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MERCREDI 11 MARS 2020 planète | 9Une église évangélique vecteur de contamination
Fin février, Mulhouse accueillait un rassemblement pentecôtiste de 2 000 fidèles, venus de toute la France
J
usqu’au 18 mars inclus, cultes
en live uniquement. » Délivré
sur la page d’accueil du site
Internet de l’église évangéli
que La Porte ouverte chrétienne,
lieu de culte du quartier popu
laire de Bourtzwiller, à Mulhouse
(HautRhin), le message prie les
fidèles de passer leur chemin
pour se connecter à l’Esprit saint
depuis leur domicile, par écran
d’ordinateur interposé.
Cette Eglise pentecôtiste – une
branche du protestantisme – a été
identifiée début mars comme un
important foyer de contamina
tion au coronavirus. Il a essaimé
du Cotentin (Manche) à la Corse,
en passant par la Guyane, depuis
que plus de 2 000 personnes (dont
environ 300 enfants) venues de
toute la France, y compris des
outremer, et de pays limitrophes
comme la Suisse, la Belgique ou
l’Allemagne, s’y sont réunies du 17
au 24 février, dans le cadre de la
Semaine de jeûne et de prière.
C’est lors de ce rassemblement
annuel traditionnel, que La Porte
ouverte chrétienne organise de
puis vingtcinq ans en période de
carême, que plusieurs dizaines de
fidèles ont été infectés par le
SARSCoV2, l’exportant à leur
retour dans des territoires jus
qu’alors épargnés.Le pasteur contaminé
En lien avec l’événement, on
recensait en fin de semaine au
moins vingtcinq cas en Bour
gogneFrancheComté, cinq en
Guyane, cinq en Corse, trois dans
les HautesAlpes, trois dans la
Manche, deux en NouvelleAqui
taine, un à Paris et un dans la
région CentreVal de Loire. Une
liste probablement loin d’être
exhaustive, car la participation au
rassemblement n’impliquait
aucune inscription préalable, ce
qui complique le repérage
d’autres malades potentiels...
Parmi les personnes déjà détec
tées figurent Samuel Peter
schmitt, pasteur de l’église hô
tesse, ainsi que 20 membres de sa
famille. « Nous n’habitons pas
tous dans la même maison, mais
nous étions tous, enfants et petits
enfants, à l’église pendant la
Semaine de jeûne et de prière », a
expliqué au Monde par téléphone
Jonathan Peterschmitt, un des
six enfants du responsable de
l’église mulhousienne.
Depuis le 2 mars, Jonathan,
médecin généraliste de 33 ans, est
confiné, avec son épouse et leurs
quatre enfants âgés de 1, 3, 5 et
7 ans, à son domicile du Haut
Rhin, l’un des départements
aujourd’hui les plus touchés avec
l’Oise. La région Grand Est comp
tait, lundi 9 mars, 310 cas, dont
celui du député Les Républicains
JeanLuc Reitzer, âgé de 68 ans et
hospitalisé dans un « état
sérieux » à l’hôpital de Mulhouse.
Patraque à l’issue du rassemble
ment pour lequel il avait posé,
comme chaque année, une
semaine de congés, Jonathan
Peterschmitt n’a pas rouvert son
cabinet médical la semaine sui
vante et il s’est « signalé » sponta
nément à l’agence régionale de
santé (ARS) par courriel le 1er mars
au soir. « Mes symptômes étaient
ceux d’une virose saisonnière clas
sique, mais, compte tenu du
contexte, j’ai fait le test, qui est
revenu positif », indiquetil.
Sur le site de La Porte ouverte
chrétienne, son père, Samuel,
appelle tout participant ayant de
la fièvre, des difficultés respiratoi
res, des maux de tête, des courba
tures, un état grippal ou de la toux
à se « manifester en téléphonant
au 15, et en précisant avoir participé au rassemblement de La Porte
ouverte chrétienne ».
« Pour les réunions les moins fré
quentées, on était un bon millier de
personnes, et pour les plus suivies,
2 000 à 2 500 personnes, estime le
docteur Peterschmitt. Nous avons
donc été dans un même bouillon
de culture pendant une semaine, à
toucher les mêmes chaises et surfa
ces, à partager les mêmes sanitai
res, et je ne serais pas surpris
qu’une grosse proportion des per
sonnes présentes au rassemble
ment aient pu attraper le coronavi
rus, mais ce n’est pas parce qu’elles
seront testées positives que leur cas
sera forcément grave. »
Fondée en 1966 par son grand
père, le pasteur mennonite Jean
Peterschmitt, l’église La Porte
ouverte chrétienne a inauguré,
en 2015, les spacieux locaux où la
Semaine de jeûne et de
prière a été organisée courant fé
vrier. Ils offrent 7 000 mètres car
rés comportant une salle princi
pale à la capacité d’accueil de
2 500 personnes, deux chapelles
pour 400 et 150 personnes et des
salles où les enfants sont enca
drés, par tranche d’âge, par des
« moniteurs », tandis que leurs
parents assistent au culte. Sur
place, on peut prendre des cours
de chant, de musique ou prati
quer des activités de scoutisme.
Très active sur les réseaux so
ciaux, cette communauté qui ac
cueille les nouveaux arrivants et
futurs fidèles tous les vendredis
soir a tout d’une « megachurch »
comme on en trouve aux Etats
Unis ou au Brésil.
Mais si la pratique évangélique
met en avant la guérison par la
prière, la porteparole de l’église
La Porte ouverte chrétienne, Na
thalie Schnoebelen, fidèle depuis
2006, prône le pragmatisme. « On
prie, bien sûr, pour ceux qui nous le
demandent, atelle expliqué au
Monde lors d’un entretien télé
phonique, mais nous sommes des
gens de bon sens et, face à l’épidé
mie, la chose à faire, c’est appliquer
les gestes barrières et respecter les
consignes de l’ARS. »La visite d’Emmanuel Macron
Quand l’agence sanitaire a joint
La Porte ouverte chrétienne, le
2 mars, pour lui indiquer qu’une
mère n’ayant pas participé au ras
semblement, et ses deux enfants,
qui eux s’y étaient rendus avec
leur grandpère, étaient infectés
et hospitalisés à Strasbourg,
l’équipe pastorale a immédiate
ment suspendu toutes ses activi
tés « avec une rigueur tout alsa
cienne », assure Mme Schnoebelen.
Elle confesse néanmoins que,
parmi la centaine d’appels télé
phoniques que reçoit quotidien
nement le secrétariat de l’église
depuis sa fermeture, une poignée
émane de « gens qui nous traitent
d’inconscients pour avoir organisé
la Semaine de prière ». Selon la
communicante, plusieurs fidèles
contaminés ont même été harce
lés par des voisins agressifs.
« Aucune restriction n’avait été
ordonnée par les autorités au
moment de la tenue du rassemble
ment, plaide Mme Schnoebelen. La
France n’en était qu’au stade 1, leGrand Est n’était pas encore
concerné par l’épidémie, même
Emmanuel Macron était en visite
chez nous le 18 février. » De fait, c’est
Bourtzwiller, quartier qui abrite
aussi la mosquée Koba, l’une des
plus grandes d’Alsace, avec une ca
pacité d’accueil de 500 membres,
qu’avait choisi le président de la
République pour dévoiler, ce
jourlà, son plan contre le « sépara
tisme islamiste ».Fermetures et annulations
Balayant les critiques, Jonathan
Peterschmitt préfère saluer le
« bel élan » de solidarité qui ac
compagne la situation de confi
nement de sa famille. « Il faut oc
cuper les enfants et leur expliquerce qu’il se passe, mais les messages
d’encouragements que nous rece
vons de mes patients comme
d’autres gens, les fleurs, et même
des plateauxrepas que nous livre
chaque jour gracieusement une
personne qui travaille dans la restauration scolaire nous y aident
beaucoup », remercietil.
Sans minimiser la gravité de
l’infection, Jonathan Petersch
mitt regrette que « la peur encom
bre actuellement en partie les
voies de soins ». Pour certaines
personnes de sa famille
aujourd’hui dans un état stable,
mais dont la pathologie devenait
difficilement gérable à domicile
parce qu’oxygène et perfusions
s’imposaient, il souligne « quel
ques obstacles » à la prise en
charge médicale. « Il a fallu persé
vérer pour joindre secours et soi
gnants qui sont débordés d’appels
émanant de personnes anxieuses
ne nécessitant pas forcément d’at
tention médicale », ditil.Depuis vendredi 6 mars au soir,
le HautRhin a été placé en stade 2
renforcé, ainsi que l’Oise et, di
manche, la ville d’Ajaccio. Les auto
rités y ont notamment annoncé la
fermeture de toutes les crèches et
établissements scolaires pendant
au moins quatorze jours, interdit
toutes les manifestations en mi
lieu clos de plus de cinquante per
sonnes, à l’exception des obsèques
et des mariages. Quant au match
de football de Ligue 1 entre le Ra
cing Club de Strasbourg et le PSG,
qui aurait dû se tenir samedi
aprèsmidi, c’est la première ren
contre du championnat de France
à avoir été reportée depuis l’arri
vée du virus.
patricia jolly« NOUS AVONS ÉTÉ
DANS UN MÊME
BOUILLON DE CULTURE
PENDANT UNE SEMAINE »
JONATHAN PETERSCHMITT
fils du responsable de l’église
mulhousienne« ON PRIE, BIEN SÛR,
MAIS, FACE À L’ÉPIDÉMIE,
LA CHOSE À FAIRE,
C’EST DE RESPECTER LES
CONSIGNES DE L’ARS »
NATHALIE SCHNOEBELEN
porte-parole de l’église▶▶▶
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