Libération - 07.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020 u 39


N’


en déplaise
aux Cassan-
dre, Internet
n’a pas ap-
porté que du mauvais. Quand
leurs aînés mettaient des années
à se construire une culture mu-
sicale solide, quelques clics suf-
fisent aux plus aventureux des
millennials pour concurren-
cer les plus érudits. De ce mael-
ström musical en quasi-libre-
service, les trois Français de
Flegon (pour «gonflé») ont tiré
d’éclectiques influences, qui
vont de l’underground house de
Detroit au death metal.
Cebrak 2000, Greita et DJ Stalin-
grad (Brice, David, et Pablo dans
le civil) sont aussi curieux que
multitâches. Depuis 2016, ils ont
regroupé sous la bannière Flegon
leurs différentes activités de DJ,
producteurs, groupe de scène (à
l’énergie irrésistible) et label.
Les cinq maxis qu’ils ont publiés
depuis 2017 témoignent de

leur rapide évolution musicale.
Entre la première référence,
Buffet froid, une compilation
4-titres où DJ Stalingrad et
Greita semblaient marcher sur
les traces de l’influente figure
house américaine Theo Parrish,
et la cinquième, Extra Twist,
leur premier maxi en trio sous le
nom de Flegon, le pas franchi est
immense.
En deux ans, leur house classi-
que est devenue une électroni-
que chaleureuse, plus jouée et
posée, où les voix, qu’elles soient
fugaces ou au contraire omni-
présentes, sont devenues des
éléments essentiels de leurs
compositions. Cinq titres de
«chanson» électronique qui
dessinent les contours d’une
pop futuriste, joliment «gonflée»
en effet.
BENOÎT CARRETIER

EXTRA TWIST
(Disques Flegon)

A bloc avec


Flegon


LA DÉCOUVERTE


DR

LE LIVRE


Abécédaire punk


P


aru il y a plusieurs mois mais pas
autant médiatisé qu’il l’aurait mé-
rité, ce passionnant petit «lexique
franco-punk» en 200 entrées tou-
jours parfaitement choisies traverse cinq décen-
nies du rock des marges et de l’underground en
France.
S’ouvrant sur une notice consacrée à Yves Adrien,
le premier à utiliser le terme punk dans un célèbre
article de Rock & Folk datant de 1973, et se re -
fermant (ou presque) sur celle dédiée à son ca -
marade Marc Zermati, patron de l’Open Market,
«haut lieu de la punkitude parisienne» hanté par
Alain Pacadis, plume emblématique de ce jour-
nal, qui a lui aussi droit à son entrée, Punk Is Not
Dead évoque les groupes (Trotskids, Warum Joe,
Bérurier Noir, Oberkampf...), les lieux (Chalet du lac, Chez Narcisse...)
et autres thématiques (fanzines, pogo, cinéma...) sans oublier grand
monde, sinon peut-être l’usine de la rue Pali-Kao, qui fut dans les an-
nées 80 l’un des hauts lieux de la scène «alternative».
On se réjouit par ailleurs que cet ouvrage collectif soit dirigé par deux
universitaires et chercheurs du CNRS, Luc Robène et Solveig Serre,
dont les travaux sur l’histoire du punk sont financés par l’Agence
nationale de la recherche et l’université de Tours. Cette fois, per-
sonne ne pourra dire que l’argent de nos impôts est mal utilisé.
ALEXIS BERNIER
Rens. : http://www.pind.univ-tours.fr

PUNK IS
NOT DEAD de
LUC ROBÈNE
et SOLVEIG
SERRE
Ed. Nova.

«De plus en plus


d’artistes


underground


veulent faire
leur propre truc,

en particulier


dans le hip-hop


et la musique


électronique.»
Dann Gaymer
créateur du label Daftpop

lll


triotiques. Avec l’ouverture du pays,
des cassettes puis des CD invendus
en Occident se sont mis à circuler
dans les années 90, les da kou [«ta-
per un trou», ndlr] .» Envoyés en
Chine pour être recyclés après qu’on
y a pratiqué une encoche, ces cas-
settes et ces CD étaient vendus sous
le manteau, permettant aux jeunes
Chinois de découvrir des centaines
de musiciens dont l’œuvre n’était
pas commercialisée officiellement
dans le pays. Américain expatrié
en Chine depuis plus de dix ans,
le musicien qui se fait appeler
«thruoutin», alias Brad M. Seippel,
35 ans, mixe sons électroniques et

instruments traditionnels chinois.
Collectionneur de cassettes, il expli-
que que «pas mal de Chinois ont la
nostalgie des da kou. Je pense que
ces cassettes sont traquées par cer-
tains collectionneurs à cause de leur
histoire unique !»
Il y a une dizaine d’années, beau-
coup de groupes chinois courti-
saient les gros labels du pays. Pour
Gaymer, la situation a changé : «J’ai
l’impression que de plus en plus d’ar-
tistes underground veulent faire leur
propre truc, en particulier dans le
hip-hop et la musique électronique.
La cassette est une option !» Lui-
même acheteur de cassettes, Li
Yang, le frontman de Demerit,
pense que comme les cassettes peu-
vent être fabriquées sans validation
de la censure, «elles permettent à
des musiciens de faire entendre leur
voix, même s’il y en a beaucoup pour
qui il s’agit d’un effet de mode». L’op-
tion la plus intéressante pour
les musiciens est, bien sûr, de
«les acheter en direct pendant les
concerts», poursuit thruoutin. «On
peut aussi trouver des cassettes chez
les disquaires indés. Quant à la so -
lution Bandcamp, elle se heurte à
l’écueil de l’envoi qui peut tourner à
la grosse galère parce que la plupart
des transporteurs refusent d’expé-
dier des œuvres qui n’ont pas de nu-
méro d’autorisation...»

Tirages limités
Pourtant, cela n’empêche pas thru -
outin de s’enthousiasmer : «Il n’y a
jamais eu autant de labels indés en
Chine! Mes préférés sont Qiiisnacks
(Canton), Svbkvlt et Genome 6.66
Mbp (Shanghai) et, à Pékin, Ran Mu-
sic, Merrie Records et Nugget Re-
cords.» Dann Gaymer confirme que
les gens de Qiiisnacks sont de «fabu-
leux fournisseurs de grandeur DIY».
Il a néanmoins confié la fabrication
de ses cassettes aux Pékinois
(comme lui) de Nugget Records, le
nouveau label dont tout le monde
parle. Ses créateurs, l’Irlandais Da-
vid Carey, 28 ans et la Canadienne
Jen Rao, 29 ans, se sont distingués
par leur soin et leur créativité. Jen
Rao s’enflamme : «Nous avons eu des
réactions vraiment positives, princi-
palement d’artistes qui veulent que
leur musique sorte en cassettes. Ces
cinq derniers mois, nous avons fait
des cassettes pour treize musiciens!
Je pense que leur portabilité et le fait
qu’elles soient abordables, ainsi que
les petits ti rages que nous faisons, at-
tirent les artistes vers ce format phy-
sique.» Les tirages des labels indés
chinois sont en général microscopi-
ques : quelques dizaines d’unités,
des centaines pour les artistes les
plus populaires, qui les écoulent
souvent pendant leurs concerts. Une
production artisanale qui attire, sans
surprise, des collectionneurs de tous
les pays. «Il n’y a aucun signe de ra-
lentissement , ajoute David Carey.
Nous prenons notre rôle très au sé-
rieux et nous essayons d’attirer l’at-
tention du mainstream sur le format.
Mais le plus agréable est de voir que
les gens accordent de nouveau de la
valeur à la musique, en particulier
sous un format physique.» •

(1) Boutique en ligne majoritairement utili-
sée par les labels et artistes indépendants.

hardcore de Pékin, appelle à «brûler l’autorité». PHOTOS DR
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