menacer la capacité des entreprises
à se refinancer.
Les fonds « investment grade »,
qui investissent dans la dette
d’entreprise jugée sûre, n’ont pas
échappé à la tendance, avec plus de
55 milliards de retraits. Une hémor-
ragie sans précédent : le dernier
record, établi la semaine précé-
dente, s’élevait à 17 milliards. Les
fonds à haut rendement (high
yield), qui investissent dans le mar-
ché bien plus petit de la dette de
sociétés plus fragiles (junk bonds)
ont, eux aussi, établi un nouveau
record de sorties – le quatrième con-
sécutif – avec 11 milliards de sorties.
A la recherche de rendement, les
investisseurs avaient accumulé de
la dette risquée ces dernières
années, qu’ils cherchent désormais
à céder au plus vite. Les signes de
fébrilité se multiplient également
du côté des fonds indiciels cotés
(ETF). L’ETF iShares de BlackRock
investissant sur la dette d’entreprise
« investment grade » en Europe,
s’est échangé au cours de la semaine
avec une décote pouvant aller jus-
qu’à 6,5 % par rapport à la valeur
nette de ses actifs établie la veille.
Cette décote très inhabituelle pour
un ETF de cette taille (plus de 10 mil-
liards de dollars) s’explique par la
disparition de la liquidité des actifs
Les coûts de financement ont suivi
le même chemin. Ils sont désormais
si élevés qu’une entreprise notée en
catégorie spéculative qui se refinan-
cerait aujourd’hui ne serait en
moyenne plus en capacité de faire
face à sa charge d’intérêt, mettent en
garde des analystes d’UBS.
Ces coûts restent théoriques,
aucune entreprise ne s’étant risquée
à tester le marché. Même les fonds
de prêts rechignent aujourd’hui à
financer des entreprises, tant les
dégâts économiques à venir sont
difficiles à évaluer.
Des segments à l’arrêt
Les segments plus exotiques du
marché du crédit sont, quant à eux,
à l’arrêt. La société de gestion Axiom
a ainsi annoncé le gel de son fonds
d’arbitrage de crédit jeudi, qui i nves-
tit dans des « tranches » de CDS, des
produits dérivés complexes. Le pro-
blème ne vient pas d’une éventuelle
décollecte, explique David Bena-
mou, le directeur des investisse-
ments, mais bien d’une incapacité
du marché à fixer des prix, en
l’absence d’échanges. « Nous avions
des souscriptions pour le mois de
mars mais, sans prix permettant de
calculer de manière fiable la valeur
liquidative, nous n’avons pas pu
émettre de nouvelles parts ».n
Les fonds obligataires enregistrent des sorties massives
Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud
Du jamais-vu. Les investisseurs ont
retiré massivement leurs capitaux
des marchés du crédit au cours des
dernières semaines. Ces derniers
jours, les sorties de capitaux se sont
accélérées. L’ampleur et la rapidité
de ces retraits ont eu des répercus-
sions sur l’ensemble des marchés,
entraînant en particulier des ventes
forcées et des mouvements errati-
ques sur les actifs les plus sûrs et
les plus liquides, comme les obli-
gations d’Etat.
Tous les compartiments du crédit
sont touchés, avec près de 109 mil-
liards de dollars de retraits hebdo-
madaires (semaine au 18 mars),
d’après les données EPFR. Un
record historique. De quoi faire tan-
guer dangereusement l’ensemble
des marchés du crédit et, à terme,
La liquidité s’évapore sur
les marchés du crédit,
où les sorties des fonds
sont d’une ampleur sans
précédent. Alors que les
entreprises se sont forte-
ment endettées ces dernières
années, une dislocation du
marché aurait des consé-
quences catastrophiques.
Conséquence : sur le marché
secondaire, la tranche A s’é change
à 84 % de sa valeur faciale, est la
tranche B à 14 %, d’après l e
« Financial Times ». Une mau-
vaise performance qui est com-
pensée par le fait que depuis
l’émission des pandemic bonds,
les investisseurs – parmi lesquels
on cite Amundi ou le britannique
Baillie Gifford – ont touché
96 millions de dollars d’intérêts.
Long délai
Mais le chemin à parcourir avant
que cet argent soit versé est très
long. Le système de déclenche-
ment d es pandemic bonds est très
complexe. Le prospectus d’émis-
sion, qui comptait 400 pages, pré-
voit que celui-ci ne peut interve-
nir que 84 j ours a près q ue l’OMS a
confirmé l’épidémie.
La décision sera donc prise le
23 mars, par un expert indépen-
dant, Air Worldwide, qui exami-
nera alors si le nombre de morts,
de cas déclarés et de cas confir-
més est bien conforme aux règles
du prospectus. Or à ce moment,
l’épidémie aura a priori com-
mencé à décroître en Asie. Cer-
tains experts pensent que les cri-
tères ne seront plus remplis,
puisque les pays d’Europe ne sont
pas éligibles. Les obligations
pourraient alors ne pas être
déclenchées.
L’hypothèse d’un paiement
reste cependant la plus probable.
Mais il faudra ensuite deux
semaines et demie à la Banque
mondiale pour verser les fonds,
donc au plus tôt le 9 avril. Mais,
avertit Bloomberg, cette date est
très proche du paiement du cou-
pon (les intérêts versés aux inves-
tisseurs). Donc le transfert pour-
rait n’avoir lieu qu’un mois plus
tard, aux alentours du 15 mai.n
Guillaume Benoit
@gb_eco
Ils avaient été lancés en grande
pompe par la Banque mondiale
en juillet 2017. Et pour cause, les
« pandemic bonds » représen-
taient une innovation : pour la
première fois, les marchés finan-
ciers allaient participer à la lutte
contre les graves épidémies. La
demande avait été exceptionnelle,
et 320 millions de dollars avaient
été levés. Mais alors que le nom-
bre de morts dans le monde a
dépassé les 10.000, pas un centime
n’a été versé aux bénéficiaires. Et
les pays qui en auraient le plus
besoin ne toucheront peut-être
rien avant le 15 mai. Bien trop tard.
La raison de cette situation
aberrante se trouve dans la
nature même de ces instruments
financiers. Ils sont conçus sur le
principe des obligations catastro-
phes, très répandues dans le sec-
teur de l’assurance. Ces obliga-
tions offrent un très fort
rendement à leurs porteurs, mais
si un sinistre survient, ces der-
niers perdent tout ou partie de
leur mise. Ce qui devrait ê tre le cas
avec l’épidémie de coronavirus.
La tranche B, la plus risquée,
d’un montant total de 95 millions
de dollars devrait être intégrale-
ment effacée. Les investisseurs
ayant choisi la tranche A, plus
sûre, pourraient perdre 17 % des
225 millions placés.
Présentés comme une
innovation permettant
d’apporter de l’aide
aux pays les plus fragiles
en cas d’épidémie,
les « pandemic bonds »
émis par la Banque
mondiale ne seront pas
déclenchés avant avril.
Le versement des pandemic
bonds se fait toujours attendre
celle-ci ne peut acheter plus de 33 %
de la dette d’un Etat, plafond déjà
atteint pour l’Allemagne. En reve-
nant massivement sur le marché de
la dette comme les autres pays mem-
bres, Berlin permet donc à la BCE
de faire ce qu’elle a prévu sans buter
sur cette limite et sur la clef de répar-
tition de ses rachats par pays. « C’est
un vrai changement de paradigme
pour la BCE, qui peut enfin assumer
son statut de prêteur en dernier
ressort de la zone euro », conclut
Frederik Ducrozet.n
Berlin souhaite lever 350 milliards
d’euros sur les marchés
l Le gouvernement allemand votera ce lundi une rallonge budgétaire de 156 milliards d’euros.
lLe Bundestag doit lui accorder une marge de manœuvre supplémentaire de 200 milliards d’euros.
lLa mobilisation de Berlin donne de la crédibilité à la promesse de la BCE d’un soutien sans limite aux Etats de la zone euro.
se réduit comme peau de chagrin.
La rallonge budgétaire, qui repré-
sente un bond de plus de 41 % des
dépenses, doit notamment permet-
tre de financer à hauteur de 50 mil-
liards d’euros le soutien aux indé-
pendants et petites entreprises qui
sont au bord de l’asphyxie. Le gou-
vernement s’attend à ce que 2,5 mil-
lions de personnes soient par
ailleurs touchées par des mesures
de chômage partiel. Selon l’A gence
pour l’emploi allemande, environ
76.700 demandes de recours à cet
instrument ont été reçues par son
réseau au cours de la semaine.
Fonds de stabilisation
Les 200 milliards d’euros supplé-
mentaires accordés par le Bundes-
tag ne tarderont pas non plus à être
utilisés. Selon la presse allemande,
le gouvernement souhaite en effet
mobiliser 100 milliards d’euros sup-
plémentaires pour refinancer les
prêts de la banque publique KfW,
chargée d’apporter toutes les liquidi-
tés nécessaires aux entreprises. Olaf
Scholz présentera également ce
lundi en Conseil des ministres un
projet de création d’un fonds de sta-
bilisation de 100 milliards d’euros
pour entrer au capital d’entreprises.
Doté par ailleurs de 400 milliards
d’euros de garanties, ce fonds public
sera calqué sur le « Soffin » qui avait
été conçu durant la crise financière
pour aider les banques comme
Commerzbank. Lufthansa pourrait
être parmi les premiers candidats à
une nationalisation partielle.
Selon Frederik Ducrozet, écono-
miste chez Pictet, cette mobilisation
du gouvernement allemand repré-
sente une étape majeure pour
l’UE. « En décidant de lever près de
10 % de son PIB sur les marchés, Ber-
lin donne à la BCE une crédibilité à
hauteur de sa promesse d’absorber
une grande partie des nouvelles émis-
sions des dettes des Etats de la zone
euro », souligne-t-il.
Faute de vouloir s’endetter, l’Alle-
magne limitait en effet les marges
de manœuvre de l’institution, car
ALLEMAGNE
Ninon Renaud
@NinonRenaud
— Correspondante à Berlin
Le « bazooka » financier promis le
13 mars par les ministres des Finan-
ces et de l’Economie Olaf Scholz et
Peter Altmaier pour protéger les
entreprises allemandes semble déjà
dépassé. Le premier a confirmé
samedi que le Conseil des ministres
allemand voterait lundi une ral-
longe budgétaire de 156 milliards
d’euros. De source gouvernemen-
tale, le Bundestag devrait, dans les
jours suivants, donner son accord
pour augmenter ce montant de
200 milliards en cas de besoin.
En acceptant de lever plus de
350 milliards d’euros de dettes après
dix années à s’employer à ramener
son taux d’endettement sous les
60 % de son PIB, Berlin souligne sa
détermination à défendre son éco-
nomie, quoi qu’il lui en coûte. Alors
que la question n’est plus de savoir
s’il y aura une récession, mais plutôt
quelle sera son ampleur, le bouclier
initial de plus de 500 milliards
d’euros (des garanties de l’Etat aux
crédits des entreprises) atteindra
ainsi 850 milliards d’euros, au bas
mot. « Nous ne laisserons pas solder
l’économie et l’industrie allemandes,
il ne doit pas y avoir de tabou », a mar-
telé Peter Altmaier vendredi.
L’épidémie de coronavirus s’éten-
dant outre-Rhin et les cas mortels se
multipliant – l’institut Robert Koch
en recensait dimanche matin 55
pour 18.610 malades –, le gouverne-
ment a décidé dimanche avec les
länder d’interdire pour « au moins
deux semaines » les rassemble-
ments de plus de deux personnes
dans les espaces publics et d’impo-
ser une distance de 1,5 mètre mini-
mum entre celles-ci. Les restaurants
et les salons de coiffure doivent par
ailleurs à leur tour fermer. Or ces
mesures ne font qu’aggraver la situa-
tion des entreprises dont l’activité
sous-jacents. En l’absence de prix
fiable sur la valeur des obligations
formant l’indice, difficile pour les
faiseurs de marché habituels de
remplir leur rôle.
Les incertitudes sur la valeur des
titres sont exacerbées par des diffi-
cultés opérationnelles. « Toutes les
contreparties, notamment de gran-
des banques de financement et
d’investissement, n’étaient pas prêtes
à passer l’ensemble de leurs employés
en télétravail », estime un profes-
sionnel. Heureusement, ces problè-
mes devraient être temporaires.
« En France, on voit déjà une amélio-
ration par rapport au début de la
semaine », assure-t-il.
Les tensions se manifestent éga-
lement dans le coût des CDS, ces
assurances contre le risque de
défaut des entreprises. Leur prix a
grimpé en flèche, qu’il s’agisse des
CDS sur les indices de dette « invest-
ment grade » ou à haut rendement.
Tous les comparti-
ments du crédit sont
touchés, avec près
de 109 milliards
de dollars de retraits
hebdomadaires.
« Nous ne
laisserons pas
solder l’économie
et l’industrie
allemandes,
il ne doit pas y avoir
de tabou. »
PETER ALTMAIER
Ministre allemand
de l’Economie
Le ministre fédéral des Finances, Olaf Scholz (à droite), a confirmé samedi que le Conseil des ministres allemand
voterait ce lundi une rallonge budgétaire de 156 milliards d’euros. Photo Michele Tantussi/Reuters
FINANCE & MARCHES
Les EchosLundi 23 mars 2020