12 |coronavirus MERCREDI 18 MARS 2020
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L’Inde, « bombe à retardement »,
cherche à gagner du temps
Le souscontinent restreint les arrivées d’Europe et de Chine,
pour tenter de préserver un système de santé très précaire
bombay correspondance
I
l n’est plus possible de passer
un coup de téléphone dans
certaines régions de l’Inde
sans avoir droit au préalable
à un message enregistré. On en
tend quelqu’un tousser, puis on a
droit aux recommandations :
« Lavezvous les mains, utilisez des
masques, tenez vos distances,
toussez dans votre coude »... Dé
tecté pour la première fois en Inde
le 30 janvier chez un étudiant du
Kerala de retour de Chine, le
coronavirus s’installe dans le
souscontinent.
Mardi 17 mars en fin de matinée,
les autorités indiennes faisaient
état de 127 personnes contami
nées et de 3 morts (sur une popu
lation de 1,35 milliard d’habi
tants), tandis qu’il était question
de 184 contaminations au
Pakistan (sur 197 millions d’habi
tants), 21 en Afghanistan, 18 au Sri
Lanka, 3 au Bangladesh, 1 au Népal
et 1 au Bhoutan. Des chiffres très
peu fiables, compte tenu de la
mauvaise situation sanitaire en
Asie du Sud et des concentrations
humaines élevées dans cette ré
gion qui abrite 20 % de la popula
tion mondiale.
La faiblesse des chiffres officiels
s’explique par ailleurs par le nom
bre encore très réduit de dépista
ges : 6 000 à ce stade en Inde, con
tre 12 000 en France, 23 000 en Ita
lie et 200 000 en Corée du Sud,
d’après les estimations du Conseil
indien de la recherche médicale
(ICMR), l’agence du ministère de
la santé responsable des tests.
L’Inde dispose d’un stock de
150 000 tests et en a commandé
1 million supplémentaire.
Comme le soulignent avec in
quiétude les médias locaux, « ab
sence de preuve n’est pas preuve
d’absence ». L’ICMR ne fait subir
de test qu’aux individus ayant
voyagé récemment en dehors de
l’Inde, ou à ceux qui ont pu être en
contact avec ces derniers. Car jus
qu’ici, le gouvernement dirigé par
le nationaliste hindou Narendra
Modi a choisi de montrer du doigt
les étrangers lors de la publication
quotidienne des statistiques.
Début mars, des touristes origi
naires d’Italie, de Corée du Sud et
du Japon se sont d’ailleurs vu ré
clamer des certificats médicaux
avant de pouvoir être admis dans
des hôtels au Rajasthan, au
Pendjab et dans l’Uttar Pradesh.
Plus récemment, Le Monde a eu
connaissance de voyageurs fran
çais bloqués au Kerala le temps
d’effectuer un test.
Déni de la menace?
Dès le 5 février, l’Inde avait sus
pendu les visas indiens en cours
de validité de tous les Chinois.
Depuis, d’autres nationalités,
dont les Français, ont été blo
quées aux frontières. A compter
du 18 mars, l’ensemble des res
sortissants européens sont
persona non grata.
Samedi 14 mars, Balram
Bhargava, directeur général de
l’ICMR, a déclaré au Times of India
que le pays avait « une fenêtre d’en
viron trente jours pour éviter de
passer au stade 3 de l’épidémie »,
celui qui est constaté lorsque le vi
rus circule sur tout le territoire et
non plus de façon isolée. Façon de
dire que les hôpitaux ont encore
un peu de temps pour se préparer
à accueillir des hordes de mala
des? Ou déni de la menace qui
plane sur un pays gigantesque,
qui connaît l’extrême pauvreté et
où l’on ne compte que 1,3 lit d’hô
pital pour mille habitants, d’après
les calculs du cabinet PwC?
« L’Inde est une bombe à retarde
ment et si les déplacements ne sont
pas interdits très rapidement, le
contrôle du virus va devenir im
possible », prévient l’endocrinolo
gue Shashank Joshi. Doyen de
l’Académie de physique, celuici
prie les autorités d’infliger « des
amendes pour stopper les crachats
dans les lieux publics et privés »,
pratique très fréquente en Inde.
« Quel que soit le scénario à venir,
il n’y a pas de raison de se laisser
gagner par la panique », assure
Srinath Reddy. Président de la
Fondation de la santé publique de
l’Inde (PHFI), ce dernier a dé
crypté la stratégie du gouverne
ment Modi dans l’Hindustan
Times. Le pari est de bloquer aux
frontières les contaminés poten
tiels venant de l’extérieur « jus
qu’à la miavril ». « Cela va permet
tre à notre système de santé de
traiter efficacement les cas détec
tés en Inde, sans que de nouveaux
entrants n’allongent la liste. La
transmission du virus à l’intérieur
du pays aura alors cessé et par la
suite, l’évolution de la pandémie
dans le reste du monde permettra
d’ajuster les contrôles à l’immigra
tion », expliquetil.
Les pays d’Asie du Sud sont sou
cieux de se concerter au jour le
jour sur la situation. A l’invita
tion de M. Modi, qui boudait
pourtant jusqu’alors cette en
ceinte, les huit membres de l’As
sociation sudasiatique pour la
coopération régionale (Inde,
Pakistan, Afghanistan, Népal,
Bhoutan, Bangladesh, Sri Lanka
et Maldives) ont acté en vidéo
conférence, dimanche 15 mars, la
création d’un fonds d’urgence
collectif.
#GoCorona
Signe que son pays est démuni
face au danger, le premier minis
tre indien a lancé un concours
d’idées sur Twitter, lundi 16 mars,
faisant miroiter une récompense
de 100 000 roupies (1 210 euros) à
celui qui trouvera une « solution
technologique » pour éviter le
Covid19. Pendant que quelques
illuminés de la mouvance natio
naliste hindoue font la promo
tion de l’urine de vache, animal
sacré, pour « chasser le démon
Corona », le secrétaire d’Etat en
charge de la justice sociale,
Ramdas Athawale, a lancé sur les
réseaux sociaux une formule
mystique à répéter comme un
mantra répulsif : #GoCorona.
Plus sérieusement, un hôpital
de Jaipur, au Rajasthan, a reçu
l’aval de l’autorité du médica
ment (Drug Controller General of
India) pour administrer début
mars à un couple d’Italiens sep
tuagénaires contaminés l’asso
ciation d’antirétroviraux lopina
virritonavir habituellement uti
lisée contre le VIH. Ce traitement,
déjà expérimenté en Chine, fait
actuellement l’objet d’essais clini
ques en France. Mardi 17 mars,
l’Inde a fait savoir que les deux Ita
liens étaient débarrassés du virus.
Partout, les mises en quaran
taine se multiplient. Au
Maharashtra, les autorités appo
sent un tampon indélébile sur la
main des personnes confinées à
domicile, afin de les dissuader de
s’échapper. A Delhi, où toutes les
écoles ont été fermées, le corona
virus a d’ores et déjà fait des victi
mes d’un autre genre : les mani
festants qui s’opposaient dans la
rue, depuis la midécembre, à la
politique communautariste du
gouvernement Modi. Tout ras
semblement de plus de 50 per
sonnes étant désormais interdit,
la contestation politique visible a
subitement pris fin.
guillaume delacroix
A compter du
18 mars,
l’ensemble des
ressortissants
européens
sont persona
non grata
Israël : surveillance électronique de masse contre le virus
Le Shin Bet pourra traquer les données de localisation des téléphones portables de personnes infectées sans autorisation de la justice
jérusalem correspondant
L
e premier ministre israé
lien, Benyamin Nétanya
hou, a autorisé l’usage de
méthodes de surveillance élec
tronique de masse, d’ordinaire ré
servées à la lutte antiterroriste,
pour endiguer la diffusion de
l’épidémie due au coronavirus
SARSCoV2. Lundi 16 mars au
soir, le gouvernement devait
étendre en ce sens, en urgence, les
prérogatives du service de rensei
gnement intérieur, le Shin Bet,
avec l’accord du procureur géné
ral, Avichaï Mandelblit. Cela re
vient à appliquer en Israël des
méthodes de surveillance com
parables à celles employées dans
les territoires palestiniens occu
pés depuis 1967, et dans les zones
sous contrôle de l’Autorité palesti
nienne et du Hamas, à Gaza.
En pratique, la mesure annoncée
autorise le Shin Beth à traquer,
sans autorisation préalable de la
justice et durant trente jours, les
données de localisation des télé
phones portables de personnes in
fectées, comme de ceux qui se
sont trouvés près d’eux dans les
quatorze jours avant qu’elles aient
été testées. Une analyse de ces
données sera transmise au minis
tère de la santé, qui devra prévenir
par SMS les personnes suscepti
bles d’avoir été contaminées, en
leur demandant de se placer en
quarantaine chez eux.
L’implication du Shin Bet dans
une crise civile, hors du cadre déjà
large de l’antiterrorisme et de la
défense de la sécurité de l’Etat, sus
cite des critiques au sein de l’oppo
sition de gauche, parmi des juris
tes et des organisations de défense
des libertés. « Le gouvernement a le
pouvoir de passer des mesures d’ur
gence pour une brève période »,
rappelle Daniel Friedmann, an
cien ministre de la justice et ex
doyen de la faculté de droit de
l’université de TelAviv. « Mais je
doute que cette législation soit ap
propriée à la situation : elle repré
sente une sérieuse atteinte à la vie
privée [des Israéliens] et le Parle
ment n’est pas vraiment en état de
statuer pour l’heure. »
Lundi aprèsmidi, le comité de la
Knesset chargé du renseigne
ment, dont l’accord est nécessaire
à l’application d’une telle mesure,
n’est pas parvenu à se prononcer,
après un bref débat. Il a été auto
matiquement dissous à 16 heures,
à la suite de l’investiture des nou
veaux députés, élus lors des légis
latives du 2 mars. Dans un hémi
cycle vide, ceuxci ont prêté ser
ment trois par trois, en applica
tion de la mesure anticontagion.
Dans la soirée, M. Nétanyahou a
précisé que le gouvernement ap
pliquerait ces mesures d’urgence
sans l’accord du Parlement. De
puis plusieurs jours, la presse s’in
terroge sur une rupture de l’équi
libre des pouvoirs en cours : un
gouvernement de transition, qui
a échoué à reconstituer sa majo
rité au fil de trois élections législa
tives depuis avril 2019, multiplie
les mesures draconiennes pour
lutter contre l’épidémie. Diman
che, le ministre de la justice a été
vivement critiqué pour avoir dé
cidé, au milieu de la nuit, de res
treindre l’activité des tribunaux,
provoquant le report du procès de
M. Nétanyahou pour corruption,
fraude et abus de confiance, qui
devait s’ouvrir le 17 mars.
Une loi très permissive
M. Nétanyahou a reconnu samedi
que ces mesures de surveillance
électronique « impliquent un cer
tain niveau d’atteinte à la vie privée
des gens, lorsque nous vérifierons
avec qui ils ont été en contact après
être tombés malades, et ce qui a
précédé et a suivi ». Cinq ministres
Au Brésil, Bolsonaro
choisit les bains de foule
Le déni du président, censé être à
l’isolement, illustre l’impréparation du pays
rio de janeiro correspondant
I
l n’a pas pu résister à la tenta
tion : dimanche, Jair Bolso
naro, a finalement descendu
la rampe du palais présidentiel
pour saluer ses partisans, réunis
sur la place des TroisPouvoirs de
Brasilia, comme dans d’autres
villes à travers le pays, en soutien
à sa politique. Sourire aux lèvres,
mais sans masque, le président
brésilien a serré les mains, pris
des selfies et agité une grande
bannière nationale sous les vi
vats. En 58 minutes de bain de
foule, il aurait été en contact avec
pas moins de 272 personnes.
Le leader d’extrême droite n’a
que faire des recommandations
d’hygiène. Plusieurs personnalités
de son administration ont pour
tant été diagnostiquées positives
au coronavirus, dont 13 membres
de la délégation l’ayant accompa
gné aux EtatsUnis la semaine der
nière. « Je ne vais pas vivre prison
nier à l’Alvorada [la résidence du
chef de l’Etat]! », a lâché lundi
M. Bolsonaro. Testé négatif au
Covid19, vendredi 13 mars, il de
vrait malgré tout, en théorie, de
meurer dans un isolement pré
ventif. Pour Jair Bolsonaro, la pan
démie est une « petite crise » ou
une « hystérie » née de l’« imagina
tion » des médias.
Le chef de l’Etat joint l’inaction
à la parole : le Brésil n’a, pour le
moment, pris aucune mesure
d’ampleur pour faire face au
virus. Les frontières ne sont
pas fermées et aucun confine
ment national n’est prévu. Le
plan du gouvernement, dévoilé
lundi, prévoit certes d’injecter
147,3 milliards de reais (26 mil
liards d’euros) pour soutenir une
croissance en berne. Mais pour
le ministre de l’économie,
Paulo Guedes, pas question de
mettre le pays en quarantaine.
« Si tout le monde reste à la mai
son, [l’économie] va s’effondrer »,
s’estil justifié.
Chez les « bolsonaristes » les
plus radicaux, on ne croit ni à la
gravité, ni même à la pandémie,
qualifiée de « mensonge » ou de
« comunavirus » (virus commu
niste). Ils sont en cela soutenus
par plusieurs leaders évangéli
ques, tel Edir Macedo, le très
puissant fondateur de l’Eglise
universelle du royaume de Dieu,
qui a décrit dimanche la maladie
comme inoffensive et attri
bué ses origines à une étrange
alliance entre « Satan » et les
grands médias.
Avec 234 cas confirmés (et
2 000 suspects) lundi soir, le Bré
sil est pourtant bel et bien tou
ché. Mais le pays est loin d’être
prêt à faire face. Les trois quarts
de la population, ne possédant
aucune mutuelle, dépendent
du très précaire système de santé
public (SUS).
Selon la presse, ce dernier pos
séderait autour de 20 000 lits en
soins intensifs, aujourd’hui à
95 % occupés, et seulement 5 800
appareils d’assistance respira
toire, avec d’immenses dispari
tés selon les régions. Dans le pau
vre Etat amazonien d’Amapa, on
ne compte ainsi, dans le réseau
public, que 11 appareils pour
850 000 habitants...
Pour pallier l’inaction de Brasi
lia, les élus locaux prennent les
devants : état d’urgence déclaré
dans plusieurs Etats, cellules de
crise, suspension des congés des
médecins, interdiction de ras
semblements, fermeture des
écoles... Des véhicules de pom
piers passent désormais le long
des plages de Copacabana et Ipa
nema, à Rio, pour implorer les
baigneurs de rentrer chez eux.
« Inadmissible », « injustifiable »
Mais cela seratil suffisant?
« Aucun système de santé au
monde n’est prêt pour une crise de
cette ampleur », tempère Walter
Cintra Ferreira Junior, expert en
santé publique à la Fondation
GetulioVargas (FGV). Luimême
égrène les « qualités » et « dé
fauts » de son pays pour faire face
au Covid19. « Par exemple, à la
différence de l’Europe, les équi
pes de santé brésiliennes luttent
régulièrement contre des épidé
mies, comme la dengue, le
chikungunya, zika ou la rou
geole... Elles ont une certaine ex
périence », expliquetil.
Mais le chercheur rappelle aussi
que le système public de santé n’a
« tout simplement pas assez de
moyens, même en temps normal ».
Luimême reste sceptique sur
d’éventuelles mesures de confi
nement. Dans certains quartiers
pauvres ou dangereux, « ce serait
très difficile à mettre en place :
même la police n’arrive pas à accé
der à ces endroits, et je ne vois pas
qui va aller contrôler les allers et
venues làbas », estime Walter
Cintra Ferreira Junior.
bruno meyerfeld
ont demandé au viceprocureur
général, Raz Nizri, d’imposer l’effa
cement de toutes les données
30 jours après la fin de l’épidémie.
Le Shin Beth ne serait pas autorisé
à faire un autre usage de ces don
nées. A Taïwan, seul endroit au
monde ayant usé publiquement
de telles méthodes contre l’épidé
mie, les autorités ont utilisé des
données de téléphones portables
pour s’assurer que les personnes
infectées respectaient l’isolement.
Le Shin Beth a précisé dimanche
qu’un tel usage de ses capacités
n’était pas envisagé en Israël.
Selon des révélations du New
York Times, publiées lundi, un tel
ciblage des individus à risque se
rait permis par l’exploitation
d’une vaste masse de données
personnelles que le Shin Beth
aurait accumulées discrètement
depuis 2002. L’agence aurait ob
tenu de façon systématique des
métadonnées auprès des opéra
teurs téléphoniques israéliens,
dans le pays et dans les territoires
palestiniens, sans révéler la ma
nière dont elles sont stockées et
protégées, qui précisément y a ac
cès, sous quelles conditions, et la
façon dont elle en use.
Ces méthodes s’inscrivent dans
le cadre d’une loi très permissive
pour l’agence de sécurité israé
lienne, votée dès 2002. Ce texte
laisse au premier ministre la lati
tude de déterminer quelles infor
mations sur les clients des opéra
teurs « sont nécessaires au service
pour accomplir sa tâche », et im
pose aux opérateurs de les transfé
rer au Shin Beth. Le service est
autorisé à en user durant six mois,
mais son directeur peut renouve
ler ce mandat. Il doit en rendre
compte au procureur général tous
les trois mois, et au comité du Par
lement chargé du renseignement
une fois par an.
louis imbert
Un seul nouveau cas à Wuhan
La Chine a rapporté, mardi 17 mars, un seul nouveau cas d’ori-
gine locale de contamination par le Covid-19, mais également
20 cas importés par des personnes entrées dans le pays, dont 9 à
Pékin et 3 à Shanghaï. Le seul cas indigène a été enregistré à Wu-
han, la ville du centre du pays où l’épidémie est apparue à la fin
- La Chine a affirmé la semaine dernière avoir « pratique-
ment jugulé » le virus, mais le pays craint son retour par les visi-
teurs en provenance de l’étranger. La Chine a désormais compta-
bilisé 143 cas importés. Le bilan des victimes a également
augmenté, avec 13 morts au cours des dernières 24 heures, por-
tant le total à 3226. La maladie est désormais moins répandue
dans son berceau chinois que dans le reste du monde.
Dès le 5 février,
l’Inde avait
suspendu
les visas indiens
en cours de
validité de tous
les Chinois