Libération - 07.03.2020

(Darren Dugan) #1

24 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020


CES GENS-LÀ


Par TERREUR GRAPHIQUE


S


i j’ai bien compris, pas de panique. Il
faut garder la tête froide et bien se cou-
vrir. Et n’oublions pas, la panique est
autoréalisatrice, alors pas de panique ou ce
sera la panique. Il s’agit de ne pas perdre les
pédales précisément au moment où le vélo
doit rouler. Ne nous cachons pas derrière
des masques, la situation est préoccupante.
Mais la panique, c’est contagieux. Deman-
dons-leur, à la Bourse, si ça ne peut pas bais-

ser aussi vite que la température monte.
Quand les malades éternuent, c’est l’écono-
mie qui tousse. Et, d’ailleurs, pourquoi le co-
ronavirus fait-il si peur? Parce qu’avec lui,
il n’y a pas d’innocents. C’est le contraire du
loto : on ne veut pas jouer, mais on risque
vraiment de gagner, ou perdre. Le sida, on
savait qu’il y avait moyen de l’éviter, et puis
ça touchait des populations particulières – et
Dieu sait si ça a fait un scandale, au demeu-
rant entièrement justifié, quand c’est sorti
du cadre de l’homosexualité, la drogue et la
prostitution pour toucher des hémophiles.
Les féminicides, c’est affreux mais si on n’est
pas femme, on est hors du coup, en tout cas
comme victime. Les migrants, quelle hor-
reur, mais il y a une raison, la situation géo-
politique si complexe, on comprend, comme
on était bien forcé de comprendre la faim en
Afrique. Pareil pour les SDF. Mais là, ce n’est
pas Ebola, ça risque de toucher n’importe
qui n’importe où. On ne peut que ressentir
une cruelle injustice à être soudain tous
égaux.
A la fois, c’est un peu la même chose pour les
accidents de la route qui provoquent un car-
nage que, mystérieusement, on accepte an-
née après année. Mais on sait qu’il y a un ris-
que en prenant la route, en traversant, en
marchant sur un trottoir, en passant sous
une échelle, en montant dans un avion. C’est
autre chose que mettre sa vie en danger
parce qu’un gougnafier au quinzième rang
éternue au cinéma. Il est vrai que, à ce qu’on

nous dit, le coronavirus semble surtout mortel
pour les vieux ou ceux qui ont déjà d’autres
pathologies, ceux qui cumulent grattage et
tirage. Pour les autres, c’est rassurant, même
si cette constatation n’est ni de bon goût ni
de bonne solidarité. C’est ça qu’on attend
d’une panique sous contrôle : qu’elle ne
frappe que ceux qui ont d’excellentes rai-
sons – une bonne petite panique rationnelle.
Il ne faudrait pas mettre tout le monde dans
le même mouchoir.
Si chacun parvient à avoir un masque, ça va
être un sacré carnaval : on pourra se faire des
blagues, quelques licences seront facilitées
et, dans les banques, on ne saura plus diffé-
rencier les clients précautionneux de ceux
venus avec de mauvaises intentions. Quand
on voit ce que les gens se permettent dans
l’anonymat des réseaux sociaux, que de-
viendra l’espace public quand les faciès se-
ront retirés aux regards comme si tout le
monde portait le voile? Quels nouveaux pro-
tocoles allons-nous créer? Si on ne peut plus
se serrer la main ni faire la bise, comment
manifester son amitié, sa sympathie ou sa
déférence? Faudra-t-il se frotter les fesses?
Se serrer les coudes ou les genoux? Se mor-
dre le lobe de l’oreille, se gratouiller les che-
veux, se tamponner la panse? La sécurité se-
ra-t-elle en danger si les policiers hésitent
à convoquer les individus qui ont mauvaise
mine? Si j’ai bien compris, la première chose
à faire pour séduire qui que ce soit sera de
ne pas l’approcher. •

IDÉES/


SI J’AI BIEN COMPRIS...


Par MATHIEU LINDON

Aaatchoum et pas de panique


«La caisse ou j’éternue !»
Et si le coronatruc,
cette merde qui fait déborder
le pot, provoquait des
changements très collatéraux
dans notre vie quotidienne?

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