
Comment les marques entretiennent le lien avec leurs clients
Clotilde Briard
@ClotildeBriard
Curieux temps pour les marques.
Dans un moment aussi hors nor-
mes que la crise du coronavirus,
elles doivent continuer à parler aux
clients, entretenir le lien, mais en
trouvant la bonne distance. Celles,
nombreuses, qui ne peuvent plus
exercer normalement leur activité
ont la nécessité, en outre, de déni-
cher d’autres moyens de rester en
contact pour une période indéter-
minée avec leurs clients.
La déferlante de mails que tout
un chacun reçoit depuis dimanche
dernier, entre deux spams pour des
masques d’origine douteuse, mon-
tre qu’elles ont bien conscience de
Même à distance,
les entreprises doivent
trouver le moyen de garder
le contact avec les consom-
mateurs. Elles ne manquent
pas d’imagination pour le
faire, cherchant à rassurer
et à rendre service.
En fin de semaine dernière, presque toutes les caves de champagne étaient fermées en raison de l’épidémie de coronavirus. Photo iStock
Le programme de fidélisation en
pharmacie myPharm offre
d’envoyer les ordonnances sur le
site Internet pour pouvoir récupé-
rer les médicaments dans un cré-
neau horaire choisi afin d’éviter
l’affluence « source potentielle de
contamination ». Et de voir avec son
pharmacien les modalités de livrai-
son à domicile.
Des gestes commerciaux sont
proposés tous azimuts. Entre
autres exemples, la F NAC et Darty
tout comme le Palais des Thés
Certaines enseignes
proposent des gestes
commerciaux
tous azimuts.
Pour d’autres, l’heure
est à rendre service
hors de leur champ
habituel d’action.
promotions aussi. Les ventes en
grande distribution en ont souffert,
précise Bruno Paillard, impactant
fortement le résultat opérationnel,
qui a chuté de 19,5 % à 17,6 millions.
La hausse du prix du raisin a, elle
aussi, eu un effet n égatif sur le résul-
tat opérationnel. Il faut 1,2 kilo
de raisin pour faire une bouteille de
champagne. « En cumul sur dix ans,
il a augmenté de 22,6 % », selonLan-
son-BCC. Comme la plupart des
maisons de champagne, le groupe
est très dépendant de son approvi-
sionnement en raisins. Il n’est auto-
nome que pour 8,5 % de ses besoins
avec 148 hectares de vignes.
+22,6 %
SUR DIX ANS
La hausse cumulée du prix
du raisin ces dernières années,
selon Lanson-BCC.